mercredi 5 octobre 2016

L’EXISTENCE DE LA JUSTICE ADMINISTRATIVE

On retrouve ici une loi qui est la loi des 16 et 24 août 1790 qui va poser le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Ce principe va entraîner des difficultés redoutables qui vont entrainer la création d’un ordre juridictionnel distinct et spécifique à l’administration publique. Etant entendu que le principe de séparation des ordres administratif et judiciaire interdisait que les deux ordres aient des relations.
Quelle est la légitimité de cet ordre juridictionnel distinct ? Cette juridiction administrative a des liens très étroits avec l’administration active.

section 1 : le principe de separation des autorités administratives et judiciaires


·        Ce principe est issu de la loi des 16 et 24 août 1790 qui nous dit « les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront à peine de forfaiture troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. »

o   De ce texte, les contemporains vont conclure que les juridictions judiciaires ne peuvent pas contrôler l’activité de l’administration.

o   C’est une interprétation excessive car l’analyse exégétique du texte ne conduit pas à cette conséquence.

-      « Les juges ne pourront à peine de forfaiture troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs » renvoie seulement au pouvoir du juge qui est le pouvoir d’injonction.
-      « Ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions » veut dire qu’il n’y a pas de possibilité de poursuites pénales contre les administrateurs.
Mais ce texte va faire l’objet d’une interprétation maximaliste qui va aboutir à interdire aux tribunaux judiciaires de contrôler l’activité administrative.
o   Cette interprétation n’est rendue possible que parce qu’elle se combine avec un concept plus ancien dans l’histoire de la pensée politique française qui consiste à dire que juger l’administration c’est encore administrer.

·        La situation qui va en résulter est que les particuliers ne vont pas trouver de juge pour se saisir des plaintes et des réclamations qu’ils sont en droit de formuler contre l’activité publique.

-      Va se mettre en place un système interne à l’administration et va se développer le système de l’administrateur juge pour recevoir les plaintes de particuliers dans une organisation de type hiérarchique qui aboutit à faire remonter la réclamation dans l’échelle de l’organisation hiérarchique.

-      C’est dans ce cadre là que va se produire un évènement qui est que le Conseil d’Etat qui a été créé par la constitution de l’an 8 (1799) va se saisir de ces plaintes et de ces recours. La mission du CE est d’assister le chef d’Etat dans ses fonctions administratives. Au titre de cette fonction d’assistance et de conseil, la constitution de l’an 8 nous dit que le CE est compétent pour régler les difficultés.

-      Ce qui va amener le CE à instruire les plaintes remontées jusqu’au chef de l’Etat. Progressivement, le CE va s’organiser pour instruire séparément ses plaintes et ses recours. Il va s’instituer la commission du contentieux qui est l’ancêtre de la section du contentieux. Dès 1806, le CE considère qu’il faut traiter à part les réclamations c'est-à-dire les traiter à la manière d’une juridiction.

Ce mode de fonctionnement va s’imposer progressivement :
-      Il y a d’abord le décret du 11 juin 1806 qui est l’acte fondateur de la juridiction administrative qui crée la commission du contentieux et consacre la dualité fonctionnelle du conseil d’Etat

-      Et une ordonnance du 2 février et 12 mars 1831, c'est-à-dire quelques mois après la révolution de 1830 : elles transforment le CE en véritable juridiction.

On va lui imposer des règles : interdiction aux conseillers d’Etat en service extraordinaire de siéger dans la commission du contentieux ; les audiences devant le CE sont publiques et les parties peuvent se faire représenter par des avocats qui pourront déposer des observations orales ; création d’une fonction de commissaire du gouvernement, ce qui laisse penser qu’on commence à imaginer que cette commission du contentieux pourrait peut être statuer dans une position contraire, conforme au gouvernement. Or il ne va y avoir aucuns textes qui disent les missions du commissaire du gouvernement. De plus, il va considérer que sa mission est de dire en toute impartialité ce que d’après lui est la bonne solution de l’affaire. Très vite, on va avoir des commissaires du gouvernement conclure contre les prétentions de l’Etat et contre les recours ou les mémoires défendues par le gouvernement, dés 1832.

