Ce statut
juridique commun est constitué de trois principes qui ont été formalisés dans
les années 1930 par un grand auteur, Louis Rolland. Ce dernier formalise les
principes constitutifs du statut juridique du service public, et c’est la
raison pour laquelle on parle fréquemment de « loi de Rolland » pour
évoquer les principes du service public.
Ces trois
principes sont : le principe de continuité, le principe d’égalité, le
principe d’adaptation.
Section
1 : La continuité du service public
Il y a là un
principe juridique particulièrement noble, puisque ce principe de continuité a
été regardé traditionnellement par le Conseil d’Etat comme un principe général
du droit. Le Conseil d’Etat pour bien marquer que ce principe de continuité est
à ces yeux au sein même du droit un principe particulièrement fort, il utilise
les termes de « principe fondamental » (à Arrêt du 13 Juin 1980,
Dame Bonjean). Le Conseil Constitutionnel de son coté, depuis une décision du
25 Juillet 1979, reconnaît la valeur constitutionnelle du principe de
continuité. L’exigence de continuité n’implique pas nécessairement un
fonctionnement ininterrompu du service. Le principe de continuité signifie
qu’une activité de service public ne doit pas souffrir d’interruption autre que
celle prévu par les règlements du service.
La question la
plus délicate est la conscilliation du principe de continuité avec le droit de
grève dont bénéficie, sauf exception, les agents du service public. Pour ce qui
est du droit de grève, le texte de référence est une disposition du préambule
constitutionnel forgée en 1946, au terme de laquelle « le droit de grève
s’exerce dans le cadre des lois qui le réglemente. ». Il y a là une formulation très générale.
Aucun sort particulier n’apparaît réserver aux agents du service public. Ces
derniers paraissent loger à la même enseigne que les autres citoyens du pays,
ils semblent avoir vocation à pouvoir user du droit de grève. Sur la base de ce
texte constitutionnel, il devient nécessaire de trouver une conciliation entre
deux principes juridiques antagonistes. Cette exigence de conciliation ne
s’impose que depuis 1946. C’est la formulation du préambule constitutionnel qui
est à l’origine de cette nécessaire conciliation. Sous la III République, la
continuité était entendue de manière radicale, elle excluait tout droit de
grèves au bénéfice des agents des services publics. La jurisprudence se
montrait en la matière particulièrement sévère.
Depuis 1946,
il importe de trouver un compromis entre continuité du service public et droit
de grève. Deux questions viennent alors à se poser : Quelles autorités
peuvent établir se compromis nécessaire ? Quelles sont les mesures de
conciliation susceptibles d’être édictées.
Quelles
autorités sont compétentes ?
La réponse à
cette question semble apporter expressément par les termes mêmes du préambule
constitutionnel. C’est au législateur qu’il appartient d’intervenir en la
matière. De ce point de vu, le préambule annonce des lois postérieures.
Seulement, sur ce terrain, le législateur va très largement fuir ses
responsabilités. Il n’y a aucune réglementation législative d’ensemble du droit
de grève. Quelques textes législatifs
ponctuels interviendront de temps à autres. Exemple : La loi du 31 Juillet
1963 établit une double interdiction à interdiction des
grèves surprises et interdiction des grèves tournantes dans les services
publics. Au plan juridique, cela signifie que les agents qui feraient grèves en
méconnaissance de cette double prohibition commettraient une faute, susceptible
d’être sanctionnée sur le terrain disciplinaire. La jurisprudence a pris acte
de telles lacunes législatives, et s’est employée à trouver des palliatifs.
