mercredi 5 octobre 2016

LES CONFINS DE LA LEGALITE

Matières, situations où le juge ne contrôle pas le respect de la loi ou adapte son contrôle aux circonstances exceptionnelles dans lesquelles l’administration a agi. Cela recouvre deux types de situation, de véritables exception au principe de légalité (actes injusticiables) : deux types d’acte injusticiables :
-      Les actes de gouvernement qui ont une sorte de contenue politique (arrêt Principe Napoléon de 1875)
-      Les mesures d’ordre intérieur qui sont prises notamment dans les prisons à l’égard des détenues, dans les établissements scolaires à l’égard des élèves ou dans les casernes à l’égard des militaires ; personnes soumises à autorité hiérarchique particulière. Le juge ne contrôle pas les mesures d’ordre intérieur sauf que le champ de ces mesures tend à se réduire (arrêt Hardouin et Marie 1995).
Il y a aussi les adaptations au principe de légalité : on est dans des hypothèses où le juge adapte la légalité pour tenir compte des impératifs auxquels se sont heurtés les autorités administratives, cela correspond essentiellement à la théorie des circonstances exceptionnelles (arrêt 1918 Heyriès ; et l’arrêt 1919 Dame Daule et Laurent).


LE CONTROLE DU JEP SUR LA LEGALITE DES ACTES ADMINISTRATIFS


·        Le JA quand il est saisi d’un REP, il doit vérifier si l’acte est entaché ou non d’illégalité. A priori, un acte illégal est un acte qui n’est pas légal. Si l’on peut définir un acte légal, il est plus difficile de dire ce qu’est un acte illégal. A quoi reconnait on qu’il est illégal ?
o   La légalité est la soumission de l’acte au droit. L’illégalité est plus complexe, cela correspond à de multiples hypothèses où l’administration n’a pas respecté par la loi. Comment les appréhender ?
Pour exprimer ces différents aspects de l’atteinte à la légalité, le JA a créé un vocabulaire spécifique que l’on dénomme sous le terme des cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir. Ce sont les différents arguments susceptibles d’être invoqués devant le JA pour lui demander l’annulation d’un acte. Ces cas d’ouverture sont nombreux et il y en a un qui pose plus de difficulté qui est le contrôle des motifs de l’acte administratif. Derrière lui, il y a la question du pouvoir discrétionnaire de l’administration qui justifie à elle seule la création du REP.

section 1 : les differents cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir


·        La première classification des cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir a été établie par Edouard Lafferrière, lequel distinguait dans son traité 4 moyens d’annulation :
-      l’incompétence
-       le vice de forme
-       la violation de la loi et
-      le détournement de pouvoir.

·        Cette énumération est progressivement devenue imparfaite. Cette classification ne fait pas référence au vice de procédure, et surtout elle ne tient pas compte de l’extraordinaire développement du cas d’ouverture de la violation de la loi qui dans le contentieux administratif moderne a une signification beaucoup plus large que la violation directe de la loi par l’acte administratif et qui inclus les erreurs, il intègre le raisonnement de l’administration, les motifs qu’elle prend pour la décision.

·        On préfère aujourd’hui une autre classification qui distingue entre les vices tenant à la légalité externe de l’acte et les vices tenant à la légalité interne de l’acte. Cette distinction correspond globalement à la distinction courante entre la forme : compétence de l’autorité qui signe l’acte, la forme de celui qui signe l’acte (motivation), la procédure suivie et le fond : c’est le contenu même de l’acte, la manière dont l’administration a raisonné, les motifs de droit et de fait, sur le but qu’elle poursuit (le détournement de pouvoir).
Cette distinction est importante car elle montre aussi que le JEP n’a pas une vision figée de la légalité, il a en quelque sorte une approche dynamique puisqu’il contrôle le raisonnement tenu par l’administration.
Le juge administratif a une approche dynamique de l’illégalité. Or l’illégalité d’un AA n’est pas quelque chose de statique.
Le JA a une conception réaliste des illégalités, parfois il lui arrive de fermer les yeux sur certaines illégalités.

paragraphe 1 : le juge administratif a une approche dynamique de l’illegalité


·        Le contrôle qu’il exerce ne se limite pas à censurer les actes qui vont heurter frontalement les textes supérieurs. Le JA dans son contrôle va s’intéresser à ce qu’on pourrait appeler les causes de l’acte administratif. Il va contrôler le but que poursuit l’auteur et il va en venir progressivement au contrôle des motifs.

