·
Le JA quand il est
saisi d’un REP, il doit vérifier si l’acte est entaché ou non d’illégalité.
A priori, un acte illégal est un acte
qui n’est pas légal. Si l’on peut définir un acte légal, il est plus
difficile de dire ce qu’est un acte illégal. A quoi reconnait on qu’il est illégal ?
o
La légalité est la soumission de l’acte au droit.
L’illégalité est plus complexe, cela correspond à de multiples hypothèses où l’administration n’a pas respecté par la loi. Comment les appréhender ?
Pour
exprimer ces différents aspects de l’atteinte à la légalité, le JA a créé un
vocabulaire spécifique que l’on dénomme sous le terme des cas d’ouverture du recours pour excès de
pouvoir. Ce sont les différents arguments
susceptibles d’être invoqués devant le JA pour lui demander l’annulation d’un
acte. Ces cas d’ouverture sont
nombreux et il y en a un qui pose plus de difficulté qui est le contrôle des motifs de l’acte
administratif. Derrière lui, il y a la question du pouvoir discrétionnaire de l’administration qui justifie à elle
seule la création du REP.
section 1 : les differents cas d’ouverture
du recours pour excès de pouvoir
·
La première
classification des cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir a été
établie par Edouard
Lafferrière, lequel distinguait dans son traité 4 moyens
d’annulation :
- l’incompétence
- le vice de forme
- la violation de la loi et
- le
détournement de pouvoir.
·
Cette énumération est
progressivement devenue imparfaite. Cette classification ne fait pas référence
au vice de
procédure, et surtout elle ne tient pas compte de
l’extraordinaire développement du cas d’ouverture de la violation de la loi qui dans
le contentieux administratif moderne a une signification beaucoup plus large
que la violation directe de la loi par l’acte administratif et qui inclus les erreurs,
il intègre le raisonnement de
l’administration, les motifs qu’elle prend pour la décision.
·
On préfère aujourd’hui
une autre classification qui distingue entre les vices tenant à la légalité externe de
l’acte et les vices tenant à la légalité interne de l’acte. Cette distinction
correspond globalement à la distinction
courante entre la forme : compétence de l’autorité qui signe
l’acte, la forme de celui qui signe
l’acte (motivation), la procédure suivie
et le fond : c’est le contenu même
de l’acte, la manière dont l’administration a raisonné, les motifs de droit et de fait, sur le but
qu’elle poursuit (le détournement de
pouvoir).
Cette
distinction est importante car elle montre aussi que le JEP n’a pas une vision
figée de la légalité, il a en quelque sorte une approche dynamique puisqu’il
contrôle le raisonnement tenu par l’administration.
Le
juge administratif a une approche dynamique de l’illégalité. Or l’illégalité
d’un AA n’est pas quelque chose de statique.
Le JA
a une conception réaliste des illégalités, parfois il lui arrive de fermer les
yeux sur certaines illégalités.
paragraphe 1 : le juge administratif a une
approche dynamique de l’illegalité
·
Le contrôle qu’il
exerce ne se limite pas à censurer les actes qui vont heurter frontalement les
textes supérieurs. Le JA dans son contrôle va s’intéresser à ce qu’on pourrait
appeler les causes de l’acte
administratif. Il va contrôler le but
que poursuit l’auteur et il va en venir progressivement au contrôle des
motifs.
·
Ce caractère dynamique
du contrôle, Hauriou l’illustrait en disant que le JA n’hésitait pas à s’évader des limites de la pure égalité.
Cela veut dire qu’au 19ème siècle, les auteurs ont été embarrassés
pour décrire ce qu’était le recours pour excès de pouvoir, c’était un recours
qui n’existait pas auparavant. L’idée qui prévalait était que le JEP était tel
un juge de cassation. En vérité, cette analogie va céder et on va voir au
contraire qu’à l’inverse du juge de cassation, le recours pour excès de pouvoir
va bien au-delà du contrôle de la pure légalité et va jusqu’à l’appréciation
des questions de fait.
·
Aucune loi n’a jamais
institué le REP, c’est le CE qui l’a progressivement créé. Il faut adopter
plutôt une démarche historique : les auteurs du milieu du 19ème
avaient mis en avant la thèse du scandale. Le REP est là pour sanctionner
les illégalités les plus flagrantes commises par les autorités administratives :
l’incompétence, et la méconnaissance grossière des formes et procédures. On
parlait à cette époque de recours pour
excès de pouvoir et incompétence.