C’est ainsi que dans un arrêt du 7 Juillet 1950, Dehaene, le Conseil d’Etat
reconnaît au gouvernement la possibilité de prendre l’initiative de réglementer
la grève dans les services publics. C’est un premier temps dans une sorte de
dérive, qui nous éloigne progressivement des termes du préambule
constitutionnel. Puis le Conseil d’Etat rend un arrêt le 14 Mars 1956, Hublin,
et il reconnaît aux ministres le loisir de réglementer la règle en tant que de
besoin dans les services publics. Enfin, dans l’arrêt du 19 Janvier 1962,
Bernadet, le Conseil d’Etat reconnaît à tous chefs de service le loisir de
réglementer l’exercice du droit de grève. Exemple : le directeur d’un
hôpital public pourra réglementer l’exercice du droit de grève dans l’hôpital.
Un simple chef de service peut se substituer à un simple législateur
défaillant. Cela semble marquer une attitude un peu désinvolte du Conseil
d’Etat à l’égard du droit de grève.
Quelles
mesures sont susceptibles d’être édictées ?
La question
qui vient ici est celle de savoir si, lorsqu’elles réglementent la grève, les
autorités administratives là disposent de pouvoirs identiques à ceux du
Parlement. Le Président de la RATP peut faire tout ce que pourrait faire le
législateur ? Si on apportait une réponse affirmative à cette question, ce
serait extrêmement grave, puisque cela signifierait que le législateur fait vraiment
fi d’un droit constitutionnel qu’est le droit de grève.
Les pouvoirs
administratifs disposent en fait d’un pouvoir plus limité que le Parlement. La
jurisprudence pose qu’en cas de grève dans les services publics, les besoins
vitaux de la population doivent demeurer satisfaits. Mais ces besoins vitaux
sont interprétés de manières très restrictives par la jurisprudence,
assimilées, aux seules exigences de l’ordre public. Alors, à ce compte là, le
chef de service de l’hôpital peut imposer un service minimum en cas de grève,
il en va de la sécurité publique ; mais le chef de la SNCF ne peut pas
imposer un service minimum, car il n’y a pas d’impératifs liés à l’ordre
public. S’agirait-il d’imposer de manière systématique un fonctionnement
minimum dans les services publics en cas de grève ? Qui serait seul
compétent pour imposer ce service minimum ?
Section
2 : Le principe d’égalité
Quelle est la
dignité du principe ? Le principe d’égalité dans le service public est un
principe très noble. Selon la jurisprudence administrative traditionnelle, il
s’agit d’un principe général du droit. L’arrêt de référence en la matière est
un arrêt du Conseil d’Etat du 9 Mars 1951, Société des concerts du
conservatoire.
Le Conseil
constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle à ce principe dans une
décision du 12 Juillet 1979.
Qu’est-ce que
signifie « égalité devant le service public ? ». Cela signifie
que le service public doit fonctionner dans les mêmes conditions au profit de
tous les usagers, sinon un véritable droit à ne pas subir de
discrimination. Mais ce principe
d’égalité n’est pas entendu de manière absolue. Cela signifie que l’égalité
s’accommode de discriminations. Ces discriminations peuvent être autorisées par
des textes législatifs. Les autorités administratives peuvent elles aussi
prendre l’initiative par des textes législatifs ; S’il existe entre les
usagers des différences de situations appréciables ; où en cas de
nécessité d’intérêt général.
A] Les
différences de situations appréciables
Les
différences de situations ne peuvent pas justifier des traitements
discriminatoires lorsqu’elles sont de trop faibles ampleurs, ou lorsqu’elles
sont dépourvues de caractères objectifs.
Quelles sont
les données constitutives de ces différentes situations ? Ces données
constitutives tiennent le plus souvent aux ressources des usagers ou bien à
leur lieu de résidence. Concrètement, le plus souvent, par différences de
situations appréciables, c’est cela que la jurisprudence entend (des
différences de ressources ou des différences liées au lieu de résidence).