-      La seule difficulté de ce système c’est que le CE, la commission du contentieux du CE ne rend pas de décision juridictionnelle, elle n’émet qu’un avis, le CE n’est là qu’à titre informatif. Le chef d’Etat s’en remet en fait toujours au CE et signe les arrêts préparés par le CE sans rien y retoucher. C’est ce que l’on appelle le système de la justice retenue qui ne va durer qu’un temps, de sorte qu’avec l’avènement de la 3ème république, ce système va s’effondrer. La loi du 24 mai 1872 est d’instituer la justice déléguée. C’est un texte qui consent l’indépendance de la fonction juridictionnelle du CE. Le CE rend la justice au nom du peuple Français.
Pendant quelques années, le système va être flou car sont maintenus des mécanismes de l’administrateur juge et notamment la théorie du ministre juge qui est de dire qu’avant de pouvoir saisir le CE, le recours doit être porté devant le ministre et le ministre quand il statue ne statue pas en tant qu’administrateur mais en tant que juge. Ce mélange des genres est supprimé en 1889 par l’arrêt « Cadot » qui nous dit que pour saisir le CE, il n’est pas nécessaire au préalable de saisir le ministre. Le ministre n’est alors pas juge.
En 99 ans, a été mis en place un ordre juridictionnel distinct de la justice judiciaire, assez largement mêlé à l’administration.

section 2 : l’organisation singulière de la justice administrative francaise


·        La justice administrative française comprend aujourd’hui trois niveaux :

-      Les tribunaux administratifs interdépartementaux qui sont les juges de 1er ressort du contentieux administratif.
-      Les cours administratives d’appel : il y a 8 CAA.
-      Le Conseil d’Etat qui est essentiellement juge de cassation mais qui peut connaître aussi de certaine matière en tant que juge de 1er et dernier ressort
La situation actuelle est assez différente puisque les tribunaux administratifs ont été créés en 1953 tandis que les cours administratives d’appel ont été créées en 1987, ce qui veut dire que pendant longtemps, le CE a été la seule juridiction administrative. L’organisation singulière de la juridiction administrative tient que malgré ces réformes, ce rapprochement avec l’organisation judiciaire, la justice administrative est restée au principe selon lequel juger l’administration c’est encore administrer qui va trouver au plan institutionnel une double traduction dans le contentieux administratif :
-      Les juges administratifs ne sont pas soumis au même régime que les JJ
-      Dualité fonctionnelle des JA

paragraphe 1 : le statut personnel des juges administratifs


Les magistrats de l’ordre judiciaire relèvent de ce qu’on appelle un statut autonome qui est susceptible de leur garantir l’indépendance par rapport au pouvoir politique et par rapport aux magistrats du siège l’inamovibilité.
Les membres des JA ne relèvent pas d’un statut autonome. Ils sont des fonctionnaires et à ce titre, relèvent du statut général de la fonction publique comme la totalité des agents de l’Etat. Il en résulte donc une impression de proximité avec l’administration active qui pose en définitive des problèmes quant à l’indépendance de la juridiction administrative. Comment une justice peut-elle être rendue par des fonctionnaires ?
A) Une proximité apparente avec l’administration active
Cette proximité peut se vérifier de 3 manières :
-      D’abord dans les modalités de recrutement des magistrats : les membres du CE sont formés et recrutés dans les mêmes conditions que les cadres supérieurs de la haute fonction publique. Pour rentrer au CE, il faut avoir réussi le concours de l’ENA.
Mais il existe des conseillers d’E en service extraordinaire qui sont nommés sur des périodes et qui vont siéger uniquement dans les sections administratives du CE.

