mercredi 5 octobre 2016

LA SOUMISSION DES ACTES ADMINISTRATIFS AUX REGLES DE DROIT INTERNES


Toutes les règles de droit interne (C°, législatives, réglementaires, jurisprudentielles) peuvent être invoquées devant le JA.
L’invocation de ces normes d’ordre interne ne pose pas toujours les mêmes problèmes. Ce qui pose problème est l’invocation de la norme constitutionnelle et l’invocation des normes jurisprudentielles.

section 1 : la constitution


·        Sous l’influence de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la place de la constitution en droit administratif a évolué depuis 40 ans.
·        Il a toujours été admis que le juge administratif devait imposer à l’administration le respect de la constitution et que si un acte était contraire à la constitution, il devait être annulé au moyen du recours pour excès de pouvoir.
Le problème c’est que ce principe de suprématie de la constitution se heurtait en pratique à un certain nombre de difficultés qui faisaient que la constitution ne s’imposait quasiment jamais à l’action administrative.

-      Les lois constitutionnelles de 1875 sont des textes vides car elles régissent des rapports entre les pouvoirs publics, aucun principe de fond.

-      Quand bien même les administrés pourraient et seraient intéressés par invoquer des normes constitutionnelles, ils se heurteraient à la théorie de la loi écran : cette théorie suppose que lorsqu’un acte administratif est conforme à la loi alors le contrôle du juge s’arrête au respect de la loi par cet AA. On ne discute pas de savoir si cet acte administratif conforme à la loi l’est aussi à la constitution car cela reviendrait à se demander si la loi est conforme à la constitution. Or le JA considère que ce n’est pas sa mission.


Ø  L’influence des normes constitutionnelles est limitée. Le seul moyen qu’à trouver le juge administratif est un moyen indirect au travers de ce que l’on appelle la théorie des principes généraux du droit. C’est un principe non écrit que le juge découvre dans l’ordre juridique, dans la tradition libérale et démocratique et l’ayant découvert, il l’applique à l’administration.
Au travers de cette théorie des principes généraux du droit, le juge administratif va aller chercher notamment dans la DDHC (donc constitutionnelle) un certain nombre de principes (comme celui de liberté) qu’il va imposer à l’administration. Arrêt du 28 mai 1954, Barel, CE, dans une affaire où le gouvernement avait interdit aux militants du PC de se présenter au concours de l’entrée de la magistrature. Le CE annule le refus car il méconnait le PGD d’égal admissibilité de tous les citoyens aux emplois publics sans distinction de race ou d’opinion politique (Se base sur l’article 6 de la DDHC).

Ø  La situation change en 1946 et encore plus en 1958. En 1946, le préambule de la constitution de 1946 fait référence à la DDHC, consacre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Le préambule de la constitution de 1946 consacre des principes à notre temps tel que le droit de grève. On voit donc arriver des droits substantiels que les citoyens peuvent opposer à l’Etat.
L’évolution ne tarde pas à agir sur le droit administratif, notamment dans un arrêt de 1950, Dehaene, où sur le fondement du préambule de 1946, le CE admet ce qu’il avait toujours refusé : le droit de grève dans la fonction publique.
Ø  La constitution de 1958 avec son préambule renvoie au préambule de 1946 et à la DDHC de 1789.
Sur cette base, le conseil d’Etat (1959, société Eky) et le conseil constitutionnel (1971) vont dire que le préambule de 1958 a valeur constitutionnel et qu’au travers du préambule de 1958, ce sont la DDHC et le préambule de 1946 qui ont également valeur  constitutionnelle.
v A partir de cela, il est admis que la constitution porte en elle toute une série de principes substantiels qui s’imposent aux autorités publiques donc aussi aux autorités administratives. Les justiciables vont donc multiplier les références à la constitution dans leurs recours pours plusieurs raisons :
-      D’abord parce qu’invoquer la constitution donne une légitimité supplémentaire à votre argument juridique.

-      Cela permet de faire évoluer la jurisprudence du CE car la norme constitutionnelle fait généralement l’objet d’une interprétation par le conseil constitutionnel. Invoquer la constitution c’est invoquer de nouveaux éléments.


-      De plus, les décisions du conseil constitutionnel ont autorité juridique sur les décisions administratives.

v Ce développement des normes constitutionnelles et des moyens d’ordre constitutionnels pose 3 problèmes :

-      La norme constitutionnelle écrite sur laquelle s’appuie le requérant, cette norme est elle directement invocable ?

-      Dans quelles mesures le requérant peut invoquer devant le juge administratif une interprétation de la loi ou de la constitution tirée de la jurisprudence constitutionnelle ?