·        Ce caractère dynamique du contrôle, Hauriou l’illustrait en disant que le JA n’hésitait pas à s’évader des limites de la pure égalité. Cela veut dire qu’au 19ème siècle, les auteurs ont été embarrassés pour décrire ce qu’était le recours pour excès de pouvoir, c’était un recours qui n’existait pas auparavant. L’idée qui prévalait était que le JEP était tel un juge de cassation. En vérité, cette analogie va céder et on va voir au contraire qu’à l’inverse du juge de cassation, le recours pour excès de pouvoir va bien au-delà du contrôle de la pure légalité et va jusqu’à l’appréciation des questions de fait.


·        Aucune loi n’a jamais institué le REP, c’est le CE qui l’a progressivement créé. Il faut adopter plutôt une démarche historique : les auteurs du milieu du 19ème avaient mis en avant la thèse du scandale. Le REP est là pour sanctionner les illégalités les plus flagrantes commises par les autorités administratives : l’incompétence, et la méconnaissance grossière des formes et procédures. On parlait à cette époque de recours pour excès de pouvoir et incompétence.
·        Progressivement, le CE va développer, va élargir les cas d’ouverture. Il va mieux dissocier la procédure de la forme, il va dissocier le vice de forme et de procédure ; il va continuer à censurer l’incompétence, ces trois cas d’ouverture formant aujourd’hui les illégalités externes et le CE va s’intéresser à la violation directe de la loi et au détournement de pouvoir.

-      Le détournement de pouvoir est l’idée que l’acte administratif a pu être pris dans un but illégitime, illicite. Quels sont ces mobiles ? La jurisprudence a commencé à les cerner à partir des arrêts Pariset, 1975 et Laumonnier-Cariole. Une décision administrative est illégale quand elle est prise dans un but étranger à l’intérêt public,
ð Cela peut être la poursuite d’un intérêt privé, en ce sens un arrêt de 1997,  « commune des Jets » : un marché forain avait uniquement pour but de protéger le commerce de localité. La difficulté du détournement de pouvoir est d’en apporter la preuve.
ð Il est admis par le CE que quand l’autorité compétente prend une décision dans un intérêt exclusivement financier, elle commet un détournement de pouvoir, arrêt Beaugé 1924, à propos du maire de Biarritz qui au nom de la moralité publique, avait interdit aux baigneurs et notamment aux baigneuses de se déshabiller sur la plage indiquant qu’il n’y avait qu’un seul endroit pour se déshabiller qui était les cabines payantes.
ð Un autre exemple : Esvan, 1974, à propos d’une commune qui modifie un plan d’urbanisme uniquement dans le but de faire baisser la valeur de terrain que la commune souhaite acquérir.

v C’est un contrôle d’utilisation difficile car il y a le problème de la preuve. L’intérêt tout de même est que c’est un contrôle qui porte sur le but et qui annonce le contrôle sur les motifs ; c’est en quelque sorte un contrôle des motifs cachés.

-      Il développe aussi le contrôle de la violation de la loi. A priori c’est le cas d’ouverture le plus frustre, contrôle de norme à norme. Est-ce que l’acte administratif est contraire à la loi dans son contenu ?

o   De ce contrôle de la violation de la loi va naître toute une série de cas d’ouverture nouveaux car le juge administratif va s’intéresser non plus à la violation directe de la loi mais à la violation indirecte de la loi, c'est-à-dire les cas où l’administration a mal appliqué la loi comme avec l’erreur de droit (j’applique un texte mais pas de la bonne manière ou à des cas où le texte n’est pas prévu) ; contrôle des éléments qui font que l’administration va mettre en œuvre de la loi, contrôle des faits et comment elle qualifie les faits juridiquement de l’espèce. Le contrôle du JA change de nature, du dispositif de la décision, l’examen va remonter jusqu’aux motifs de la décision (motifs de droit/ de fait).

o   Le contrôle des motifs de fait cache deux types de questions :

-      L’erreur de fait (la loi prévoit que certaines activités sont interdites la nuit, un administré se prête à ses activités le jour, il est sanctionné par l’administration qui dans son dossier fait état que les faits se sont passés la nuit).