Il y  a aussi un recrutement parallèle qui est le tour extérieur : possibilité d’intégrer le conseil d’Etat après avoir entamé sa carrière notamment dans la fonction publique. On trouve d’ancien magistrats, préfets, ministres, avocats…Au tour extérieur, ce sont des hauts fonctionnaires en général, et c’est une pratique pratiqué dans la haute fonction publique aussi (pas que au CE). Le tour extérieur permet la promotion interne des membres de la juridiction administrative.
L’idée est que normalement, les 2/3 des conseillers d’Etat et les ¾ des maîtres de requête recrutés au titre du tour extérieur proviennent de promotions internes, ce qui tend à limiter les nominations politiques. Il n’existe aucune procédure préalable de consultation des corps du CE.

Pour les autres magistrats, la règle veut qu’ils soient recrutés par la voie de l’ENA. Mais elle ne peut pas en fournir suffisamment, donc il y a un recrutement spécial : recrutement fait sur des épreuves exclusivement juridiques (+ de 26 ans, 2 épreuves écrites).

-      Larges possibilités de détachement vers l’administration active : cela veut dire que quand on est membre du CE, membre d’une JA territoriale, il est possible d’aller effectuer une partie de sa carrière à l’extérieur du CE dans l’administration active, par le biais de la procédure dite du détachement. Le but est d’assurer une osmose entre haute administration et haute juridiction administrative.
èCette proximité institutionnelle est attestée par la fonction du vice président du CE. Ce vice président est le chef de corps. Le président du CE est le Garde des Sceaux mais il ne vient pas se mêler dans l’organisation du CE. Le président effectif est le vice président du CE et généralement il est nommé après avoir exercé les fonctions de secrétaire général du gouvernement.
Cela peut poser un problème d’indépendance des membres de la JA au regard du pouvoir politique et de l’administration. De la proximité, on ne passerait pas à la promiscuité ?

B) L’indépendance des membres de la JA
·        Cette indépendance des membres de la JA existe mais elle est assurée de manière variable.

o   Pour les conseillers d’Etat, on peut dire qu’elle est garantie par la coutume. Cette indépendance ne résulte d’aucun texte. Pour autant, elle résulte d’un sentiment d’appartenance au corps, d’une pratique ancienne qui constitue une sorte de coutume. Cette coutume résulte d’abord de l’extrême réserve de la part du gouvernement à l’égard des membres du CE.

-      En dépit des textes, l’avancement au CE est assurée de façon automatique c'est-à-dire à l’ancienneté.  Ex : la nomination des présidents adjoints de section au CE est décidée par décret du président de la République mais dans les faits il ne fait qu’entériner un choix interne à l’institution.
-      De la même manière, le gouvernement n'intervient pas dans la carrière des magistrats. On n'a jamais vu des conseillers d'état révoqués.
On ne compte que deux affaires dans lesquelles le gouvernement est intervenu pour révoquer un conseiller d'état. Affaire de 1852 (affaire Reverchon en raison de conclusions prononcées). Affaire Jacomet de 1960 qui est liée à la guerre d'Algérie. La pression du corps du CE a été telle que plusieurs années après, il a été réintégré au CE.
-      L'indépendance du CE fait partie de son éthique personnelle. Quand on rentre au CE, on sait qu'on va juger des affaires qui intéressent l'affaire au plus haut point. A ce titre, le conseiller d'État sait que c'est lui ou c'est l'institution qui exprime le mieux l'intérêt général, mieux que le pouvoir politique. Il en a un sentiment de supériorité à l'égard du monde politique.
-      Dans les faits, le CE bénéficie d'un véritable statut d'indépendance. Dans un arrêt Hoffere, le CE est saisi d'un recours d'un particulier débouté dans une affaire précédente. Il venait devant le CE attaquer le décret portant avancement du commissaire au gouvernement de l'affaire où il avait été débouté. Le CE déboute le requérant et répond "les garanties qui par application du principe d'indépendance de la juridiction administrative gouverne les règles d'avancement des membres du CE exclut que la nomination d'un membre puisse prendre en compte les positions prises par celui-ci dans l'exercice de ses fonctions". D'une pratique de fait, le CE tire alors le principe d'indépendance de la juridiction administrative.