-      Devant le JA, le requérant peut demander en se fondant sur la C° qu’on écarte l’application d’une loi ?

paragraphe 1 : la question du caractere directement invocable des normes constitutionnelles ecrites


·        Pour être invocable devant un juge, il faut qu’une disposition soit suffisamment précise pour que le juge en conclue que le législateur ait voulu qu’elle soit immédiatement applicable. C’est vrai pour la loi et aussi pour la constitution. La constitution est souvent autant un texte juridique qu’un acte politique et beaucoup de principes constitutionnels ont un contenu assez flou.

o   La question a rebondi récemment avec la Charte de l’environnement qui a été adossée à la constitution. La question s’est posée dans un arrêt du CE, 19 juin 2006, Association eau et Rivières de Bretagne. Dans quelles mesures ces normes sont opposables à l’administration ? Dans cette affaire, le commissaire du gouvernement avait proposé de distinguer deux types de disposition de la charte de l’environnement :
-      Celles qui pour lui constituaient des objectifs et à ce titre exige l’intervention de la loi et tant que la loi n’est pas intervenu ils ne sont pas directement invocables ;
-      Celles qui sont directement invocables parce que les principes sont énoncés de manière suffisamment précise

v Le CE n’a pas retenu cette distinction, conformément à sa jurisprudence. Il apparait que toutes les normes constitutionnelles (programmatoires ou pas) sont directement invocables devant lui ou devant les juridictions administratives. Arrêt du 6 mai 2009, association Fnaim, association des accidentés de la vie où le conseil d’Etat vise l’alinéa 11 du préambule de la constitution de 1946 qui est directement invocable et visant cette alinéa 11, le CE nous dit que cet alinéa met en avant des objectifs à poursuivre. On peut invoquer devant le juge administratif des objectifs constitutionnels.

Il apparait qu’il y a une distinction devant le juge administratif selon le contentieux qui est ouvert devant lui.
-      Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, on peut invoquer ce type de norme.
-      Dans le cadre d’une action en responsabilité contre l’Etat, il semblerait que les normes formulées sous forme d’objectifs ne sont pas invocables.
De la même manière, un objectif à valeur constitutionnelle n’est pas invocable dans les procédures de référé liberté.

paragraphe 2 : la possibilite d’invoquer devant le juge administratif des normes constitutionnelles jurisprudentielles


·        C’est une question organisée par la constitution mais la constitution ne résout pas toutes les questions et notamment les questions les plus intéressantes. Comment est organisé l’articulation entre le Conseil constitutionnel et le conseil d’Etat ? Il est organisé par l’article 62 de la constitution : « Les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles ».
Ce que nous dit l’article 62 de la constitution c’est que quand le Conseil constitutionnel fait des réserves d’interprétation et qu’il nous dit que cette loi est conforme à la constitution sous réserve d’être interprétée d’une telle manière, cela va s’imposer au JA.
v De ce fait l’article 62 ne règle qu’un seul type de difficulté : Hypothèse devant le CE où on vient discuter d’une loi qui a déjà été contrôlée par le Conseil constitutionnel.
Mais reste d’autres hypothèses, notamment la question de savoir si l'interprétation de la Constitution lie le CE. On ne parle pas des décisions (autorité de chose décidée), mais de la jurisprudence de la CCel (autorité de chose interprétée) : a-t-elle autorité devant le JA ? La question n’est pas résolue par l’article 62 de la constitution.
S’agissant de l’article 62 de la constitution, la JA l’applique, depuis société des Etablissements Outters.
-      Dans les visas du CE, il vise pour la première fois l’article 62 de la constitution

-      Et ensuite, ayant à appliquer du caractère fiscal de certaines redevances, le conseil d’Etat va changer de jurisprudence, va modifier sa jurisprudence en relevant que la loi dont il s’agit de faire application a été interprétée de telle manière par la constitution et que l’interprétation du conseil constitutionnel s’impose à lui. De plus, la décision du conseil constitutionnel en cause n’était pas une décision rendue au titre de l’article 61 de la constitution mais au titre de l’article 37 alinéa 2 de la constitution, c'est-à-dire sur la délégalisation de loi intervenue dans le domaine du règlement.

v Par contre, on a un problème quand devant le JA est discuté de l’application d’un texte qui n’a pas été contrôlée par le conseil constitutionnel. Dans cette hypothèse on a une partie qui dit oui mais la loi doit être interprétée au regard de l’article 10 de la constitution tel que l’a interprété le conseil constitutionnel. Dans ce cas là que fait le JA ?

o   L’article 62 ne lui ordonne rien, on est hors champ de l’article 62. Problème d’autorité de la jurisprudence. Dans cette hypothèse, on s’aperçoit qu’alors qu’il n’est pas tenu de reprendre le raisonnement du conseil constitutionnel, le conseil d’Etat s’efforce autant que possible de faire application de la jurisprudence du conseil constitutionnel.