·
Progressivement, le CE
va développer, va élargir les cas d’ouverture. Il va mieux dissocier la procédure
de la forme,
il va dissocier le vice de forme et de procédure ; il va continuer à
censurer l’incompétence,
ces trois cas d’ouverture formant aujourd’hui les illégalités externes et le CE va
s’intéresser à la violation directe de
la loi et au détournement de
pouvoir.
- Le détournement de pouvoir est
l’idée que l’acte administratif a pu être pris dans un but illégitime, illicite. Quels sont ces mobiles ? La
jurisprudence a commencé à les cerner à partir des arrêts Pariset,
1975 et Laumonnier-Cariole. Une
décision administrative est illégale quand elle est prise dans un but étranger
à l’intérêt public,
ð Cela
peut être la poursuite d’un intérêt privé, en ce sens un arrêt de
1997, « commune des Jets » : un marché forain
avait uniquement pour but de protéger le commerce de localité. La difficulté du
détournement de pouvoir est d’en apporter la preuve.
ð Il
est admis par le CE que quand l’autorité compétente prend une décision dans un
intérêt exclusivement financier, elle commet un détournement de pouvoir, arrêt Beaugé 1924, à propos du maire de Biarritz qui au nom
de la moralité publique, avait interdit aux baigneurs et notamment aux
baigneuses de se déshabiller sur la plage indiquant qu’il n’y avait qu’un seul
endroit pour se déshabiller qui était les cabines payantes.
ð Un
autre exemple : Esvan,
1974, à propos d’une commune qui modifie un plan d’urbanisme uniquement
dans le but de faire baisser la valeur de terrain que la commune souhaite
acquérir.
v C’est un contrôle
d’utilisation difficile car il y a le problème de la preuve.
L’intérêt tout de même est que c’est un contrôle qui porte sur le but et qui
annonce le contrôle sur les motifs ; c’est en quelque sorte un contrôle
des motifs cachés.
- Il
développe aussi le contrôle de la violation de la loi. A priori c’est le cas
d’ouverture le plus frustre, contrôle de norme à norme. Est-ce que l’acte
administratif est contraire à la loi dans son contenu ?
o
De ce contrôle de la
violation de la loi va naître toute une série de cas d’ouverture nouveaux car
le juge administratif va s’intéresser non plus à la violation directe de la loi mais à la violation indirecte de la loi, c'est-à-dire les cas où
l’administration a mal appliqué la loi comme avec l’erreur de droit (j’applique un
texte mais pas de la bonne manière ou à des cas où le texte n’est pas
prévu) ; contrôle des éléments qui font que l’administration va mettre en
œuvre de la loi, contrôle des faits et comment elle qualifie les faits
juridiquement de l’espèce. Le contrôle du JA change de nature, du dispositif de
la décision, l’examen va remonter jusqu’aux motifs de la décision (motifs de droit/ de fait).
o
Le contrôle des motifs
de fait cache deux types de questions :
- L’erreur de
fait
(la loi prévoit que certaines activités sont interdites la nuit, un administré
se prête à ses activités le jour, il est sanctionné par l’administration qui
dans son dossier fait état que les faits se sont passés la nuit).
La qualification juridique des faits :
est ce que les faits justement appréciés relèvent bien de la qualification
juridique retenue par l’administration ? Dès lors que ces cas d’ouverture
sont admis, le recours pour excès de pouvoir va changer de nature. On est passé
à une régulation de l’action administrative.
Alibert nous
dit en 1927 que le CE est arrivé de la sorte à
s’attribuer des pouvoirs d’investigation sur le fond et sur les faits de telle
sorte que l’on doit regarder comme entaché d’excès de pouvoir tout acte qui est
juridiquement critiquable.
Désormais
avec le contrôle des motifs, le juge contrôle le raisonnement juridique tenu
par l’autorité qui prend l’acte. Ce contrôle porte sur les motifs de droit et
de fait :
- Le contrôle
de l’erreur de droit
C’est quand l’administration prend une
décision administrative en la fondant sur un texte mal interprété ou un texte
inapplicable à la situation.