v Qu'en est-il pour les membres autres que les conseillers d'état ?
-      Le législateur est intervenu avec la loi du 6 janvier 1986 qui a consacré un principe applicable à tous les magistrats de la juridiction administrative : le principe de l'inamovibilité. "Aucun membre de la juridiction administrative ne peut recevoir sans son consentement une affectation nouvelle, même en avancement".
-      A cela, la même loi a institué un conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel : Le CSTA (Conseil supérieur des tribunaux administratifs) est composé pour l'essentiel de membres du CE et de membres élus par les magistrats administratifs et qui intervient dans la carrière des magistrats pour faire des propositions. Permet d'assurer l'indépendance des magistrats administratifs.

paragraphe 2 : la dualité fonctionnelle des juridictions administratives


C'est une des marques fondamentales de l'organisation de la juridiction administrative. Le CE est à la fois juge et conseiller du pouvoir. C'est en fait le fruit d'un accident de l'Histoire.
Mais aujourd'hui, cet accident a été constitutionnalisé puisque la Constitution française quand elle fait référence au CE ne vise que les fonctions consultatives du CE. La difficulté est que le mode d’organisation a pu poser problème au regard des catégories juridiques du droit européen et du droit anglo-saxon.
A) Le dédoublement fonctionnel : principe fondamental de l’organisation de la juridiction administrative en France
·        Il est prévu par la Constitution. Cette dernière précise que le CE est appelé à exercer auprès du gouvernement une fonction consultative qui se traduit par l'émission d'avis.
o   Une loi procédant d'un projet sur lequel le CE n'a pas eu à se prononcer pourrait entrainer la censure de la loi par le CCel pour vice de procédure.
o   La réforme constitutionnel de 2008 (art. 39) prévoit que les propositions de loi peuvent à la demande du bureau de l'AN ou du Sénat être transmises pour avis au CE. Il est donc maintenant devenu le conseil du Parlement.
·        Cette situation a eu tendance à se renforcer sous la Vème République. En effet, avant, la consultation du CE n'était que facultative. Aujourd'hui, c'est obligatoire pour les projets de loi et les ordonnances. Pour les décrets, l'avis est généralement facultatif. Il n'en va autrement que si les décrets d'application seront pris en Conseil d'État. En outre, le CE peut être consulté à tout moment par un ministre sur une question de droit.
·        Ce dédoublement entraine une spécialisation des sections au sein du CE. A côté de la section du contentieux, il existe des sections administratives qui ont en charge de l'exercice de la fonction consultative. 6 sections : section de l'intérieur, section des finances, section des travaux publiques, section sociale, section de l'administration et section du rapport et des études.
v La question qui s'est posée historiquement est de savoir quelles relations devaient entretenir ces sections avec la section du contentieux :
La réponse a varié selon les époques.

-      Le décret du 6 mars 2008 a organisé une véritable séparation fonctionnelle qui prévoit notamment que les membres de la section du contentieux n'ont pas nécessairement à appartenir à une section administrative.
-      En 1963, à la suite de l'affaire Canal, le gouvernement avait imposé la règle de la double appartenance et du brassage (un membre du CE doit appartenir aux deux types de formations et doit faire du contentieux et de la fonction consultative). Et donc, en 2008, on a décidé que désormais, la double appartenance et le brassage n’étaient plus obligatoires, sans doute sous une double influence, celle du nombre d’affaires à traiter et celle du procès équitable et du droit européen.

