mercredi 5 octobre 2016

Le statut juridique du service public

Ce statut juridique commun est constitué de trois principes qui ont été formalisés dans les années 1930 par un grand auteur, Louis Rolland. Ce dernier formalise les principes constitutifs du statut juridique du service public, et c’est la raison pour laquelle on parle fréquemment de « loi de Rolland » pour évoquer les principes du service public.
Ces trois principes sont : le principe de continuité, le principe d’égalité, le principe d’adaptation.


Section 1 : La continuité du service public

Il y a là un principe juridique particulièrement noble, puisque ce principe de continuité a été regardé traditionnellement par le Conseil d’Etat comme un principe général du droit. Le Conseil d’Etat pour bien marquer que ce principe de continuité est à ces yeux au sein même du droit un principe particulièrement fort, il utilise les termes de « principe fondamental » (à Arrêt du 13 Juin 1980, Dame Bonjean). Le Conseil Constitutionnel de son coté, depuis une décision du 25 Juillet 1979, reconnaît la valeur constitutionnelle du principe de continuité. L’exigence de continuité n’implique pas nécessairement un fonctionnement ininterrompu du service. Le principe de continuité signifie qu’une activité de service public ne doit pas souffrir d’interruption autre que celle prévu par les règlements du service.
La question la plus délicate est la conscilliation du principe de continuité avec le droit de grève dont bénéficie, sauf exception, les agents du service public. Pour ce qui est du droit de grève, le texte de référence est une disposition du préambule constitutionnel forgée en 1946, au terme de laquelle « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglemente. ».  Il y a là une formulation très générale. Aucun sort particulier n’apparaît réserver aux agents du service public. Ces derniers paraissent loger à la même enseigne que les autres citoyens du pays, ils semblent avoir vocation à pouvoir user du droit de grève. Sur la base de ce texte constitutionnel, il devient nécessaire de trouver une conciliation entre deux principes juridiques antagonistes. Cette exigence de conciliation ne s’impose que depuis 1946. C’est la formulation du préambule constitutionnel qui est à l’origine de cette nécessaire conciliation. Sous la III République, la continuité était entendue de manière radicale, elle excluait tout droit de grèves au bénéfice des agents des services publics. La jurisprudence se montrait en la matière particulièrement sévère.
Depuis 1946, il importe de trouver un compromis entre continuité du service public et droit de grève. Deux questions viennent alors à se poser : Quelles autorités peuvent établir se compromis nécessaire ? Quelles sont les mesures de conciliation susceptibles d’être édictées.


Quelles autorités sont compétentes ?

La réponse à cette question semble apporter expressément par les termes mêmes du préambule constitutionnel. C’est au législateur qu’il appartient d’intervenir en la matière. De ce point de vu, le préambule annonce des lois postérieures. Seulement, sur ce terrain, le législateur va très largement fuir ses responsabilités. Il n’y a aucune réglementation législative d’ensemble du droit de grève.  Quelques textes législatifs ponctuels interviendront de temps à autres. Exemple : La loi du 31 Juillet 1963 établit une double interdiction à interdiction des grèves surprises et interdiction des grèves tournantes dans les services publics. Au plan juridique, cela signifie que les agents qui feraient grèves en méconnaissance de cette double prohibition commettraient une faute, susceptible d’être sanctionnée sur le terrain disciplinaire. La jurisprudence a pris acte de telles lacunes législatives, et s’est employée à trouver des palliatifs. C’est ainsi que dans un arrêt du 7 Juillet 1950, Dehaene, le Conseil d’Etat reconnaît au gouvernement la possibilité de prendre l’initiative de réglementer la grève dans les services publics. C’est un premier temps dans une sorte de dérive, qui nous éloigne progressivement des termes du préambule constitutionnel. Puis le Conseil d’Etat rend un arrêt le 14 Mars 1956, Hublin, et il reconnaît aux ministres le loisir de réglementer la règle en tant que de besoin dans les services publics. Enfin, dans l’arrêt du 19 Janvier 1962, Bernadet, le Conseil d’Etat reconnaît à tous chefs de service le loisir de réglementer l’exercice du droit de grève. Exemple : le directeur d’un hôpital public pourra réglementer l’exercice du droit de grève dans l’hôpital. Un simple chef de service peut se substituer à un simple législateur défaillant. Cela semble marquer une attitude un peu désinvolte du Conseil d’Etat à l’égard du droit de grève.

Quelles mesures sont susceptibles d’être édictées ?