ð Le
1er exemple est l’administration prend sa décision en s’appuyant sur
une norme illégale.
ð Le
2ème exemple est que l’erreur de droit consiste à faire une mauvaise interprétation de la loi, par
exemple une mauvaise interprétation du champ d’application de la loi.
Par
exemple, un fonctionnaire demande un report de sa date de départ à la retraite
et l’administration lui répond en se fondant sur une disposition qui concerne
la révision des pensions de retraite.
Autre
exemple, un président d’université qui refuse l’inscription d’étudiants en
première année en se fondant sur un certain nombre de critères sans
s’apercevoir que la loi sur l’anciennement supérieur interdit toute possibilité
de sélection à l’entrée.
- Le contrôle
de l’erreur de fait
Celle-ci
est plus complexe puisqu’elle se dédouble entre l’erreur de l’appréciation des faits
et l’erreur de
la qualification des faits. Ce contrôle de l’erreur de fait a été le
plus long à se mettre en place parce que l’on considérait que l’appréciation
des faits relevait du pouvoir discrétionnaire de l’administration et car on
considérait que le contrôle n’était pas la fonction du JA. En vérité, le droit
et les faits sont intimement liés. On ne peut pas dissocier l’examen du droit
de l’examen des faits. Qu’est ce qu’exécuter la loi ? c’est faire
application d’une règle générale à un cas concret.
>
L’exactitude matérielle des faits
Arrêt
Camino, 1916 :
un maire avait été révoqué par
le préfet pour ne pas avoir veillé à la décence d’un convoi funéraire, et il
lui était reproché d’avoir fait creuser une fosse trop petite par les agents
municipaux. Affaire est portée devant le CE et il s’aperçoit qu’aucune des
pièces attribuées au dossier ne permet de prouver l’exactitude matérielle des
faits. Le juge annule la décision de l’administration.
A ce
titre, il prépare le contrôle sur la qualification juridique des faits qui est
un contrôle plus subtil, plus complexe, et plus juridique
>
La qualification juridique des faits
Consiste pour le juge à vérifier si les
faits invoqués par l’administration sont de nature
à justifier la décision contestée.
Ce
contrôle a été inauguré par un arrêt tout aussi célèbre que le précédent qui
est l’arrêt Gomel de 1914 qui permet d’éclairer ce
qu’est ce type de contrôle. L’administration
avait été saisie d’une demande de permis de construire d’un particulier se
proposant de construire un immeuble en bordure de la place Beauvau. Elle
rejette cette demande en s’appuyant sur une loi sur l’urbanisme qui prévoit
qu’on peut refuser toute construction qui porterait atteinte à une perspective
monumentale. Le requérant, conteste cette décision de refus et forme donc un
recours pour excès de pouvoir devant le CE. Devant celui-ci, la question qui
est posée au juge au titre de la qualification juridique des faits est
double : il faut d’abord savoir si la place Beauvau est une perspective
monumentale ? Dans l’hypothèse où la place Beauvau serait bien une
perspective monumentale, il restera au juge à se poser une autre question qui
consiste à se demander si la construction projetée est de nature à porter
atteinte à cette perspective monumentale ? En l’espèce, le juge va annuler
le refus aux motifs que la place Beauvau n’est pas une perspective monumentale.
Ce
contrôle occupe une place très
importante,
- d’abord
pour une raison théorique qui
est que se cache derrière la QJF le contrôle de l’utilisation que fait
l’administration de son pouvoir discrétionnaire.
- D’un
point de vue pratique c’est un contrôle important car la plupart des textes de loi qui attribuent
des pouvoirs de décision aux autorités administratives subordonnent leur
exercice à une condition légale, c'est-à-dire une notion juridique plus ou
moins précise, qu’il s’agit alors pour le juge de confronter les données de
chaque espèce. Cette condition légale est plus ou moins précise et facile à
apprécier par le juge :
Ø Arrêt du 30 juin 2010 « Association
Promouvoir » : l’association
promouvoir avait exercé un recours devant le CE pour demander l’annulation du
visa d’exploitation en salle et était en cause un film « Baise
moi ». Ce visa d’exploitation avait
été assorti d’une interdiction pour les mineurs de 16 ans mais les auteurs du
recours prétendaient que le film avait un caractère pornographique et qu’il
aurait dû être interdit aux moins de 18 ans. L’affaire vient devant le CE et la
question qui se pose est de savoir s’il s’agit d’un film pornographique. Le JA
va utiliser pour aller dans ce sens, deux critères : d’abord s’interroger
si les scènes de sexe sont simulées ou non et ensuite savoir quelle était
l’intention du réalisateur et la qualité artistique du film.