La qualification juridique des faits : est ce que les faits justement appréciés relèvent bien de la qualification juridique retenue par l’administration ? Dès lors que ces cas d’ouverture sont admis, le recours pour excès de pouvoir va changer de nature. On est passé à une régulation de l’action administrative.
Alibert nous dit en 1927 que le CE est arrivé de la sorte à s’attribuer des pouvoirs d’investigation sur le fond et sur les faits de telle sorte que l’on doit regarder comme entaché d’excès de pouvoir tout acte qui est juridiquement critiquable.
Désormais avec le contrôle des motifs, le juge contrôle le raisonnement juridique tenu par l’autorité qui prend l’acte. Ce contrôle porte sur les motifs de droit et de fait :

-      Le contrôle de l’erreur de droit
C’est quand l’administration prend une décision administrative en la fondant sur un texte mal interprété ou un texte inapplicable à la situation.
ð Le 1er exemple est l’administration prend sa décision en s’appuyant sur une norme illégale.
ð Le 2ème exemple est que l’erreur de droit consiste à faire une mauvaise interprétation de la loi, par exemple une mauvaise interprétation du champ d’application de la loi.
Par exemple, un fonctionnaire demande un report de sa date de départ à la retraite et l’administration lui répond en se fondant sur une disposition qui concerne la révision des pensions de retraite.
Autre exemple, un président d’université qui refuse l’inscription d’étudiants en première année en se fondant sur un certain nombre de critères sans s’apercevoir que la loi sur l’anciennement supérieur interdit toute possibilité de sélection à l’entrée.

-      Le contrôle de l’erreur de fait
Celle-ci est plus complexe puisqu’elle se dédouble entre l’erreur de l’appréciation des faits et l’erreur de la qualification des faits. Ce contrôle de l’erreur de fait a été le plus long à se mettre en place parce que l’on considérait que l’appréciation des faits relevait du pouvoir discrétionnaire de l’administration et car on considérait que le contrôle n’était pas la fonction du JA. En vérité, le droit et les faits sont intimement liés. On ne peut pas dissocier l’examen du droit de l’examen des faits. Qu’est ce qu’exécuter la loi ? c’est faire application d’une règle générale à un cas concret.
>        L’exactitude matérielle des faits
Arrêt Camino, 1916 : un maire avait été révoqué par le préfet pour ne pas avoir veillé à la décence d’un convoi funéraire, et il lui était reproché d’avoir fait creuser une fosse trop petite par les agents municipaux. Affaire est portée devant le CE et il s’aperçoit qu’aucune des pièces attribuées au dossier ne permet de prouver l’exactitude matérielle des faits. Le juge annule la décision de l’administration.
A ce titre, il prépare le contrôle sur la qualification juridique des faits qui est un contrôle plus subtil, plus complexe, et plus juridique
>        La qualification juridique des faits
Consiste pour le juge à vérifier si les faits invoqués par l’administration sont de nature à justifier la décision contestée.
Ce contrôle a été inauguré par un arrêt tout aussi célèbre que le précédent qui est l’arrêt Gomel de 1914 qui permet d’éclairer ce qu’est ce type de contrôle. L’administration avait été saisie d’une demande de permis de construire d’un particulier se proposant de construire un immeuble en bordure de la place Beauvau. Elle rejette cette demande en s’appuyant sur une loi sur l’urbanisme qui prévoit qu’on peut refuser toute construction qui porterait atteinte à une perspective monumentale. Le requérant, conteste cette décision de refus et forme donc un recours pour excès de pouvoir devant le CE. Devant celui-ci, la question qui est posée au juge au titre de la qualification juridique des faits est double : il faut d’abord savoir si la place Beauvau est une perspective monumentale ? Dans l’hypothèse où la place Beauvau serait bien une perspective monumentale, il restera au juge à se poser une autre question qui consiste à se demander si la construction projetée est de nature à porter atteinte à cette perspective monumentale ? En l’espèce, le juge va annuler le refus aux motifs que la place Beauvau n’est pas une perspective monumentale.
Ce contrôle occupe une place très importante,
-      d’abord pour une raison théorique qui est que se cache derrière la QJF le contrôle de l’utilisation que fait l’administration de son pouvoir discrétionnaire.

