C'est une
question centrale. La question du pouvoir discrétionnaire soulève une hypothèse
quotidienne de l'activité administrative, c'est la part de liberté que
détient chaque autorité administrative au moment de décider. C'est celle qui
n'est pas réglée par la loi. Or, la mission de l'autorité administrative
est d'appliquer la loi à un cas concret. De ce passage entre le général
et le particulier, il y a toujours une part de liberté qui ne peut pas
être encadrée par le législateur. Le
pouvoir discrétionnaire n'est pas une anomalie.
Le
problème est qu'il ne faut pas que cette part de liberté dégénère en part
d'arbitraire. L'administration n'est pas autorisée à faire n'importe quoi.
C'est
tout l'enjeu du droit administratif de maintenir cette part légale de liberté,
tout en faisant en sorte par le contrôle du juge que les droits des administrés
soient réduits à néant par la puissance de l'administration.
Section 1 : Une part
légale de liberté
§1 :
POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE ET COMPÉTENCE LIÉE
§
La notion de pouvoir discrétionnaire est
indissociable de la notion de légalité. Ce n'est pas le contraire de
la légalité, mais une part de la
légalité. Cela dit, cette part de liberté laissée à l'administration peut
être selon les cas organisée de manières différentes.
§
Il existe ainsi une distinction essentielle
entre ce qu'on appelle le pouvoir discrétionnaire (l'administration
dispose d'une liberté pour appliquer la loi) et la compétence liée (l'administration
est complètement liée par la loi dans son application).
o
La difficulté est que cette opposition
fondamentale est dans les faits toujours relative. En effet, une décision
administrative est toujours le résultat d'un processus décisionnel,
intellectuel. Il peut y avoir plusieurs moments dans le raisonnement de
l'administration, et des raisonnements qui peuvent s'enchainer.
ð
Exemple : les sanctions appliquées
aux fonctionnaires : c'est un processus très compliqué avec plusieurs étapes :
1°) le fonctionnaire a-t-il commis une faute
? Tout dépend la définition que l'on donne de la faute. 2°) Quelle sanction peut-on appliquer à cette faute
? 3°) En cas de faute, l'autorité hiérarchique est-elle tenue de sanctionner, ou en a-t-elle seulement la faculté ? Si l'administration prend une
sanction, quelle est la bonne sanction à appliquer ? L'administration se
retourne alors vers la loi, le statut des fonctionnaires. Imaginons qu'elle puisse
prendre la sanction A, B, ou C, mais pas la plus grave, la sanction D. Dans ce
cas, l'autorité hiérarchique est à la fois dans une situation de
compétence liée (elle ne peut prendre la sanction la plus grave), mais
aussi dans une situation de pouvoir discrétionnaire (A, B, C).
·
La distinction pouvoir discrétionnaire/compétence
liée ne conduit pas isoler les actes, mais plutôt à estimer que l'on
n'est jamais face à une situation de pur pouvoir discrétionnaire ou de pure
compétence liée. Pour le reste du temps, on retrouve cette distinction
à travers le processus décisionnel complexe. Le pouvoir discrétionnaire n'est
jamais tout ou rien. Ce n'est pas un pouvoir : il y a toujours
une part de discrétionnalité dans les actes.
·
On notera que la
détention du pouvoir discrétionnaire n'est jamais discrétionnaire.
Notamment, le juge a posé pour règle que l'autorité qui dispose de ce
pouvoir discrétionnaire ne peut jamais refuser de l'exercer. Elle ne
peut dire à l'avance qu'elle ne l'exercera pas. La jurisprudence exige
toujours, qu'avant de décider, l'administration procède à un examen particulier
du dossier de l'administré.
v
Le pouvoir discrétionnaire suppose toujours une
combinaison entre ce qui est déterminé par la loi, et ce qui est laissé à la
discrétion de l'administration
§2 :
LÉGALITÉ ET POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE
On
pourrait penser que le pouvoir discrétionnaire est extérieur à la notion de
légalité. C'est une idée fausse. L'opportunité n'est pas le contraire de
la légalité. Le pouvoir discrétionnaire n'est jamais que le traitement juridique des questions
d'opportunité.