-      La raison est tout d’abord rechercher l’unité du droit public. Les deux vont d’autant plus dans le même sens qu’il y a le dialogue des juges : avant de statuer, le conseil constitutionnel ou le CE regarde ce que l’autre a jugé.
Ex 1 : CE, 1992, Association amicale des professeures titulaires du museum d’histoire naturelle : le CE fait application pour la 1ere fois d’un principe dégagé par la jurisprudence du conseil constitutionnel qui est le principe d’indépendance des professeurs d’université. Il cite expressément la décision du conseil constitutionnel.
Ex 2 : Association la télé est à nous, le CE fait référence à une norme inventée par le conseil constitutionnel qui sont les objectifs à valeur constitutionnelle et le pluralisme de la presse.

paragraphe 3 : le renvoi au conseil constitutionnel du contrôle par voie d’exception des lois inconstitutionnelles


·        Le juge administratif n’est pas habilité ni par la C° ni par des textes à juger de la conformité des lois à la constitution.

·        Mais le JA peut être saisi parfois de questions de constitutionnalité dans le cas d’un AA qui est pris sur le fondement d’une loi qui est elle-même inconstitutionnelle. 
Dans ce cas de figure, quand un requérant invoque l’inconstitutionnalité de la loi, le JA disait que cela ne relevait pas de sa compétence, de sa fonction. Il le fait notamment à l’occasion de l’arrêt Arrighi qui rappelle que les questions de constitutionnalité de la loi ne sont pas susceptibles d’être discutés au contentieux du JA.

Ø  Mais cela peut poser des problèmes, d’où le mécanisme d’exception d’inconstitutionnalité permettant de soulever cette question en faisant appel aux juges constitutionnels pour résoudre la question posée devant le JA.
Cette réforme a été adoptée par la loi constitutionnelle de juillet 2008 qui a institué un mécanisme de renvoi devant le juge constitutionnelle que l’on appelle la Question Prioritaire de Constitutionnalité.
A) La théorie de la loi écran ou l’impossibilité pour le JA de statuer sur une question de constitutionnalité de la loi.
·        En 1936, dans l’arrêt Arrighi, le CE estime que : le moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’une loi n’est pas de nature à être discuté devant le CE statuant au contentieux.
En conséquence, le juge n’appréciait la légalité du AA qu’au regard de la loi sans se préoccuper de la constitution, dès lors que l’AA était conforme à la loi.
-      Cette solution correspond à la tradition française de la séparation des pouvoirs. Une conception qui est dominée par l’idée de la souveraineté de la loi. Idée que l’on retrouve dans la loi des 16 et 24 aout 1790 qui interdit aux tribunaux à peine de forfaiture de prendre part à l’exercice du pouvoir législatif et d’empêcher ou de suspendre l’exécution des lois. Il y aurait une interdiction pour le juge ordinaire de juger la loi car il n’est là que pour assurer l’exécution de la loi, veiller à ce que la loi s’applique. C’est ce que l’on a appelé la tradition du légicentrisme. Ce rappel se retrouve exprimé par le commissaire du gouvernement Latournery dans ses conclusions sur l’arrêt Arrighi.

-      Mais en même temps, il explique qu’au plan théorique, un contrôle de la loi par le juge ordinaire (en particulier par le JA) n’est pas impossible à concevoir et Latournery explique qu’il y a plusieurs manières de concevoir la séparation des pouvoirs et Latournery cite l’affaire Marguerite c. Madison de 1803 (arrêt de la cour suprême Américaine) qui accepte de pratiquer l’exception d’inconstitutionnalité et d’écarter les lois contraires à la constitution américaine par le juge ordinaire. 

-      En outre, Latournery met en avant la conception Kelsénienne de la  hiérarchie des normes et dit que la constitution devrait prévaloir dans toutes circonstances et il fait remarquer qu’il arrive aujourd’hui au juge ordinaire d’écarter la loi notamment quand différentes lois entrent en conflit.


v Pour Latournery on a au plan théorique des éléments en faveur du non-contrôle et en faveur du contrôle. Il se décide de ne pas accepter l’exception d’inconstitutionnalité sur la base d’un argument politique : ce  contrôle de la loi par le juge ordinaire est vain et dangereux :

-      Vain car on est sous la 3ème république et la constitution n’est composé que des lois constitutionnelles de 1975 (pas de droits fondamentaux)
-      Dangereux car contraire à notre tradition politique et donc un tel contrôle pourrait provoquer une réaction du Parlement qui pourrait décider de se mêler du droit administratif.