-      D’un point de vue pratique c’est un contrôle important car la plupart des textes de loi qui attribuent des pouvoirs de décision aux autorités administratives subordonnent leur exercice à une condition légale, c'est-à-dire une notion juridique plus ou moins précise, qu’il s’agit alors pour le juge de confronter les données de chaque espèce. Cette condition légale est plus ou moins précise et facile à apprécier par le juge :


Ø  Arrêt du 30 juin 2010 « Association Promouvoir » : l’association promouvoir avait exercé un recours devant le CE pour demander l’annulation du visa d’exploitation en salle et était en cause un film « Baise moi ».  Ce visa d’exploitation avait été assorti d’une interdiction pour les mineurs de 16 ans mais les auteurs du recours prétendaient que le film avait un caractère pornographique et qu’il aurait dû être interdit aux moins de 18 ans. L’affaire vient devant le CE et la question qui se pose est de savoir s’il s’agit d’un film pornographique. Le JA va utiliser pour aller dans ce sens, deux critères : d’abord s’interroger si les scènes de sexe sont simulées ou non et ensuite savoir quelle était l’intention du réalisateur et la qualité artistique du film.
Le CE va estimer qu’il s’agit d’un film pornographique qui doit faire l’objet d’une interdiction aux mineurs aux motifs que le film ne relevait pas l’intention du réalisateur de dénoncer la violence faite aux femmes et il estime que dans ce film il y a une accumulation de scènes non simulées donc film pornographique.
Le commissaire du gouvernement avait une appréciation différente. Il avait jugé que les qualités artistiques du film l’emportaient.
Derrière la qualification juridique des faits, il y a parfois une part de subjectivité du juge ; une opération de qualification n’est pas totalement neutre. Cela montre aussi que qualifier revient souvent à créer du droit en donnant une règle à une notion une portée juridique qu’elle n’a pas toujours immédiatement dans le texte qui pose cette notion.

paragraphe 2 : le juge de l’exces de pouvoir a une conception realiste de l’illegalite


Cela veut dire que le JA ne censure pas toutes les irrégularités. Cela veut dire ensuite qu’il lui arrive parfois de régulariser des illégalités.

A) Le JA ne censure pas toutes les irrégularités
·        Cette question se pose essentiellement au stade de l’irrégularité externe et en particulier quand l’administration n’a pas respecté certaines obligations procédurales.

-      Tous les vices de procédure ne sont pas nécessairement sanctionnés par le juge, en particulier, le CE distingue entre les formalités substantielles et les formalités non substantielles et seule la méconnaissance des formalités substantielles entraîne l’annulation de l’acte administratif.
o   Qu’est ce qu’une formalité substantielle ? Elle est substantielle quand elle est en mesure d’influencer le sens, le contenu de la décision que prendra l’administration. Généralement, quand un texte prescrit la consultation obligatoire d’un organe expert, le juge va considérer que c’est une obligation substantielle.
Elle est de nature à priver les administrés d’une garantie légale qui a été instituée en vue de les protéger contre l’arbitraire administratif. L’obligation de motivation est toujours un vice substantiel.

o   Il peut arriver qu’il y ait des vices qui se révèlent non substantiels : l’obligation de prendre une décision dans un certain délai, celui-ci est généralement considéré comme indicatif.

-      Le juge peut être aussi amené à prendre en compte les circonstances de l’espèce pour refuser d’annuler un acte qui est a priori illégal.

o   C’est le cas notamment de la théorie des formalités impossibles ou inutiles. Exemple de mise en œuvre de la théorie des formalités impossibles : la loi prescrit la consultation d’une commission, il se trouve que le décret qui devait instituer la commission n’a pas été pris, on doit consulter la commission mais celle-ci n’existe pas. Le juge administratif considère qu’on est dans l’hypothèse d’une formalité impossible à respecter.

o   Proche de la théorie des formalités impossibles est la théorie des formalités inutiles : l’administration devait suivre une procédure mais ne la suit pas et suit une autre procédure qui ressemble et qui a des effets équivalents.