Le CE
va estimer qu’il s’agit d’un film pornographique qui doit faire l’objet d’une
interdiction aux mineurs aux motifs que le film ne relevait pas l’intention du
réalisateur de dénoncer la violence faite aux femmes et il estime que dans ce
film il y a une accumulation de scènes non simulées donc film pornographique.
Le
commissaire du gouvernement avait une appréciation différente. Il avait jugé
que les qualités artistiques du film l’emportaient.
Derrière la qualification juridique des
faits, il y a parfois une part de subjectivité du juge ;
une opération de qualification n’est pas totalement neutre. Cela montre aussi
que qualifier revient souvent à créer du droit en donnant une règle à une
notion une portée juridique qu’elle n’a pas toujours immédiatement dans le
texte qui pose cette notion.
paragraphe 2 : le juge de l’exces de
pouvoir a une conception realiste de l’illegalite
Cela
veut dire que le JA ne censure pas toutes les irrégularités. Cela veut dire
ensuite qu’il lui arrive parfois de régulariser des illégalités.
A) Le
JA ne censure pas toutes les irrégularités
·
Cette question se pose
essentiellement au stade de l’irrégularité externe et en particulier quand
l’administration n’a pas respecté certaines obligations procédurales.
- Tous
les vices de procédure ne sont pas nécessairement sanctionnés par le juge, en
particulier, le CE distingue entre les formalités substantielles et les formalités non
substantielles et seule la méconnaissance des formalités
substantielles entraîne l’annulation de l’acte administratif.
o
Qu’est ce qu’une
formalité substantielle ? Elle est
substantielle quand elle est en mesure d’influencer le sens, le contenu de la
décision que prendra l’administration. Généralement, quand un texte
prescrit la consultation obligatoire d’un organe expert, le juge va considérer
que c’est une obligation substantielle.
Elle est de nature à priver
les administrés d’une garantie légale qui a été instituée en vue de les
protéger contre l’arbitraire administratif.
L’obligation de motivation est toujours un vice substantiel.
o
Il peut arriver qu’il y
ait des vices qui se révèlent non
substantiels : l’obligation de prendre une décision dans un certain délai, celui-ci est généralement
considéré comme indicatif.
- Le
juge peut être aussi amené à prendre en compte les circonstances de l’espèce pour refuser d’annuler un acte qui est a
priori illégal.
o
C’est le cas notamment
de la théorie
des formalités impossibles ou inutiles. Exemple de mise en œuvre de
la théorie des
formalités impossibles : la loi prescrit la consultation d’une
commission, il se trouve que le décret qui devait instituer la commission n’a
pas été pris, on doit consulter la commission mais celle-ci n’existe pas. Le
juge administratif considère qu’on est dans l’hypothèse d’une formalité
impossible à respecter.
o
Proche de la théorie
des formalités impossibles est la théorie des formalités inutiles :
l’administration devait suivre une procédure mais ne la suit pas et suit une
autre procédure qui ressemble et qui a des effets équivalents.
o
Enfin, troisième
illustration est l’idée qu’en cas
d’urgence, quand il faut décider vite pour traiter une question qui fait
problème, il arrive que la loi dispense l’administration du respect des formes
et des procédures prévues normalement. C’est le cas de la loi du 11 juillet
1979 sur la motivation des actes administratifs.
B) Le
juge administratif peut régulariser des actes illégaux
Deux
techniques :
- La technique
de neutralisation des motifs illégaux : l’administration prend
une décision, elle l’appuie sur une pluralité de motifs parmi tous ces motifs,
la plupart sont illégaux (erreur de droit, erreur de fait) mais il y en a un qui est valable et du coup,
l’administration va ignorer les motifs illégaux pour ne retenir que le motif
légal, considérant que l’administration
aurait pu prendre la même décision si elle s’était fondée sur le motif légal.