a)
Les différences de ressources
des usagers
Le service
public n’est pas nécessairement gratuit. Il est vrai que jadis la gratuité a
été entendue comme un corollaire de l’égalité. A la fin du XIXe siècle, la
gratuité est regardée comme le seul moyen d’assurer une parfaite égalité entre
les usagers. Cette conception ne s’est véritablement imposée qu’à une époque où
les activités de service public relevaient encore pour une très large part de
l’aide sociale. Mais progressivement, le champ des services publics s’est
développé de façon très sensible. Cette croissance diversifiée a eu pour
résultat que les usagers du service n’ont plus été nécessairement des individus
défavorisés ou indigents. A partir de là, au non de l’équité, une doctrine de
« gratuité moyenne » prend naissance. Le financement de cette
« gratuité moyenne » fait appelle conjointement à l’usager et aux
contribuables. La gratuité ne peut donc
plus être perçue comme un trait caractéristique du service public. Certains
services publics sont gratuits, d’autres sont payants. De façon générale, tous
les services publics industriels et commerciaux (SPIC) ont un caractère payant.
A ce moment là, la distinction entre service payants et services gratuits est
une distinction qui passe à l’intérieur des services publics administratifs. De
façon générale, ont un caractère gratuit les services publics administratifs
dont l’usage est obligatoire, en revanche ont un caractère payants dont l’usage
est simplement facultatif. Exemple : le service public de l’enseignement à
gratuité de l’enseignement qui correspond à la période de scolarité
obligatoire. A l’inverse lorsqu’on s’inscrit dans une université, la scolarité
n’est plus obligatoire, donc il y a des frais d’inscription a acquitté.
S’agissant des services publics administratifs payants, le prix acquitté par
l’usager doit demeurer modéré. Il ne doit pas, en effet, dépassé le coût de
revient de la prestation fournie. Le propre des services publics administratifs
ce n’est pas de chercher à réaliser des bénéfices.
b)
Le lieu de résidence
Arrêt de
référence rendu le 10 Mai 1974 par le Conseil d’Etat, Denoyez et Chorques. Le
problème posé au Conseil d’Etat est relatif au tarif pratiqué par un service
public de bac qui relie le continent à l’île de Ré. Les gestionnaires de ce
service (en l’occurrence le département de Charente maritime) ont décidé
d’accorder un tarif de faveur aux habitants de l’île de Ré. Denoyez et Chorques
ont une résidence secondaire sur l’île de Ré, et estiment qu’à ce titre, ils
sont fondés eux aussi à bénéficier de tarifs préférentiels. Le Conseil d’Etat
ne fait pas droit aux arguments des requérants. à Seul les habitants de
l’île de Ré sont placés dans une situation différente de celles des autres
usagers du bac, dans la mesure où ils sont conduits à utiliser régulièrement le
service.
B] Les
nécessités d’intérêt général
Selon la
jurisprudence, toute référence à l’intérêt général ne suffit pas pour fonder
des discriminations entre les usagers du service public. Les nécessités
d’intérêt général doivent avoir un caractère pertinent. Elles doivent être en
rapport avec les conditions d’exploitation du service, ou avec l’objet du
service.
Illustration
par deux arrêts rendus par le Conseil d’Etat le 29 Décembre 1997, commune de
Gennevilliers et Nanterre. Les Conseils Municipaux de ces deux villes ont fixé
des droits d’inscriptions aux écoles de musique, qui diffèrent selon les ressources des familles. Il s’agit
de savoir si un tel parti est régulier. Ces discriminations sont-elles ou non
admissibles ? Le Conseil d’Etat valide les délibérations qui lui sont
soumises. Le Conseil d’Etat observe que l’accès aux écoles municipales de
musiques de tous les élèves qui le souhaitent, y compris ceux issus des milieux
les plus modestes, répond à un intérêt général, en rapport avec l’objet même du
service, au nom du souci de diffusion de la culture. Ces deux arrêts de 1997
constituent un revirement de la jurisprudence. La jurisprudence antérieure
n’admettait des tarifs discriminatoires que s’agissant de l’accès aux seuls
services sociaux, en revanche, elles étaient considérées illégales s’agissant
des services culturels.