·        Ce principe du dédoublement fonctionnel, historiquement accidentel puis en quelque sorte provoqué par la Constitution se retrouve aussi pour les juridictions administratives territoriales puisque la loi a précisé que ces juridictions devaient aussi participer à des rôles consultatifs.
ð Dans les faits, le préfet peut être amené à saisir pour avis le président du tribunal administratif.
ð En outre, les magistrats administratifs sont tenus de participer à diverses commissions administratives (ex : commission départementale des impôts).
ð Puis enfin, le tribunal administratif peut avoir de véritables compétences décisionnelles de type administration active (ex : dans le cadre d’une procédure d’enquête publique, il appartient au président du TA de nommer les commissaires enquêteurs).

Que faut-il penser de ce dédoublement fonctionnel ?

B) Le dédoublement fonctionnel à l’épreuve du droit à un procès équitable
·        N’y-a-t-il pas un risque que le conseil d’Etat soit saisi d’une même affaire ou du même texte à des titres différents ? C’est la question d’un avis sur un projet de décret au titre de sa consultation facultative, suivi d’un recours pour excès de pouvoir contre ce même décret. Cela ne pose pas un problème ?

o   La position du droit Français était de considérer que la section du contentieux n’était pas influencée par les travaux des sections administratives et gardait son indépendance de jugement. On citait des exemples où le CE n’avait pas hésité à censurer au contentieux des textes qu’il avait soutenu dans sa fonction consultative : arrêt Electricité de France, CE, 1955.

o   Il va se produire un choc culturel en raison notamment de l’application dans notre ordre juridique Français de la CEDH qui a été ratifié en 1974 et qui a reconnu au début des années 80 aux ressortissants français d’exercer un recours individuel devant la CEDH. A partir des années 90, s’est multiplié des affaires mettant en avant le droit au procès équitable.

La jurisprudence de la CEDH a développé une problématique dite de l’impartialité objective qui est un concept assez inconnu du droit Français à l’époque mais qui trouve son terreau idéologique dans les systèmes anglo-saxon et notamment dans le système anglais de justice.
L’impartialité objective touche à l’organisation du tribunal, à la manière dont fonctionne le tribunal. Ce qui est en cause n’est pas l’impartialité des magistrats. Les anglo-saxon ont une conception large de ce que doit être cette impartialité objective puisqu’ils considèrent que ce qui compte ce n’est pas tellement la manière dont fonctionne réellement la justice mais la manière dont les justiciables voient fonctionner la justice. Il ne faut pas que le justiciable ait un soupçon. « La justice n’est pas seulement ce qu’elle est, elle est aussi ce qu’elle donne à voir ».
On peut comprendre qu’un justiciable qui sait qu’il va contester devant le CE un texte auquel il a donné un avis favorable auparavant, ait un doute sur son impartialité. C’est ce que l’on appelle aussi le risque du préjugé.

Ø  Il y eut une Affaire Procola le 28 septembre 1995 de la CEDH : Le CE Luxembourgeois statuant au contentieux sur un recours contre un décret avait statué dans une formation de jugement qui comprenait 5 membres dont 4 avaient déjà statués sur le même décret au titre de la fonction consultative du conseil d’Etat. La cour relève que l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH a été violé, que l’impartialité objective n’a pas été respectée ; le requérant peut légitimement craindre que les membres du comité du contentieux ne se sentissent liés par l’avis donné précédemment. Ce simple doute suffit à altérer l’indépendance objective du tribunal.

v Quelle conséquence fallait-il tirer de la jurisprudence Procola ? Est-ce que le principe de l’impartialité objective condamne la dualité de la jurisprudence administrative ?

-      Les luxembourgeois ont répondu par l’affirmative : on réorganise le contentieux administratif à qui l’on confie à une juridiction indépendante du CE, une cour administrative qui n’est chargé que de la fonction consultative.