La question qui vient ici est celle de savoir si, lorsqu’elles réglementent la grève, les autorités administratives là disposent de pouvoirs identiques à ceux du Parlement. Le Président de la RATP peut faire tout ce que pourrait faire le législateur ? Si on apportait une réponse affirmative à cette question, ce serait extrêmement grave, puisque cela signifierait que le législateur fait vraiment fi d’un droit constitutionnel qu’est le droit de grève.
Les pouvoirs administratifs disposent en fait d’un pouvoir plus limité que le Parlement. La jurisprudence pose qu’en cas de grève dans les services publics, les besoins vitaux de la population doivent demeurer satisfaits. Mais ces besoins vitaux sont interprétés de manières très restrictives par la jurisprudence, assimilées, aux seules exigences de l’ordre public. Alors, à ce compte là, le chef de service de l’hôpital peut imposer un service minimum en cas de grève, il en va de la sécurité publique ; mais le chef de la SNCF ne peut pas imposer un service minimum, car il n’y a pas d’impératifs liés à l’ordre public. S’agirait-il d’imposer de manière systématique un fonctionnement minimum dans les services publics en cas de grève ? Qui serait seul compétent pour imposer ce service minimum ?


Section 2 : Le principe d’égalité

Quelle est la dignité du principe ? Le principe d’égalité dans le service public est un principe très noble. Selon la jurisprudence administrative traditionnelle, il s’agit d’un principe général du droit. L’arrêt de référence en la matière est un arrêt du Conseil d’Etat du 9 Mars 1951, Société des concerts du conservatoire.
Le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle à ce principe dans une décision du 12 Juillet 1979.

Qu’est-ce que signifie « égalité devant le service public ? ». Cela signifie que le service public doit fonctionner dans les mêmes conditions au profit de tous les usagers, sinon un véritable droit à ne pas subir de discrimination.  Mais ce principe d’égalité n’est pas entendu de manière absolue. Cela signifie que l’égalité s’accommode de discriminations. Ces discriminations peuvent être autorisées par des textes législatifs. Les autorités administratives peuvent elles aussi prendre l’initiative par des textes législatifs ; S’il existe entre les usagers des différences de situations appréciables ; où en cas de nécessité d’intérêt général.


A] Les différences de situations appréciables

Les différences de situations ne peuvent pas justifier des traitements discriminatoires lorsqu’elles sont de trop faibles ampleurs, ou lorsqu’elles sont dépourvues de caractères objectifs.
Quelles sont les données constitutives de ces différentes situations ? Ces données constitutives tiennent le plus souvent aux ressources des usagers ou bien à leur lieu de résidence. Concrètement, le plus souvent, par différences de situations appréciables, c’est cela que la jurisprudence entend (des différences de ressources ou des différences liées au lieu de résidence).
a)      Les différences de ressources des usagers

Le service public n’est pas nécessairement gratuit. Il est vrai que jadis la gratuité a été entendue comme un corollaire de l’égalité. A la fin du XIXe siècle, la gratuité est regardée comme le seul moyen d’assurer une parfaite égalité entre les usagers. Cette conception ne s’est véritablement imposée qu’à une époque où les activités de service public relevaient encore pour une très large part de l’aide sociale. Mais progressivement, le champ des services publics s’est développé de façon très sensible. Cette croissance diversifiée a eu pour résultat que les usagers du service n’ont plus été nécessairement des individus défavorisés ou indigents. A partir de là, au non de l’équité, une doctrine de « gratuité moyenne » prend naissance. Le financement de cette « gratuité moyenne » fait appelle conjointement à l’usager et aux contribuables.  La gratuité ne peut donc plus être perçue comme un trait caractéristique du service public. Certains services publics sont gratuits, d’autres sont payants. De façon générale, tous les services publics industriels et commerciaux (SPIC) ont un caractère payant. A ce moment là, la distinction entre service payants et services gratuits est une distinction qui passe à l’intérieur des services publics administratifs. De façon générale, ont un caractère gratuit les services publics administratifs dont l’usage est obligatoire, en revanche ont un caractère payants dont l’usage est simplement facultatif. Exemple : le service public de l’enseignement à gratuité de l’enseignement qui correspond à la période de scolarité obligatoire. A l’inverse lorsqu’on s’inscrit dans une université, la scolarité n’est plus obligatoire, donc il y a des frais d’inscription a acquitté. S’agissant des services publics administratifs payants, le prix acquitté par l’usager doit demeurer modéré. Il ne doit pas, en effet, dépassé le coût de revient de la prestation fournie. Le propre des services publics administratifs ce n’est pas de chercher à réaliser des bénéfices.


b)      Le lieu de résidence

Arrêt de référence rendu le 10 Mai 1974 par le Conseil d’Etat, Denoyez et Chorques. Le problème posé au Conseil d’Etat est relatif au tarif pratiqué par un service public de bac qui relie le continent à l’île de Ré. Les gestionnaires de ce service (en l’occurrence le département de Charente maritime) ont décidé d’accorder un tarif de faveur aux habitants de l’île de Ré. Denoyez et Chorques ont une résidence secondaire sur l’île de Ré, et estiment qu’à ce titre, ils sont fondés eux aussi à bénéficier de tarifs préférentiels. Le Conseil d’Etat ne fait pas droit aux arguments des requérants. à Seul les habitants de l’île de Ré sont placés dans une situation différente de celles des autres usagers du bac, dans la mesure où ils sont conduits à utiliser régulièrement le service.