o   Enfin, troisième illustration est l’idée qu’en cas d’urgence, quand il faut décider vite pour traiter une question qui fait problème, il arrive que la loi dispense l’administration du respect des formes et des procédures prévues normalement. C’est le cas de la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs.
B) Le juge administratif peut régulariser des actes illégaux
Deux techniques :
-      La technique de neutralisation des motifs illégaux : l’administration prend une décision, elle l’appuie sur une pluralité de motifs parmi tous ces motifs, la plupart sont illégaux (erreur de droit, erreur de fait) mais il y en a un qui est valable et du coup, l’administration va ignorer les motifs illégaux pour ne retenir que le motif légal, considérant que l’administration aurait pu prendre la même décision si elle s’était fondée sur le motif légal.

-      Deuxième technique est la substitution de motifs : hypothèse où l’administration est en situation de compétence liée, c'est-à-dire que la loi l’oblige à prendre une décision dans une certaine situation. Or, prenant cette décision, l’administration l’appuie sur des motifs qui ne sont pas corrects. Dans ce cas là, le juge plutôt que d’annuler procède de lui-même à la substitution de motifs. Deux types de motifs peuvent être substitués : les motifs de droit (substitution de base légale) et motifs de fait. 
Tout cela démontre que le juge a une conception réaliste de la légalité.

Section 2 : contrôle de la qualification juridique des faits en tant que technique d’encadrement du pouvoir discretionnaire


·        L’histoire du contentieux de l’excès de pouvoir est marquée par l’élargissement des cas d’ouverture.

§  A partir des années 1950, et jusqu’aux années 1980, on va assister à un autre type d’évolution qui va consister dans le perfectionnement des techniques du contrôle des motifs où en fonction de la manière dont les textes organisent le pouvoir de décision de l’administration, le juge va chercher et va développer des techniques particulières de contrôle (théorie du bilan, contrôle de proportionnalité…).

§  Ce sont des techniques qui illustrent deux idées :


-      le contrôle du juge de l’excès de pouvoir peut donc être variable, il est plus ou moins poussé et c’est généralement fonction des textes de loi qui encadrent le pouvoir de décision de l’administration. S’il y a une condition légale, le contrôle du juge sera poussé. Il peut arriver qu’en l’absence de condition légale, le juge en pose une. Les auteurs cherchent à faire des classifications en parlant du contrôle minimum, du contrôle maximum, du contrôle normal. Le contrôle des motifs est un contrôle variable, alors que les autres sont toujours du même contrôle.

-      La tendance de jurisprudence administrative a été d’intensifier ce contrôle pour toujours mieux contrôler l’administration. Intensification du contrôle.

paragraphe 1 : l’intensite variable du contrôle juridictionnel


·        L’hypothèse la plus fréquente est que le pouvoir de décision soit conditionné par le texte de loi qui lui reconnait ce pouvoir. L’action administrative est alors encadrée de manière précise par le texte. Dans cette hypothèse, le juge est amené à exercer un contrôle entier ou un contrôle plénier, on parle aussi de contrôle normal.

·        Dans d’autres cas, les textes vont laisser à l’administration une grande liberté de choix lui permettant d’adapter sa décision aux circonstances de l’espèce et de prendre la décision la plus opportune. On est en face de ce que l’on appelle le pouvoir discrétionnaire. Dans ce cas là, le juge ne va pas pouvoir exercer un contrôle plénier mais qu’un contrôle restreint, de manière à ne pas paralyser la liberté de choix laissé à l’administration par la loi. Le juge n’exerce pas le contrôle de la qualification juridique des faits. Progressivement, même dans ce cas où le texte laisse une grande possibilité de choix à l’administration, le juge pose une condition légale : quand l’administration dispose du pouvoir discrétionnaire, cette liberté de choix ne va pas jusqu’à la liberté de prendre une décision absurde ou disproportionnée : le juge contrôle l’erreur manifeste d’appréciation.