- Deuxième
technique est la substitution de motifs : hypothèse où l’administration est en situation de compétence liée, c'est-à-dire
que la loi l’oblige à prendre une décision dans une certaine situation. Or, prenant cette décision,
l’administration l’appuie sur des motifs qui ne sont pas corrects. Dans ce
cas là, le juge plutôt que d’annuler procède de lui-même à la substitution de
motifs. Deux types de motifs peuvent être substitués : les motifs de droit (substitution de
base légale) et motifs de fait.
Tout
cela démontre que le juge a une conception réaliste de la légalité.
Section 2 : contrôle de la qualification
juridique des faits en tant que technique d’encadrement du pouvoir
discretionnaire
·
L’histoire du
contentieux de l’excès de pouvoir est marquée par l’élargissement des cas
d’ouverture.
§ A
partir des années 1950, et jusqu’aux années 1980, on va assister à un autre
type d’évolution qui va consister dans le perfectionnement
des techniques du contrôle des motifs où en fonction de la manière dont les
textes organisent le pouvoir de décision de l’administration, le juge va
chercher et va développer des techniques particulières de contrôle (théorie du bilan,
contrôle de
proportionnalité…).
§ Ce
sont des techniques qui illustrent deux idées :
- le contrôle du juge de
l’excès de pouvoir peut donc être variable, il est plus ou moins
poussé et c’est généralement fonction des textes de loi qui encadrent le
pouvoir de décision de l’administration. S’il y a une condition légale, le
contrôle du juge sera poussé. Il peut arriver qu’en l’absence de condition
légale, le juge en pose une. Les auteurs cherchent à faire des classifications
en parlant du contrôle minimum, du contrôle maximum, du contrôle normal. Le
contrôle des motifs est un contrôle variable, alors que les autres sont
toujours du même contrôle.
- La
tendance de jurisprudence administrative a été d’intensifier ce contrôle pour
toujours mieux contrôler l’administration. Intensification du contrôle.
paragraphe 1 : l’intensite variable du
contrôle juridictionnel
·
L’hypothèse
la plus fréquente est que le pouvoir de décision soit conditionné par le texte
de loi qui lui reconnait ce pouvoir. L’action administrative est
alors encadrée de manière précise par le texte. Dans cette hypothèse, le juge
est amené à exercer un contrôle entier ou un contrôle plénier, on parle aussi de contrôle normal.
·
Dans
d’autres cas, les textes vont laisser à l’administration une grande liberté de
choix lui permettant d’adapter sa décision aux circonstances de l’espèce et de
prendre la décision la plus opportune. On est en face de ce que
l’on appelle le pouvoir
discrétionnaire. Dans ce cas là, le juge ne va pas pouvoir exercer
un contrôle plénier mais qu’un contrôle restreint, de manière à ne pas paralyser la liberté de choix laissé à
l’administration par la loi. Le juge n’exerce pas le contrôle de la qualification
juridique des faits. Progressivement, même dans ce cas où le texte
laisse une grande possibilité de choix à l’administration, le juge pose une
condition légale : quand l’administration dispose du pouvoir discrétionnaire,
cette liberté de choix ne va pas jusqu’à la liberté de prendre une décision
absurde ou disproportionnée : le juge contrôle l’erreur manifeste d’appréciation.
v Dans le cadre d’une
même décision, il peut y avoir plusieurs temps dans le raisonnement juridique, et
en fonction des textes, un temps du raisonnement peut faire l’objet d’un contrôle minimum et un autre temps peut
faire l’objet d’un contrôle normal :
ex : le contentieux des sanctions disciplinaires dans la fonction
publique. La première étape du raisonnement consiste à vérifier si le
fonctionnaire a commis une faute de nature à justifier une sanction. La 2ème
étape du raisonnement consiste à vérifier si la sanction choisie par
l’administration est adaptée et généralement les textes prévoient une liste de
sanctions qui vont de la révocation à l’avertissement, le blâme… Le juge
exerce d’abord un contrôle plénier, puis le juge opère un contrôle minimum en
se demandant si l’autorité hiérarchique a pris la sanction la plus adaptée.