B] Les nécessités d’intérêt général

Selon la jurisprudence, toute référence à l’intérêt général ne suffit pas pour fonder des discriminations entre les usagers du service public. Les nécessités d’intérêt général doivent avoir un caractère pertinent. Elles doivent être en rapport avec les conditions d’exploitation du service, ou avec l’objet du service.

Illustration par deux arrêts rendus par le Conseil d’Etat le 29 Décembre 1997, commune de Gennevilliers et Nanterre. Les Conseils Municipaux de ces deux villes ont fixé des droits d’inscriptions aux écoles de musique, qui diffèrent  selon les ressources des familles. Il s’agit de savoir si un tel parti est régulier. Ces discriminations sont-elles ou non admissibles ? Le Conseil d’Etat valide les délibérations qui lui sont soumises. Le Conseil d’Etat observe que l’accès aux écoles municipales de musiques de tous les élèves qui le souhaitent, y compris ceux issus des milieux les plus modestes, répond à un intérêt général, en rapport avec l’objet même du service, au nom du souci de diffusion de la culture. Ces deux arrêts de 1997 constituent un revirement de la jurisprudence. La jurisprudence antérieure n’admettait des tarifs discriminatoires que s’agissant de l’accès aux seuls services sociaux, en revanche, elles étaient considérées illégales s’agissant des services culturels. 


Section 3 : Le principe d’adaptation (principe de mutabilité)

Le principe d’adaptation n’a pas la même noblesse que les précédents, le Conseil d’Etat ne le fait pas figurer parmi les principes généraux. Le Conseil Constitutionnel n’a pas été amené à lui accorder une valeur constitutionnelle. Pourtant, ce principe emporte des conséquences tangibles, aussi bien dans les relations entre le service public et l’usager que dans les rapports entre les collectivités publiques et les organismes, auxquelles elles peuvent confier la gestion  d‘un service public.


A] La situation de l’usager du service public

L’exigence d’adaptation peut se faire au détriment de l’usager comme à son bénéfice.


a)      L’adaptation au détriment de l’usager

En premier lieu, les usagers ne disposent pas de droits acquis au maintien d’un service public. Par conséquent les collectivités publiques peuvent supprimer à tout moment un service public, sans que les citoyens soient juridiquement fondés à s’opposer à de telles décisions. Il y a une limite à ces possibilités de suppression. Cette limite concerne les services publics dont l’existence est visée par la Constitution. Il existe donc une distinction à opérer au sein des services publics entre les services à caractères constitutionnels et les autres. Cette distinction a été initiée par le Conseil Constitutionnel dans une décision des 25 et 26 Juin 1986 à propos des privatisations des entreprises publiques. Au vu de ces décisions, opérées par la Conseil Constitutionnel, seule la pérennité de tels services publics est assurée.
Les services publics dont la pérennité est assurée sont des services tel que l’enseignement, la justice, la défense. A l’inverse les pouvoirs publics peuvent juridiquement supprimé le service public des chemins de fer. L’adaptation assure aux collectivités publiques le loisir de supprimer les activités de service public lorsqu’elles le souhaitent à l’exception des services à caractère constitutionnel.

En second lieu, aucuns droits acquis au maintient des conditions de fonctionnement d’un service public n’est garanti aux usagers. Ce faisant, les services publics peuvent subirent des transformation sans que les usagers puissent juridiquement s’y opposer.
Exemple : La SNCF peut supprimer des lignes ferroviaires à caractère non rentable et les substituer par des lignes d’autocar.

Mais le principe d’adaptation n’est pas uniquement voué à fonctionner contre l’usager, il peut aussi être constitutif d’un droit pour les usagers.

b)      Le principe d’adaptation en tant que droit au bénéfice des usagers

Prétendre à ce que le service fonctionne conformément à leurs attentes légitimes. En cas de fonctionnement défectueux du service. L’usager possède deux armes qui sont deux garantis majeurs. L’usager peut engager un recours juridictionnel en annulation contre toutes mesures à l’origine du mauvais fonctionnement. Parallèlement l’usager peut aussi demander à être indemniser du préjudice que lui cause le mauvais fonctionnement du service.
Lorsqu’elle est saisie de telle question, la jurisprudence établie une distinction entre le fonctionnement véritablement anormal du service public et la simple gêne causée aux usagers. Pour obtenir réparation du préjudice, il faudra prouver que de façon quasi-systématique le service public fonctionne de façon anormale.


B] La situation du délégataire de service public

Le principe d’adaptation n’emporte pas d’incidence que dans la relation entre le service public et les usagers, elle emporte aussi des incidences entre les collectivités publiques et les organismes charge de gérer le service public.
Au nom de l’adaptation du service, les collectivités publiques peuvent modifier unilatéralement telles ou telles closes du contrat qu’elles ont passé avec le gestionnaire du service.

A ce stade, nous savons comment procéder pour identifier une activité de service public. On sait quels critères s’en remettre pour dire si telle activité relève du service public ou du service privé. On sait aussi que toutes les activités de service public sont soumises à un même statut juridique. On sait également que toutes les activités publiques sont soumises à ce même statut juridique quelque soit par ailleurs leur mode de gestion. 

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