v Dans le cadre d’une même décision, il peut y avoir plusieurs temps dans le raisonnement juridique, et en fonction des textes, un temps du raisonnement peut faire l’objet d’un contrôle minimum et un autre temps peut faire l’objet d’un contrôle normal : ex : le contentieux des sanctions disciplinaires dans la fonction publique. La première étape du raisonnement consiste à vérifier si le fonctionnaire a commis une faute de nature à justifier une sanction. La 2ème étape du raisonnement consiste à vérifier si la sanction choisie par l’administration est adaptée et généralement les textes prévoient une liste de sanctions qui vont de la révocation à l’avertissement, le blâme… Le juge exerce d’abord un contrôle plénier, puis le juge opère un contrôle minimum en se demandant si l’autorité hiérarchique a pris la sanction la plus adaptée.
A) Le juge se livre à un contrôle plénier à chaque fois que l’administration est tenue au respect d’une condition légale
Il y a en vérité plusieurs hypothèses :
-      Le texte pose de lui-même une condition légale précise et le juge va naturellement vérifier que les faits de l’espèce correspondent à cette condition légale.

o   Mais il arrive fréquemment que la condition légale posée par le texte n’est pas toujours très précise de la faute disciplinaire.
L’une des difficultés est que certains textes font appelle à des conditions légales qui sont plus ou moins vagues ou indéterminées. Ces conditions légales font référence à un type de contrôle normal. Or il est difficile de déterminer la normalité. La loi fait référence à ce que l’on appelle des standards : la bonne foi, l’aptitude professionnelle. Généralement, cette condition légale n’est contraignante que dans la mesure où elle a été précisée par la jurisprudence.

-      Il arrive au juge de concrétiser une condition légale floue posée par un texte. Cette affaire intéresse le contentieux des mesures de police. L’usage de  l’administration par ses pouvoirs de police est conditionné par la loi par l’existence d’un trouble pour l’ordre public. Or si la loi précise que l’ordre public comprend la protection de la sécurité, de la salubrité, de la tranquillité publique, elle ne dit pas concrètement dans quel cas on doit considérer que cet ordre public est menacé. C’est au juge de dire dans quelle mesure et dans quelle espèce si les faits des circonstances constituent un trouble ou une menace à l’ordre public.

ð Dans l’affaire Abbé Olivier, la question était de savoir si les manifestations à caractère religieux sur la voie publique constituaient un trouble à l’ordre public. Le CE va être amené à préciser en quoi il y a trouble à l’ordre public : le CE distingue entre deux types de manifestations religieuses, il distingue entre les processions religieuses et les convois funéraires. Le CE juge qu’autant un maire est fondé à interdire sur la voie publique les processions religieuses, mais qu’à l’inverse un maire n’est pas fondé à utiliser ses pouvoirs de police pour interdire les funérailles religieuses.

-      Une sorte d’excroissance du contrôle entier est ce qu’on appelle le contrôle maximum. C’est quand le juge soumet l’administration à une condition qui n’existait pas dans les textes et qui l’amène à transformer ce qui était au regard des textes une question d’opportunité en une question de légalité soumise au contrôle du juge.

ð On peut la citer dans l’arrêt Benjamin du 19 mai 1933 où le juge a ajouté une condition légale puisqu’il a exigé que pour qu’une mesure de police soit légale il fallait qu’elle soit proportionnée aux circonstances mais aussi qu’elle soit nécessaire. Ici on est bien dans le contrôle maximum puisque le juge contrôle d’une certaine manière l’opportunité de la décision.
Le contrôle maximum est longtemps resté réservé au contrôle de police mais on va voir que ce contrôle maximum est étendu ensuite à d’autres hypothèses
ð comme les autorisations de licenciement des salariés protégés (CE, 1976 SAFER d’Auvergne c/ Bernett). Aussi en 1973, Ville de Limoges !!!