·        Le Conseil d’Etat par la suite n’est jamais revenu sur cette jurisprudence alors même que certains éléments auraient pu l’amener à le faire :

-       D’abord la théorie de la loi écran, le CE l’a fait jouer aussi dans les rapports entre la loi et les traités internationaux.

-      Dans un 2nd temps, le JA avec sa jurisprudence Nicolo de 1989 a accepté de contrôler la loi au regard des traités internationaux mais en se fondant sur l’article 55 de la constitution et en estimant que cet article 55 de la constitution contient une habilitation implicite à faire prévaloir les traités sur la loi. La jurisprudence Nicolo montre que l’obstacle politique soulevait par Latournery ne tenait pas
Le problème, c’est que dans le rapport entre constitution et loi, il n’y a pas de disposition constitutionnelle équivalente à l’article 55.

-      Le contrôle de conventionalité à bien des égards ressemble à un contrôle de constitutionnalité car dans les conventions internationales on va retrouver des textes (CEDH…) qui contiennent des dispositions substantielles et qui ont un objet assez proche de ce que peut être une disposition de nature constitutionnelle.

-      Enfin, Latournery nous disait que cela ne servait à rien car dans la constitution il n’y avait rien. Or depuis 1958 et 1971, on ne peut plus dire cela.


v Pour autant, le CE, la cour de cassation, n’a pas souhaité aller dans le sens de l’acceptation de l’exception d’inconstitutionnalité pour une raison qui tient à l’institution d’un juge particulier auquel on a confié ces questions de constitutionnalité et qui est le Conseil constitutionnel. Du coup, le mécanisme qui va être mis en œuvre et permettre aux administrés de soulever un moyen d’inconstitutionnalité de la loi devant le JA est un mécanisme particulier qui articule la saisine du JA sur le renvoi au ccel. C’est ce que l’on appelle la QPC.
B) La mise en échec de la théorie de la loi écran par l’institution de la QPC
·        La QPC est instituée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Ce nouveau système est aujourd’hui décrit à l’article 61-1 de la constitution qui nous dit : «  lorsqu’à l’occasion d’une instance en cours d’une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits fondamentaux, le conseil constitutionnel peut être saisi sur renvoi du CE et de la cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».
L’article 61-1 de la constitution a été mis en œuvre par une loi organique qui a été déférée au conseil constitutionnel.
·        Le conseil constitutionnel a estimé dans une décision du 3 décembre 2009 qu’il appartenait au législateur de combiner le droit reconnu à tout justiciable de poser une QPC avec l’objectif de bonne administration de la justice. Le conseil constitutionnel en déduit que cette exigence de bonne administration de la justice implique une organisation processuelle spécifique :
-      Cela veut dire que le moyen d’inconstitutionnalité ne peut pas être soulevé d’office par le juge. Il faut que ce soit le requérant.

-      Il faut ensuite que le requérant le présente sur un écrit distinct.


-      Le moyen d’inconstitutionnalité doit être examiné de manière prioritaire par le juge ordinaire.

-      C’est la 1ère question que le juge traite et s’il y a des difficultés sérieuses, il renvoie directement la question ou au CE ou à la Ccass qui renvoie si c’est sérieux au CCEL.