A) Le
juge se livre à un contrôle plénier à chaque fois que l’administration est
tenue au respect d’une condition légale
Il y a
en vérité plusieurs hypothèses :
- Le texte pose de
lui-même une condition légale précise et le juge va naturellement vérifier que
les faits de l’espèce correspondent à cette condition légale.
o
Mais il arrive
fréquemment que la condition légale posée par le texte n’est pas toujours très
précise de la faute disciplinaire.
L’une des difficultés est que certains
textes font appelle à des conditions légales qui sont plus ou moins vagues ou
indéterminées. Ces conditions légales font référence à un
type de contrôle normal. Or il est
difficile de déterminer la normalité. La loi fait référence à ce que l’on
appelle des standards :
la bonne foi, l’aptitude professionnelle. Généralement, cette condition légale n’est contraignante que dans la mesure où elle a
été précisée par la jurisprudence.
- Il arrive au juge de
concrétiser une condition légale floue posée par un texte.
Cette affaire intéresse le contentieux des mesures de police. L’usage de
l’administration par ses pouvoirs de police est conditionné par la loi par
l’existence d’un trouble pour l’ordre public. Or si la loi précise que l’ordre
public comprend la protection de la sécurité, de la salubrité, de la tranquillité
publique, elle ne dit pas concrètement dans quel cas on doit
considérer que cet ordre public est menacé. C’est au juge de dire dans quelle
mesure et dans quelle espèce si les faits des circonstances constituent un
trouble ou une menace à l’ordre public.
ð Dans l’affaire Abbé Olivier, la
question était de savoir si les manifestations à caractère religieux sur la
voie publique constituaient un trouble à l’ordre public. Le CE va être amené à
préciser en quoi il y a trouble à l’ordre public : le CE distingue entre deux types de manifestations religieuses, il
distingue entre les processions
religieuses et les convois
funéraires. Le CE juge qu’autant un maire est fondé à interdire sur la voie
publique les processions religieuses, mais qu’à l’inverse un maire n’est pas
fondé à utiliser ses pouvoirs de police pour interdire les funérailles
religieuses.
- Une
sorte d’excroissance du contrôle entier est ce qu’on appelle le contrôle maximum.
C’est quand le
juge soumet l’administration à une condition qui n’existait pas dans les textes
et qui l’amène à transformer ce qui était au regard des textes une question
d’opportunité en une question de légalité soumise au contrôle du juge.
ð On
peut la citer dans l’arrêt Benjamin du 19 mai 1933
où le juge a ajouté une condition légale puisqu’il a exigé que pour qu’une
mesure de police soit légale il fallait qu’elle soit proportionnée aux circonstances mais aussi qu’elle soit nécessaire. Ici on est bien dans le
contrôle maximum puisque le juge contrôle d’une certaine manière l’opportunité
de la décision.
Le
contrôle maximum est longtemps resté réservé au contrôle de police mais on va
voir que ce contrôle maximum est étendu ensuite à d’autres hypothèses
ð comme
les autorisations de licenciement des salariés protégés (CE, 1976 SAFER
d’Auvergne c/ Bernett). Aussi en 1973, Ville de Limoges !!!
ð mais surtout l’extension la plus remarquable
est la question du contrôle des
déclarations d’utilité publique dans le cadre des mesures d’expropriation,
qui a été développé par un arrêt de 1971, Ville Nouvelle
Est : le CE va se livrer au contrôle du bilan pour vérifier si
une opération d’aménagement est d’utilité publique. Jusqu’à 1971, le juge se
bornait à un contrôle formel de la condition légale, il vérifiait si
l’opération était prise dans un but d’utilité publique, si l’objectif poursuivi
était bien d’utilité publique. Utilité publique et intérêt public étaient
synonymes et il fallait des situations extravagantes pour que le juge annule
(seulement quelques cas). A partir de 1971, le JA va pousser plus loin son
contrôle, va chercher à apprécier au cas par cas l’utilité publique, il ne va
pas y avoir de présomption, tout va dépendre des circonstances de l’espèce et
le juge va se livrer à un bilan coût avantage pour savoir s’il y a utilité
publique. Ce bilan coût-avantage vient de l’arrêt de principe Ville nouvelle
est : « une opération ne peut légalement être déclarée d’utilité
publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier, les
inconvénients d’ordre social ou les atteintes à d’autres intérêts publics ne
sont pas excessifs eu égard à l’intérêt général que présente
l’opération ». Les inconvénients du projet que l’on apprécie en termes
d’atteinte à la propriété privée ne doivent pas excéder les avantages attendus
de la réalisation du projet.