ð  mais surtout l’extension la plus remarquable est la question du contrôle des déclarations d’utilité publique dans le cadre des mesures d’expropriation, qui a été développé par un arrêt de 1971, Ville Nouvelle Est : le CE va se livrer au contrôle du bilan pour vérifier si une opération d’aménagement est d’utilité publique. Jusqu’à 1971, le juge se bornait à un contrôle formel de la condition légale, il vérifiait si l’opération était prise dans un but d’utilité publique, si l’objectif poursuivi était bien d’utilité publique. Utilité publique et intérêt public étaient synonymes et il fallait des situations extravagantes pour que le juge annule (seulement quelques cas). A partir de 1971, le JA va pousser plus loin son contrôle, va chercher à apprécier au cas par cas l’utilité publique, il ne va pas y avoir de présomption, tout va dépendre des circonstances de l’espèce et le juge va se livrer à un bilan coût avantage pour savoir s’il y a utilité publique. Ce bilan coût-avantage vient de l’arrêt de principe Ville nouvelle est : «  une opération ne peut légalement être déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier, les inconvénients d’ordre social ou les atteintes à d’autres intérêts publics ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt général que présente l’opération ». Les inconvénients du projet que l’on apprécie en termes d’atteinte à la propriété privée ne doivent pas excéder les avantages attendus de la réalisation du projet.
·        Il s’agit pour le juge de se livrer à un contrôle de proportionnalité entre les moyens utilisés et les fins poursuivies. Le juge intègre dans son raisonnement des éléments qui sont ceux tenus par un administrateur, un politique.
·        Le juge ne se fait pour autant pas le juge de l’opportunité de l’expropriation : le contrôle du tracé d’une ligne TGV qui serait susceptible de dévaster des vignobles. Ce que fait le juge est qu’il vérifie si le choix de ce tracé ne présente pas plus d’inconvénients que d’avantages, cependant il ne se substitue pas à la décision de l’administration et il ne va pas dire s’il y a un tracé qui serait mieux adapté.

v Quel est le bilan du bilan ? il y a eu très peu de décisions d’annulation, en dépit de la théorie du bilan, la jurisprudence a toujours tendance à considérer que les avantages d’une opération excèdent ses inconvénients.

Quand le juge annule, c’est que le bilan est manifestement négatif. On a un exemple qui est l’arrêt de 1997, CE, Affaire de l’autoroute transchablaisienne : autoroute qui devait reliée Thonon à Anemas. Cette autoroute avait un coût financier énorme, cette autoroute s’arrêtait à Anemas alors qu’elle devait être prolongée en Suisse. Le CE annule.
A l’inverse, un arrêt de 1997, Commune de Saint Germain en Lès, construction d’une autoroute (A14), destinée à relier Paris à la Normandie. Le problème de l’autoroute est qu’elle passe à proximité d’un site classé historique, donc atteinte et le CE a jugé que la déclaration d’utilité publique était légale car ce qui était en cause était l’amélioration du trafic routier sur l’ouest parisien.
Le juge ne fait alors que censurer les bilans que très disproportionnés, que la théorie du bilan ne relève pas du contrôle maximum mais du contrôle minimum.
Les DUP pour les projets d’intérêt nationaux sont adoptées par décret du 1er ministre après avis de la section des travaux publics du CE et certains dès lors défendent l’idée que le bilan joue à titre préventif devant la section des travaux publics du CE.
B) Le juge se livre à un contrôle restreint chaque fois que l’administration est laissée libre de sa décision
- On est dans l’hypothèse où les textes n’ont fixé aucunes conditions légales, c’est l’exemple en matière fiscale des remises gracieuses. !!
- Il y a un autre exemple qui est lorsqu’il y a une condition légale, mais elle est d’une technicité telle que le juge n’est pas en mesure de l’apprécier. Un viticulteur qui demande l’AOC. L’organe lui refuse ce label après examen. Il fait un recours au CE mais le CE ne va rien faire.
Le ministère de la santé produit chaque année une liste des substances toxiques. Imaginons un laboratoire qui conteste l’inscription du médiator sur la liste des produits toxiques, le juge ne peut rien faire.
L’administrateur de la comédie française établit chaque année la liste des pièces qui seront au programme. Imaginons qu’un auteur conteste sa non inscription, le juge ne peut pas contrôlé.
C’était le cas pour la police des étrangers. Le juge refusait de contrôler et n’exerçait pas le contrôle de la QJF.
Le CE va dans les années 70 élargir le contrôle minimum à ce qu’on appelle l’erreur manifeste d’appréciation. C’est l’idée que même quand l’administration a un pouvoir discrétionnaire, le juge doit vérifier que la décision n’est pas aberrante, n’entraine pas sur les intérêts des conséquences d’une gravité exceptionnelle. C’est mettre en pratique les conseils d’Ihering qui disait « on ne tire pas au canon sur les moineaux ».
Le CE a développé cette technique dans un arrêt de 1973 qui est l’arrêt Librairie françois Maspero à propos de l’interdiction de reproduire en France des publications étrangères et en l’espèce une revue cubaine qui appelait à la révolution. Ce qu’explique Guy Braibant est que le pouvoir discrétionnaire comporte le droit de se tromper mais non celui de commettre une erreur manifeste c'est-à-dire à la fois apparente et grave dans ses conséquences. C’est une forme de nouvelle condition légale posée par le juge. Ce contrôle minimum est la règle partout où l’administration est investie d’un pouvoir discrétionnaire. L’une des difficultés est de savoir quand il y a erreur manifeste d’appréciation. Voila une question laissée à l’appréciation du juge. Il y a erreur manifeste d’appréciation quand le juge le dit. L’affaire Maspero est intéressante car il y a eu une divergence entre le commissaire du gouvernement considérant qu’il y avait EMA et juge qui ont dit non.
Quels étaient les faits de l’affaire ? à l’origine, une publication cubaine qui paraissait en France a été interdite par le ministre de l’intérieur pour atteinte à la sécurité publique. La librairie Maspero cherche à contourner l’interdiction, publie une revue française qui reprend certains des articles de la revue cubaine. Nouvelle décision du ministre de l’intérieur qui interdit la publication de la revue française. Devant le CE, la discussion au contentieux est la suivante : la revue française ne fait que reprendre certains articles de la revue cubaine, tous les numéros de la revue française ne reprennent pas les articles de la revue cubaine, l’interdiction de l’ensemble de la revue est absolue. Le ministre de l’intérieur a alors commis une EMA.