-      La juridiction de renvoi est tenue de surseoir à statuer dans l’attente de la réponse formulée par le CE, voire dans l’attente de la réponse du Conseil constitutionnel. En effet, le CE comme la cour de cassation devant les juridictions judiciaires assure un rôle de filtre en se prononçant notamment sur le bien fondé des juridictions qui lui sont adressées par les juridictions territoriales donc le CE exerce une sorte de pré-contrôle de constitutionnalité, il vérifie si la question est pertinente, si elle pose vraiment une difficulté d’ordre constitutionnel. Le CE ne peut pas répondre oui, il peut seulement transmettre au conseil constitutionnel. Mais le CE peut répondre non. Quand le CE saisit le conseil constitutionnel, c’est qu’il y a une très forte suspicion d’inconstitutionnalité.
L’affaire de la commune de Dunkerque qui a donné lieu à un arrêt du CE renvoyé au conseil constitutionnel à une réponse du conseil constitutionnel et un arrêt définitif sur la question. La commune de Dunkerque avait l’intention de constituer avec des communes limitrophes un EP de coopération intercommunale et notamment d’élargir cet établissement. Le CGCT prévoit que c’est possible à condition que les délibérations concordantes des conseils municipaux intéressés soient approuvées par une consultation populaire en exigeant un taux de participation minimal et une majorité qualifiée. Le problème c’est que les communes intéressées se lancent dans le processus et les électeurs ne viennent pas. Préfet refuse de créer établissement. Elus invoquent le principe de libre administration des collectivités territoriales, art 72 de la constitution. D’où recours devant le JA pour contester la décision du préfet. L’affaire remonte au CE et le CE pense qu’il y a un problème. Le CE saisit le conseil constitutionnel. Celui-ci répond qu’il ne voit pas de problème. Ce qui est en cause est l’organisation des collectivités territoriales par l’Etat et cela ne pose pas de problème de libre administration.
L’affaire revient devant le CE et celui-ci va réussir à annuler le refus du préfet en expliquant que le préfet n’était pas tenu de refuser le recoupement communal au motif que les conditions de majorité n’avaient pas été remplies et qu’il lui appartient le cas échéant d’apprécier si les délibérations concordantes des conseils municipaux suffisent.
Ici, on est sur une hypothèse où le CE avait préjugé de la constitutionnalité de la loi et c’est parce qu’il préjuge de cela qu’il renvoie. Il s’attend à l’inconstitutionnalité, or si le conseil constitutionnel dit le contraire, le CE essaie de contourner l’obstacle constitutionnel du juge constitutionnel. Ce qui veut dire que le mécanisme de la QPC crée une dynamique nouvelle entre le JA et le JC et que le JA n’est pas simplement l’instrument du juge constitutionnel.
Quand le juge ordinaire transmet au Conseil constitutionnel, il le fait toujours par décision motivée, il expose quels sont les moyens d’inconstitutionnalité qui posent problème. Le conseil constitutionnalité n’est pas saisi du litige, il n’est saisi que de la question de constitutionnalité.
Que se passe-t-il quand le conseil constitutionnel déclare qu’une disposition est inconstitutionnelle ? L’article 62 de la constitution nous le dit : une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par le conseil constitutionnel. Dans ce cas, le conseil constitutionnel détermine les conditions et les limites dans lesquelles la décision d’abrogation va produire des effets.
Enfin, les décisions du conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours.
Et il ne s’agit pas de soulever n’importe quelle norme constitutionnelle : celles que l’on invoque sont celles qui protègent des droits et des libertés.

section 2 : les normes jurisprudentielles


L’une des questions classiques de la théorie du droit est de savoir si le juge qui n’est que la bouche de la loi ou qui est puissance nulle, peut il poser des normes c'est-à-dire créer du droit c'est-à-dire ajouter des règles de droit ?
-      La question fait difficulté parce que le droit français nie le pouvoir créateur du juge. C’est l’interdiction des arrêts de règlement, ce qui veut dire que son office se cantonne au règlement des litiges particuliers.
-      Mais en même temps, il y a un principe de réalité qui montre que le rôle du juge est incontestable, à fortiori en droit administratif où en l’absence de textes, c’est le juge qui a développé tout l’appareil conceptuel du DA. Ce rôle du JA peut trouver un fondement dans l’article 4 du code civil qui oblige le juge à statuer même en l’absence de loi.
Cela dit la jurisprudence est une source officieuse du droit. Quand le juge dégage une solution non formulée par les textes, il fait comme si il n’édictait pas une règle générale. Si la règle posé par le juge prend force juridique, c’est d’abord parce qu’elle s’impose aux administrés qui ont le sentiment que s’ils ne respectent pas la règle posée par le juge, ils prennent le risque de perdre le procès.
Formellement, le juge y compris le JA a d’abord pour mission de trancher une affaire précise.
Cela dit, le DA et la JA dans certaines hypothèses manifestent de manière plus explicite l’existence d’un pouvoir normatif du juge et essentiellement dans deux cas de figure, d’abord dans le cadre de la théorie des PGD qui vont s’appliquer dans le silence de la loi. Et plus récemment, le juge administratif s’est reconnu la possibilité, dans un arrêt du 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, de moduler dans le temps les effets d’un changement de sa jurisprudence.

paragraphe 1 : la théorie des principes generaux du droit


·        Un  PGD est d’abord une règle non écrite dont le juge va imposer le respect à l’administration même en l’absence de textes prévoyant un tel respect.