·
Il s’agit pour le juge
de se livrer à un contrôle de proportionnalité entre les moyens utilisés et les
fins poursuivies. Le juge intègre dans son raisonnement des
éléments qui sont ceux tenus par un administrateur, un politique.
·
Le
juge ne se fait pour autant pas le juge de l’opportunité de l’expropriation :
le contrôle du tracé d’une ligne TGV qui serait susceptible de dévaster des
vignobles. Ce que fait le juge est qu’il vérifie si le choix de ce tracé ne
présente pas plus d’inconvénients que d’avantages, cependant il ne se substitue
pas à la décision de l’administration et il ne va pas dire s’il y a un tracé
qui serait mieux adapté.
v Quel
est le bilan du bilan ? il y a eu très peu de décisions d’annulation, en
dépit de la théorie du bilan, la jurisprudence a toujours tendance à considérer
que les avantages d’une opération excèdent ses inconvénients.
Quand le juge annule, c’est que le bilan est
manifestement négatif. On a un exemple qui est l’arrêt de 1997,
CE, Affaire de l’autoroute transchablaisienne : autoroute qui
devait reliée Thonon à Anemas. Cette autoroute avait un coût financier énorme,
cette autoroute s’arrêtait à Anemas alors qu’elle devait être prolongée en
Suisse. Le CE annule.
A l’inverse, un arrêt de 1997, Commune de Saint
Germain en Lès, construction d’une autoroute (A14), destinée à
relier Paris à la Normandie. Le problème de l’autoroute est qu’elle passe à
proximité d’un site classé historique, donc atteinte et le CE a jugé que la
déclaration d’utilité publique était légale car ce qui était en cause était
l’amélioration du trafic routier sur l’ouest parisien.
Le
juge ne fait alors que censurer les bilans que très disproportionnés, que la
théorie du bilan ne relève pas du contrôle maximum mais du contrôle minimum.
Les
DUP pour les projets d’intérêt nationaux sont adoptées par décret du 1er
ministre après avis de la section des travaux publics du CE et certains dès
lors défendent l’idée que le bilan joue à titre préventif devant la section des
travaux publics du CE.
B) Le
juge se livre à un contrôle restreint chaque fois que l’administration est
laissée libre de sa décision
- On
est dans l’hypothèse où les textes n’ont fixé aucunes conditions légales, c’est
l’exemple en matière fiscale des remises gracieuses. !!
- Il y
a un autre exemple qui est lorsqu’il y a une condition légale, mais elle est
d’une technicité telle que le juge n’est pas en mesure de l’apprécier. Un
viticulteur qui demande l’AOC. L’organe lui refuse ce label après examen. Il
fait un recours au CE mais le CE ne va rien faire.
Le
ministère de la santé produit chaque année une liste des substances toxiques.
Imaginons un laboratoire qui conteste l’inscription du médiator sur la liste
des produits toxiques, le juge ne peut rien faire.
L’administrateur
de la comédie française établit chaque année la liste des pièces qui seront au
programme. Imaginons qu’un auteur conteste sa non inscription, le juge ne peut
pas contrôlé.
C’était
le cas pour la police des étrangers. Le juge refusait de contrôler et
n’exerçait pas le contrôle de la QJF.
Le CE
va dans les années 70 élargir le contrôle minimum à ce qu’on appelle l’erreur manifeste
d’appréciation. C’est l’idée que même quand l’administration a un
pouvoir discrétionnaire, le juge doit vérifier que la décision n’est pas
aberrante, n’entraine pas sur les intérêts des conséquences d’une gravité
exceptionnelle. C’est mettre en pratique les conseils d’Ihering qui disait
« on ne tire pas au canon sur les moineaux ».
Le CE
a développé cette technique dans un arrêt de 1973 qui est l’arrêt
Librairie françois Maspero à propos de l’interdiction de reproduire
en France des publications étrangères et en l’espèce une revue cubaine qui
appelait à la révolution. Ce qu’explique Guy Braibant est que le pouvoir discrétionnaire
comporte le droit de se tromper mais non celui de commettre une erreur
manifeste c'est-à-dire à la fois apparente et grave dans ses conséquences.