paragraphe 2 : l’intensification constante du contrôle juridictionnel


Il y a deux tendances dans le contentieux de l’excès de pouvoir contemporain :
-      Politique jurisprudentielle du CE qui est à l’approfondissement de son contrôle. La où il exerçait un contrôle minimum, il exerce un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation ; la où il exerçait un contrôle normal, il a tendance à exercer un contrôle maximum.

Plus récemment, abandon du contrôle minime même élargi à l’erreur manifeste d’appréciation pour exercer un contrôle entier : exemple, le refus d’autoriser l’ouverture d’une pharmacie, arrêt 1983 Thevenot)

Mulsant, 1983, le refus d’admettre un candidat à concourir aux épreuves d’un concours d’entre à la fonction publique.

Le contentieux de l’expulsion des étrangers selon la procédure dite d’urgence d’absolue.

-      La deuxième tendance est l’utilisation du contrôle de proportionnalité qui entraine la diffusion du contrôle normal. Quand l’administration prend une mesure, celle-ci doit être en tout point adaptée aux circonstances qui la justifient et ce contrôle de proportionnalité trouve notamment à s’appliquer dans le contentieux des étrangers, par un biais qui est la CEDH, dont de nombreux articles prévoient que toutes limitations apportées à ces droits pour des motifs d’OP doivent être strictement proportionnés aux objectifs poursuivies et aux circonstances de l’espèce.
Aujourd’hui les requérants ont tout intérêt à invoquer la CEDH car invoquant la CEDH, cela oblige le juge à procéder à un contrôle de proportionnalité.
v L’une des dernières questions qui se pose est de savoir si la diffusion du contrôle de proportionnalité ne remet pas en cause le REP ? La proportionnalité suppose donc toujours que l’administration prenne la mesure la plus adaptée et donc que le juge soit amené à corriger en ce sens les décisions de l’administration qui ne seraient pas adaptées à la situation. Le problème se pose dans le contentieux des sanctions, parfois exercer le contrôle de proportionnalité conduit non pas à annuler la sanction mais simplement à la diminuer donc cela suppose de reconnaitre au juge un pouvoir de réformation qu’il n’a pas au titre du recours pour excès de pouvoir. Sous la pression du droit européen, le législateur institue de plus en plus souvent dans le contentieux des sanctions des recours spéciaux qui sont des recours de pleine juridiction où le juge va avoir le pouvoir de réformer la sanction donc l’une des questions qui se pose est de savoir s’il faut généraliser ce pouvoir de réformation ou pas dans le contentieux des sanctions, auquel cas cela veut dire que le contentieux de l’excès de pouvoir devra évolué ou être remplacé par un autre recours.