Cette technique où le juge découvre des règles non écrites qu’il impose à l’administration n’est pas propre au DA. On la retrouve devant la CJUE qui a elle aussi sa théorie des PGD.
En DA, ce principe a joué un rôle essentiel, d’abord parce que ces principes sont très nombreux, que le juge y a eu recours avec une forme de systématicité. Ce sont des principes qui vont avoir un rôle considérable car ils vont permettre d’imposer à l’administration le respect de normes d’inspirations constitutionnelles.
Et aujourd’hui, il y a une difficulté : comment on fait pour combiner PGD et principes constitutionnels ?
A) La diversité des principes généraux du droit
Il y a deux générations de PGD : il y a les principes qui se rattachent à l’héritage libéral de la Révolution française, le CE y a recours pour pallier l’absence de textes constitutionnels sous la 3 et 4ème République. Puis à partir des années 70, on va voir apparaitre de nouveaux PGD qui sont plus spécialisés, plus sectoriels au sens où ils vont s’appliquer à certains domaines de l’activité administrative.
1) Les PGD de 1ère génération, préceptes essentiels de la philosophie libérale
·        Sous la IIIème république, on a un Etat républicain, libéral, qui n’a pas de constitution substantielle, seulement les lois constitutionnelles de 1875. D’où la tentation du CE d’aller chercher ailleurs l’expression de PGD.
èD’abord il y a tout ce qui touche à la protection de la liberté et des droits des citoyens :
-      arrêt Dame Trompier Gravier sur le PGD du respect des droits de la défense. Cela veut dire que quand l’administration s’apprête à prendre une sanction ou une mesure défavorable à l’égard des administrés, elle doit au minimum communiquer à l’administré les griefs qu’elle a contre lui et lui laisser un temps suffisant pour répondre.
-      CE, 1948, Demoiselle Pasteau, PGD de la liberté de conscience, à propos d’une institutrice dont hiérarchie reprochait qu’elle aille trop à l’église
-      CE, 1951, Dobignac qui consacre PGD de la liberté du commerce et de l’industrie
èAu travers des PGD, le CE va consacrer le principe d’égalité entre les administrés :
-      CE, 1948, Société du journal l’Aurore, Principe d’égalité des usagers du SP qui interdit les traitements discriminatoires.
-      CE, Barrel, 1954 : Egalité d’accès au SP à propos des militants communistes qui souhaitaient accéder à la magistrature.
-      CE, 1958, Syndicat des propriétaires de forêt de chêne liège d’Algérie, principe d’égalité devant la loi
èPrincipes qui concourent à la sécurité juridique :
-      Arrêt Dame Lamotte de 1950 : les administrés peuvent former un recours pour excès de pouvoir pour contester les actes qui seraient illégaux.
-      Société du journal l’aurore à propos de la non rétroactivité des actes administratifs. Sécurité juridique en vue du bon fonctionnement de l’administration.
-      CE, 1980, Madame Bonjean, PGD garantissant la continuité du SP.
-      CE, 1950, Quéralt, consécration du contrôle hiérarchique au titre d’un PGD.
2) La spécialisation des PGD de la 2nde génération
·        Ils vont apparaitre à partir des années 70 à une époque où les PGD sont déjà développés. Ils ont un moindre degré de généralité. Ils correspondent à des droits économiques ou sociaux.
Enfin, ils visent certaines catégories de personnes. Non pas l’administré en général, dans leurs relations particulières avec l’administration. En particulier les étrangers et les agents de la fonction publique non titulaires.

Ø  S’agissant des étrangers, on va avoir plusieurs PGD :

-      tout d’abord, c’est le droit pour les étrangers résidant en France de mener une vie familiale normale, CE 1978, GISTI (Groupement d’information et de soutien aux travailleurs immigrés), ce qu’il leur ouvre un droit au regroupement familial.

-      CE, 1984, Lujambio galdenao, PGD faisant obstacle à ce qu’un étranger soit extradé dans un pays ne respectant pas les droits et libertés fondamentales de la personne humaine et notamment quand on y encourt la peine de mort.

-      CE, 1988, Bereciartura Echarri, il s’agit du principe faisant obstacle à ce qu’un réfugié politique soit remis aux autorités de son pays d’origine.

-      CE, N’kodia, 1991, principe qui fait obstacle à ce qu’une personne ayant demandé le statut de réfugié politique soit reconduit à la frontière avant qu’on ait statué sur sa demande.


Ø  On retrouve aussi les principes applicables aux personnes contractuelles de la fonction publique :
-      1973, Dame Peynet à propos d’un principe interdisant à tout employeur y compris une administration publique de licencier des salariées en état de grossesse.

-      CE, 1982, Ville de Toulouse, PGD selon laquelle la rémunération d’un salarié ne peut pas être inférieure au SMIC.