C’est une forme de nouvelle condition légale posée par le juge. Ce contrôle
minimum est la règle partout où l’administration est investie d’un pouvoir
discrétionnaire. L’une des difficultés est de savoir quand il y a erreur
manifeste d’appréciation. Voila une question laissée à l’appréciation du juge.
Il y a erreur manifeste d’appréciation quand le juge le dit. L’affaire Maspero
est intéressante car il y a eu une divergence entre le commissaire du
gouvernement considérant qu’il y avait EMA et juge qui ont dit non.
Quels
étaient les faits de l’affaire ? à l’origine, une publication cubaine qui
paraissait en France a été interdite par le ministre de l’intérieur pour
atteinte à la sécurité publique. La librairie Maspero cherche à contourner l’interdiction,
publie une revue française qui reprend certains des articles de la revue
cubaine. Nouvelle décision du ministre de l’intérieur qui interdit la
publication de la revue française. Devant le CE, la discussion au contentieux
est la suivante : la revue française ne fait que reprendre certains
articles de la revue cubaine, tous les numéros de la revue française ne
reprennent pas les articles de la revue cubaine, l’interdiction de l’ensemble
de la revue est absolue. Le ministre de l’intérieur a alors commis une EMA.
paragraphe 2 : l’intensification constante
du contrôle juridictionnel
Il y a
deux tendances dans le contentieux de l’excès de pouvoir contemporain :
- Politique
jurisprudentielle du CE qui est à l’approfondissement de son contrôle. La
où il exerçait un contrôle minimum, il exerce un contrôle de l’erreur manifeste
d’appréciation ; la où il exerçait un contrôle normal, il a tendance à
exercer un contrôle maximum.
Plus récemment, abandon du contrôle minime même
élargi à l’erreur manifeste d’appréciation pour exercer un contrôle
entier : exemple, le refus d’autoriser l’ouverture d’une pharmacie, arrêt
1983 Thevenot)
Mulsant, 1983, le
refus d’admettre un candidat à concourir aux épreuves d’un concours d’entre à
la fonction publique.
Le contentieux de l’expulsion des étrangers
selon la procédure dite d’urgence d’absolue.
- La deuxième tendance
est l’utilisation du contrôle de proportionnalité qui entraine la diffusion du
contrôle normal. Quand l’administration prend une mesure,
celle-ci doit être en tout point adaptée aux circonstances qui la justifient et
ce contrôle de proportionnalité trouve notamment à s’appliquer dans le
contentieux des étrangers, par un biais qui est la CEDH, dont de nombreux
articles prévoient que toutes limitations apportées à ces droits pour des
motifs d’OP doivent être strictement proportionnés aux objectifs poursuivies et
aux circonstances de l’espèce.
Aujourd’hui
les requérants ont tout intérêt à invoquer la CEDH car invoquant la CEDH, cela
oblige le juge à procéder à un contrôle de proportionnalité.
v L’une des dernières
questions qui se pose est de savoir si la diffusion du contrôle de
proportionnalité ne remet pas en cause le REP ? La
proportionnalité suppose donc toujours que l’administration prenne la mesure la
plus adaptée et donc que le juge soit amené à corriger en ce sens les décisions
de l’administration qui ne seraient pas adaptées à la situation. Le problème se
pose dans le contentieux des sanctions, parfois exercer le contrôle de
proportionnalité conduit non pas à annuler la sanction mais simplement à la
diminuer donc cela suppose de reconnaitre au juge un pouvoir de réformation
qu’il n’a pas au titre du recours pour excès de pouvoir. Sous la pression du
droit européen, le législateur institue de plus en plus souvent dans le
contentieux des sanctions des recours spéciaux qui sont des recours de pleine
juridiction où le juge va avoir le pouvoir de réformer la sanction donc l’une
des questions qui se pose est de savoir s’il faut généraliser ce pouvoir de réformation
ou pas dans le contentieux des sanctions, auquel cas cela veut dire que le
contentieux de l’excès de pouvoir devra évolué ou être remplacé par un autre
recours.