-      Ce n’est pas l’approche qui a prévalu en droit Français car la question a été posée au CE : dans l’arrêt syndicat des avocats de France, on a expliqué que le CE n’était pas en mesure de statuer sur ce décret car déjà passé devant le contentieux consultatif. Le commissaire du gouvernement Bonichot va écarter ce type d’interprétation. Par contre, il cherche des modalités pour éviter que les mêmes juges statuent deux fois. On doit pouvoir y arriver en mettant fin à la règle du brassage et de la double appartenance.

Cette question a été posée devant la cour européenne des droits de l’homme dans deux affaires et c’est intéressant car devant la CEDH il parait s’opposer deux conceptions : une anglo-saxonne et une autre continentale. Comment la CEDH s’est saisie de cette question ?

Ø  CEDH, Kleyn c. Pays-bas dans une affaire qui intéressait le CE néerlandais. Dans cette affaire, le requérant demande à la CEDH de prendre partie d’un point de vue théorique sur le dédoublement fonctionnel. La cour refuse de rentrer dans ce débat et elle explique que c’est au regard des éléments de chaque espèce qu’il appartient de vérifier si ce mode de fonctionnement satisfait aux éléments de l’article 6 paragraphe 1. Cependant, la cour nous dit qu’il se peut que dans certains cas de figure, il n’est pas certain que l’organisation du CE satisfait à la règle du tribunal impartial. Mais un juge Bulgare rend une opinion différente.

Ø  La CEDH s’est prononcé en 2006 dans l’arrêt Sacilor Lormines c. France. Le ministre de l’industrie avait saisi pour avis le CE avant d’adopter un arrêté ministériel qui réformait le code minier. Cet arrêté pris sur avis du CE avait été contesté au contentieux devant le CE et le recours avait été rejeté et le requérant expliquait devant la CEDH que le système français violait non seulement l’impartialité objective mais même violait l’impartialité structurelle. L’impartialité structurelle est une notion qui avait été utilisé dans l’arrêt Procola, la CEDH avait parlé de l’impartialité objective et structurelle. Réponse de la cour : Le dédoublement du CE n’a pas à être examiné dans l’abstrait. L’impartialité est acquise d’abord quand aucun des membres des formations consultatives et de jugement ne siègent aux 2 titres sur une même affaire ou si la formation contentieuse et de jugement sont composées de manière partiellement identiques quand ils ne statuent pas sur une affaire analogue ou une même affaire.


v Mais qu’est ce qu’une affaire analogue ? L’arrêt de la CEDH nous donne des éléments sur cette notion d’affaire analogue : l’idée qui ressort c’est que quand le recours porte sur un acte réglementaire, on peut se satisfaire d’une composition partiellement identique et donc d’une succession des fonctions consultatives et contentieuses par un certain nombre de membres.
Par contre quand on a à faire à un dossier qui intéresse un acte individuel, il ne faut pas qu’un membre siège aux 2 titres. En l’espèce, la CEDH avait censuré aux motifs qu’un conseiller d’Etat qui avait statué au contentieux exerçait au moment de l’adoption du décret ou de l’arrêté une mission au sein du ministère qui avait préparé cet arrêté.

v Conclusion : la dualité fonctionnelle n’est pas remise en cause mais elle doit être aménagée. Elle oblige à revenir sur un certain nombre de mécanismes traditionnels de notre contentieux administratif.
D’abord c’est le fait du décret du 6 mars 2008 : la règle du de la double appartenance n’est plus obligatoire ; interdit à un conseiller d’état de participer à un jugement des recours dirigés contre les actes pris après du CE si ces membres ont pris part à la délibération de l’avis. Enfin, le décret du 6 mars 2008 modifie la composition de la formation de jugement qui est l’assemblée du contentieux. Historiquement, l’assemblée du contentieux était composée de certains membres de la section du contentieux, et de tous les membres des sections administratives alors qu’aujourd’hui, le président de la section administrative qui a rendu l’avis ne peut plus siéger sur le recours contre l’acte.

section 3 : La legitimite de la juridiction administrative


·        La pratique du dualisme est la source de nombreux inconvénients, notamment parce qu’il est difficile de savoir dans certains cas quel est le juge compétent. Il est parfois nécessaire de faire intervenir le tribunal des conflits. Tout cela est une perte de temps pour le justiciable.
Dans ce cadre, on peut se demander si la solution du dualisme juridictionnel est une solution souhaitable au regard du fonctionnement de la justice, au regard de l’accès du justiciable à la justice.