Ce qui a
pu, un temps, entretenir la confusion entre l'idée que le pouvoir
discrétionnaire est extérieur à légalité est la jurisprudence du CE dans le 19ème siècle qui avait notamment
dans les domaines de haute police, perduré l'idée de l'existence d'actes
discrétionnaires. Ce sont des actes dont l'ensemble du processus
décisionnel serait laissé à l'appréciation de l'autorité compétente.
Depuis un
arrêt Grazietti, CE, 1902, le CE a jugé qu'il n'y avait pas
d'actes discrétionnaires. Les seuls actes qui sont injustifiables par
nature sont les actes de gouvernement (actes de nature
politique).

§3 :
L'EXERCICE DU POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE
L'existence
du pouvoir discrétionnaire peut poser des problèmes à l'administration
elle-même, notamment quand on rapporte la question du pouvoir
discrétionnaire à celle de la déconcentration (possibilité de
transférer à des autorités extérieures à l'administration centrale un pouvoir
de décision). La difficulté est alors pour l'administration nationale que les autorités
déconcentrées puissent utiliser de manière très différente leur marge de
pouvoir discrétionnaire et donc que la politique de l'État ne soit pas la
même dans tous les départements. L'administration a dû alors
s'organiser pour que le pouvoir discrétionnaire s'applique partout de la
même manière.
Pour ce
faire, les ministres ont pris l'habitude d'adresser aux autorités déconcentrées
une sorte de doctrine, un mode d'emploi. Cette pratique pose un problème
: la compétence appartient à l'autorité déconcentrée. Il ne
faut pas que les notes de service lient la compétence de l'autorité
déconcentrée.
La jurisprudence
administrative va très sévèrement encadrer cette pratique : Crédit
foncier de France, CE, 1970. Le CE a consacré une nouvelle catégorie
d'acte juridique : la directive ministérielle. C'est la possibilité
reconnue au ministre de proposer une grille de lecture, de certains critères,
pour essayer de rationaliser sur l'ensemble du territoire tout en laissant
à l'autorité déconcentrée la possibilité de déroger à cette grille de lecture,
si les circonstances du dossier l'exigent.
C'est
uniquement à cette condition sans quoi la directive est possible mais elle
devient un acte règlementaire et
c'est illégal (sous réserve d'une
compétence particulière du ministre).
Section 2 : Pouvoir
discrétionnaire et pouvoir juridictionnel
On ne peut pas les
dissocier. En
effet, par son contrôle, le juge peut être amené à réduire la part de
liberté que la loi a reconnu à l'autorité compétente. Il va notamment
le faire pour protéger les administrés
contre des pratiques abusives de l'administration. Quand le juge considère
que la loi laisse trop de libertés à l'administration et que cette liberté
dégénère en pratiques abusives, le
juge intervient alors pour réduire le pouvoir discrétionnaire.
Il le
fait essentiellement de deux manières :
- Parfois,
l'administration dispose du pouvoir discrétionnaire car la loi a posé des conditions vagues. A ce moment
là, le juge vient les préciser, en leur donnant un contenu détaillé,
précis et contraignant. Du coup, le pouvoir discrétionnaire est
réduit.
- Parfois,
le juge utilise le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation.
Ainsi, on dit que dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire,
l'administration ne peut pas commettre des erreurs manifestes
d'appréciation.
Dans ces
cas, le pouvoir discrétionnaire recule et on se trouve dans une
situation de compétence
davantage liée, liée par le juge (et non par la loi).
Et se
pose la question : le pouvoir
discrétionnaire existe-t-il indépendamment du juge ou est-ce qu'il n'est que ce
que le juge a laissé ?
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