-      CE, 1987, Madame Seguin, Principe selon lequel le préavis de licenciement ne peut être tenu pour accompli pendant la période où l’agent est en congés maladie




B) Les fondements de la théorie des PGD
·        Explication donnée par certains auteurs qui consistait à dire que les PGD ne seraient que le prolongement du droit écrit, le juge se bornerait à les constater, ils existeraient indépendamment de leur découverte par le juge. Cette thèse qui minimise la dimension jurisprudentielle ou normative a été développée dans les années 50.
·        Aujourd’hui la doctrine dominante a abandonné cette présentation et tend à reconnaître que c’est le juge qui donne une force juridique à ces principes parce que le juge a un pouvoir normatif indéniable.
1) Le rapport entre les PGD et le droit écrit
·        Les PGD sont des normes jurisprudentielles non écrites en ce sens qu’ils sont consacrés dans aucun texte.
o   Pour dégager des PGD, il arrive que le juge s’appuie sur du droit écrit. Cette idée a pu être mise en avant au regard de tous ces principes de la 1ère génération (liberté, égalité) où le juge a pris appuie sur la DDHC de 1789, à une époque où la DDHC n’a pas encore force juridique, on peut s’interroger sur sa valeur juridique. Ce n’est qu’avec l’arrêt Eky qu’on va admettre que la DDHC a valeur juridique.

o   Dans tous les cas, même si le juge s’appuie sur le droit écrit, cela ne lui ôte pas un pouvoir normatif. Deux exemples :


-      C’est toujours le juge qui fait le tri dans les principes qui sont invoqués devant lui.
En 1970, dans un arrêt « Commune de Bozas » est invoquée devant le CE la règle selon laquelle le silence gardé par l’administration sur une demande d’un administré vaut décision de rejet de la demande. L’auteur du recours expliquait que c’était une règle inscrite dans un texte réglementaire mais que cela allait au-delà, c’était un PGD qui ne pouvait pas être remis en cause par le pouvoir réglementaire.

-      Quand le juge s’appuie sur un texte pour en tirer un PGD il conserve un pouvoir normatif car c’est lui qui détermine le contenu concret : CE, 1980, Madame Bonjean : PGD du droit de grève dans les SP. Ce principe doit s’articuler, se combiner avec un autre PGD qui est celui de la continuité des SP. Cette idée correspond à l’idée que c’est le juge qui nous dit le PGD et qui en détermine le contenu.

-      Le juge va s’appuyer sur une règle de droit applicable dans un domaine particulier mais va considérer que cette loi ne fait que mettre en œuvre un principe général qui vaut dans tous les domaines de l’activité humaine ou de l’action administrative :

PGD des droits de la défense, instauré par l’arrêt Dame veuve Trompier Gravier, a trouvé son fondement dans la loi de 1905.
En 1944, le CE pense que la loi de 1905 n’est que l’expression d’un principe plus large qui est le droit de la défense.

Affaire Dame Peynet (interdiction de licencier une salariée enceinte) ou Ville de Toulouse (obligation de payer au minimum au SMIC). S’appuient sur le droit du travail.

-      CE, 1988, Bereciartura Echarri : le CE ne s’appuie pas sur une règle précise mais sur l’esprit du texte. Il faut déduire des textes un principe qu’on ne renvoie pas un réfugié politique vers son pays d’origine.

-      Le CE va tirer le principe de la logique interne des institutions ou des impératifs de la vie en société. Le principe de continuité des SP n’est écrit dans aucun texte mais va de paire avec l’institution Etatique.

De même, un gouvernement démissionnaire peut expédier les affaires courantes, là encore il déduit ce principe de la logique des institutions.
2) Le pouvoir normatif du juge, véritable fondement des PGD
Les PGD sont l’expression concrète du pouvoir normatif du JA, de la possibilité qu’a le juge de créer des normes. L’article 5 du code civil parait interdire cette possibilité du juge puisqu’il prohibe les arrêts de règlement. Mais cette négation amène aussi à développer deux arguments légitimant le pouvoir du juge :
-      Il y a l’article 4 du code civil qui dit que le juge est obligé de juger, de se substituer au silence du législateur
-      Le parlement a toujours la possibilité de revenir sur les principes dégagés par la jurisprudence administrative. Il ne le fait pas donc il acquiesce à ce pouvoir normatif du juge.

v Quelle est la valeur juridique de ces PGD ?

Cette question a été réglée par le professeur Chapus. Celui-ci apporte la démonstration suivante : si les PGD sont l’expression du pouvoir normatif du juge, alors ils occupent dans la hiérarchie des normes, une place qui correspond à la fonction du JA qui est d’appliquer la loi et d’en assurer le respect par les actes de l’administration y compris par les actes réglementaires. En conséquence, le juge se situe entre la loi et le règlement donc les PGD ont une valeur infra-législative  mais le PGD a une valeur supra-réglementaire, il s’impose à l’administration chaque fois qu’elle exerce son pouvoir réglementaire. C’est ce qu’illustre l’arrêt de 1959, Syndicat des ingénieurs conseils, à propos du pouvoir réglementaire autonome.