·        Ce débat a toujours existé depuis que la justice administrative est née mais il a fondamentalement changé de nature. Pendant tout le 19ème, cela a été un débat essentiellement politique animé par l’idée que la justice administrative était une institution napoléonienne, la marque d’un Etat autoritaire et qu’elle n’avait pas sa place dans un régime moderne parlementaire. On retrouve notamment ce débat autour des années 1830, sous la 3ème République, mais dans tous les cas on a renforcé la justice administrative.
Aujourd’hui, la discussion est essentiellement technique, on a admis que le JA est un moyen de faire progresser l’Etat de droit, on ne discute plus sur le principe.

paragraphe 1 : une controverse inevitable


On retrouve toujours les mêmes arguments :
v En faveur de la justice administrative :
èLe particularisme du droit administratif appelle un juge spécialisé, que la relation noue l’Etat avec les particuliers implique une connaissance approfondie de l’administration.
C’est un argument un peu faible car on peut déjà donner deux contre-arguments :
-      il suffirait de spécialiser une chambre administrative à la cour de cassation.
-      Autre contre argument est de dire qu’historiquement cela n’est pas comme ça que ca s’est passé : spécialité tient à ce qu’il y’avait un juge spécial.
èL’administration n’est pas un justiciable comme un autre : pour bien juger l’administration, il faut la connaitre de l’intérieur. Cet argument est renforcé par les systèmes de common law. Pendant longtemps, la réalité était que l’administration n’était pas contrôlée. L’administration accepte d’autant mieux les jugements de la juridiction compétente à son égard qu’elle sait que c’est une juridiction qui la connait.


v Contre la justice administrative :
èContestation de la proximité de l’administration et son juge : l’idée est de dire que du coup le contentieux administratif est une sorte de marché de dupes, un combat inégal. La juridiction administrative partage les mêmes valeurs que l’administration.
èCette contestation est relayée et tourne autour de la contestation du rôle de l’Etat qui revient à dire que la justice administrative est une sorte de caste de juriste d’Etat extérieure à la société et qui font prévaloir au travers de l’intérêt général, la domination du politique sur le juridique.
v Plusieurs propositions sont faites pour remettre en cause cette situation. Il faudrait intégrer la justice administrative à la juridiction judiciaire.
Il faudrait retirer au juge administratif toutes ses fonctions consultatives. Et il y a d’autres propositions consistant à dire qu’il faut limiter autant que possible la compétence administrative à l’essentiel, à ce que l’on appelle le contentieux de l’excès de pouvoir.
Pour autant ce débat tourne un peu à vide car en vérité l’existence de la JA ne fait plus problèmes. Sa légitimité est incontestable.

paragraphe 2 : une legitimité incontestable


Cette légitimité est incontestable pour 2 raisons :
-      Elle provient de notre histoire nationale. Légitimité historique.
-      Cette JA se trouve constitutionnalisée.
1) Une légitimité historique
·        La justice administrative résulte d’un texte qui est la loi des 16 et 24 aout 1790.
Ce texte est d’une certaine manière la résultante d’une situation qui date de l’Ancien Régime et le fait que sous l’Ancien Régime les parlements judiciaires ont voulu se mêler d’affaires administratives et se sont même opposés à un certain nombre de réformes du pouvoir royal. D’où la réaction à la révolution a été d’interdire au juge judiciaire de se mêler des affaires administratives. Cet élément historique est essentiel, à fortiori si l’on regarde ce qui s’est passé au RU.