Section
3 : Le principe d’adaptation (principe de mutabilité)
Le principe
d’adaptation n’a pas la même noblesse que les précédents, le Conseil d’Etat ne
le fait pas figurer parmi les principes généraux. Le Conseil Constitutionnel
n’a pas été amené à lui accorder une valeur constitutionnelle. Pourtant, ce
principe emporte des conséquences tangibles, aussi bien dans les relations
entre le service public et l’usager que dans les rapports entre les
collectivités publiques et les organismes, auxquelles elles peuvent confier la
gestion d‘un service public.
A] La
situation de l’usager du service public
L’exigence
d’adaptation peut se faire au détriment de l’usager comme à son bénéfice.
a)
L’adaptation au détriment de
l’usager
En premier
lieu, les usagers ne disposent pas de droits acquis au maintien d’un service
public. Par conséquent les collectivités publiques peuvent supprimer à tout
moment un service public, sans que les citoyens soient juridiquement fondés à
s’opposer à de telles décisions. Il y a une limite à ces possibilités de
suppression. Cette limite concerne les services publics dont l’existence est
visée par la Constitution. Il existe donc une distinction à opérer au sein des
services publics entre les services à caractères constitutionnels et les
autres. Cette distinction a été initiée par le Conseil Constitutionnel dans une
décision des 25 et 26 Juin 1986 à propos des privatisations des entreprises
publiques. Au vu de ces décisions, opérées par la Conseil Constitutionnel,
seule la pérennité de tels services publics est assurée.
Les services
publics dont la pérennité est assurée sont des services tel que l’enseignement,
la justice, la défense. A l’inverse les pouvoirs publics peuvent juridiquement
supprimé le service public des chemins de fer. L’adaptation assure aux
collectivités publiques le loisir de supprimer les activités de service public
lorsqu’elles le souhaitent à l’exception des services à caractère
constitutionnel.
En second
lieu, aucuns droits acquis au maintient des conditions de fonctionnement d’un
service public n’est garanti aux usagers. Ce faisant, les services publics
peuvent subirent des transformation sans que les usagers puissent juridiquement
s’y opposer.
Exemple :
La SNCF peut supprimer des lignes ferroviaires à caractère non rentable et les
substituer par des lignes d’autocar.
Mais le
principe d’adaptation n’est pas uniquement voué à fonctionner contre l’usager,
il peut aussi être constitutif d’un droit pour les usagers.
b)
Le principe d’adaptation en
tant que droit au bénéfice des usagers
Prétendre à ce
que le service fonctionne conformément à leurs attentes légitimes. En cas de
fonctionnement défectueux du service. L’usager possède deux armes qui sont deux
garantis majeurs. L’usager peut engager un recours juridictionnel en annulation
contre toutes mesures à l’origine du mauvais fonctionnement. Parallèlement
l’usager peut aussi demander à être indemniser du préjudice que lui cause le
mauvais fonctionnement du service.
Lorsqu’elle
est saisie de telle question, la jurisprudence établie une distinction entre le
fonctionnement véritablement anormal du service public et la simple gêne causée
aux usagers. Pour obtenir réparation du préjudice, il faudra prouver que de
façon quasi-systématique le service public fonctionne de façon anormale.
B] La
situation du délégataire de service public
Le principe
d’adaptation n’emporte pas d’incidence que dans la relation entre le service
public et les usagers, elle emporte aussi des incidences entre les
collectivités publiques et les organismes charge de gérer le service public.
Au nom de
l’adaptation du service, les collectivités publiques peuvent modifier
unilatéralement telles ou telles closes du contrat qu’elles ont passé avec le
gestionnaire du service.
A ce
stade, nous savons comment procéder pour identifier une activité de service
public. On sait quels critères s’en remettre pour dire si telle activité relève
du service public ou du service privé. On sait aussi que toutes les activités
de service public sont soumises à un même statut juridique. On sait également que
toutes les activités publiques sont soumises à ce même statut juridique quelque
soit par ailleurs leur mode de gestion.
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