Une difficulté va apparaitre qui tient à ce que parmi les PGD dégagés par le CE, il y en a qui correspondent à des principes constitutionnels dégagés par le Conseil constitutionnel. Comment résoudre cette difficulté ? Ces principes ont-ils valeur constitutionnelle ? On irait alors plus loin que la thèse de Chapus.
C) L’utilisation par le JA de PGD en concurrence avec les normes constitutionnelles
·        Années 70-80 : Le principe d’égalité devant la loi était présenté comme un principe constitutionnel alors que pour le CE c’était un PGD. Certains ont jugé qu’il y avait une certaine absorption des PGD par les principes constitutionnels et donc qu’ils avaient valeur constitutionnelle. Le professeur Favoreu expliquait qu’il ne pouvait y avoir dans l’ordre juridique qu’un seul et même principe par exemple d’égalité devant la loi.

·        Cette thèse a été combattue tout d’abord par Chapus et expliquait qu’il ne fallait pas confondre l’analyse matérielle fondée sur le contenu des principes qui peuvent être identiques et une analyse de type formelle fondée sur la juridiction qui dégage le principe. Il y avait bien deux principes d’égalité devant la loi : un PGD de valeur infra-législative et un principe de nature constitutionnelle.


v Cette controverse a tourné court dans la mesure où le CE a réorienté sa jurisprudence et désormais plutôt que de s’appuyer sur un PGD, il s’appuiera sur un principe constitutionnel ou une disposition de la constitution équivalant. C’est ainsi que le principe d’égal admissibilité aux emplois publics dont le CE avait fait dans l’arrêt Barel un PGD n’est plus dans la jurisprudence administrative fondée sur la théorie des PGD mais directement fondée sur l’article 6 de la DDHC qui a valeur constitutionnelle. C’est ce qu’il fait dans un arrêt de 1988, Blet et Sabianig. Les PGD sont alors absorbés par les règles constitutionnelles.
Pourquoi ?
-      Tout d’abord par un souci de cohérence (difficile d’expliquer qu’il y a deux principes, qui peuvent alors être interprétés différemment, autant alors appliquer le même principe et alors la cohérence est assurée par le mécanisme de l’article 62 de la constitution) et un

-      2ème argument est que le recours à un principe à valeur constitutionnelle donne plus de légitimité.

-      Il peut y’avoir un 3ème argument qui est que dans certains cas, le recours à certains principes constitutionnels va permettre d’écarter certaines dispositions normatives alors que le PGD ne lui aurait pas permis de le faire : arrêt de 1996, Koné : recours contre la décision d’extradition d’un ressortissant malien vers son pays d’origine. Le requérant expliquait que cette demande d’extradition était faite dans un mobile politique. Il était opposant politique. Le ressortissant expliquait qu’il existait un PGD qui interdisait d’extrader quand l’extradition est demandée dans un but politique. Il tirait ce PGD d’un certain nombre de conventions internationales interdisant l’extradition fondée sur des infractions de nature politique. Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement explique qu’il y a un PGD qui fait que le JA doit interpréter les stipulations du traité dans ce sens et il demande au CE d’annuler la décision d’extradition. Le CE ne va pas suivre complètement son commissaire du gouvernement, il va dire qu’il y a bien un principe qui interdit l’extradition demandée dans un but politique mais le CE va juger que ce principe est un principe à valeur constitutionnelle. Le CE pense que comme les traités ont une valeur supérieure à la loi, il ne peut pas vraiment s’appuyer sur un PGD qui sont inférieurs à la loi.

paragraphe 2 : l’officialisation du pouvoir normatif du ja : le droit jurisprudentiel transitoire


·        Est en jeu un arrêt du CE du 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation. Dans cet arrêt, le CE se reconnait un pouvoir qui est de moduler les effets de sa jurisprudence qui l’amène à dire explicitement qu’il exerce bien un pouvoir normatif car sa jurisprudence peut faire naitre des problèmes de sécurité juridique, il est à même de les régler.

o   Le problème de cet arrêt est celui du revirement de jurisprudence. La nouvelle solution a par définition un effet rétroactif car elle va s’appliquer pour la 1ère fois à des faits constitués sous l’empire de la solution précédente. En 2007, le CE a accepté de remédier à l’affaire et de moduler dans le temps son changement de jurisprudence : la solution nouvelle est la suivante mais elle ne rentrera en application que dans un certain temps (6 mois, 1 an). Je l’applique à l’affaire en cours, je l’applique aux instances qui sont pendantes au même sujet mais la règle ne rentrera réellement en vigueur qu’à partir de l’année suivante.
En l’espèce il s’agissait de permettre à une entreprise qui a été évincée d’une procédure d’appel d’offre de saisir le juge du contrat pour lui demander d’annuler le contrat attribué à un autre.


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