·        La révolution anglaise a fait suite à une période autoritaire où le pouvoir politique s’était doté d’un certain nombre de juridictions spécialisées. Pour rompre avec cette période autoritaire, l’idée a été de soumettre l’administration à une unité de juridiction : volonté de lutter contre l’autoritarisme gouvernemental. Donc pas de logique de rationalité dans le choix d’une spécialisation ou d’une unité : c’est uniquement le fruit de l’Histoire.
Dans le cas Anglais, l’exécutif a été pendant longtemps laissé sans contrôle. Ce n’est que dans les années 60 que les Anglais ont opté pour des mécanismes de contrôle internes de l’administration. Au RU, il existe le judicial review qui correspond quelque peu à notre procédure de l’excès de pouvoir.
2) Une légitimité constitutionnelle
·        Aujourd’hui,  il y a une légitimité constitutionnelle puisque le conseil constitutionnel a rendu deux décisions : une datant de 22 juillet 1980 et l’autre 23 janvier 1987. Il a constitutionnalisé l’existence de la JA :

-      La décision « validation législative » du 22 juillet 1980 : Le Conseil constitutionnel était saisi d’une loi de validation : loi qui vient légaliser un décret ou un texte dont une juridiction a reconnu l’illégalité. Ce type de loi pose un problème qui est celui de l’indépendance de la fonction juridictionnelle. Jusqu’où le législateur peut-il casser une décision de justice ? Dans un Etat de droit, cela pose problème compte tenu du principe de la séparation des pouvoirs. C’est cette question qui se pose devant le Conseil constitutionnel. Le problème c’est que dans la constitution française, il n’y a rien qui traite de la JA. Le Conseil constitutionnel va dégager un PFRLR qu’il tire de la loi du 24 mai 1872 (justice déléguée CE) et le Conseil constitutionnel nous dit que ce PFRLR est l’équivalent de l’article 64 pour le JJ et reconnait au JA comme au JJ, la garantie de l’indépendance de leur fonction sur lequel le législateur ne peut pas empiéter.
Décision importante pour deux raisons : constitutionnalise l’existence de la JA sans texte. Et le Conseil constitutionnel met sur le même pied d’égalité, la JA et la JJ.
-      23 janvier 1987 dit « conseil de la concurrence » : il s’agit d’une loi qui décide de transférer à la cour d’appel de Paris les décisions du conseil de la concurrence qui lui est une autorité administrative intervenant en matière économique. Le problème est le suivant : la loi confie à un JJ le contentieux d’une autorité administrative. C’est ce transfert qui est contesté devant le conseil constitutionnel. Les auteurs de la saisine invoquent le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Réponse du Conseil constitutionnel : la loi des 16 et 24 aout 1790 n’a pas valeur constitutionnelle car elle a posé dans sa généralité un principe qui depuis 200 ans connait de multiples exceptions législatives mais il n’en reste pas moins qu’il existe en droit Français conformément à la conception Française de la séparation des pouvoirs, un principe qui découle de la loi des 16 et 24 août 1790 et qui veut « qu’à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative, l’annulation ou la réformation des décisions prises dans l’exercice de prérogatives de puissance publique par les autorités exerçant le pouvoir exécutif ». Il existe un principe constitutionnel qui garantit que le contentieux des AA visant à l’annulation ou à la réformation de ces actes ne peut être qu’un contentieux relevant de la JA ce qui correspond au contentieux de l’excès de pouvoir.
L’existence de la juridiction administrative est consacrée au niveau constitutionnel et le législateur ne peut pas toucher à certaines prérogatives. Ces prérogatives ne sauraient être confiées au JJ.
v Mais c’est une décision à double tranchant car ce noyau dur garanti par la constitution, ne correspond que très partiellement à l’actuel système de répartition des compétences.
Cela pose la question du partage du contentieux de l’administration entre  les deux ordres.


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