En droit
administratif, l'ensemble des prestations délivrées par administration aux
administrés est désigné sous la notion de services publics. C'est une
notion ambigüe, ambivalente, contradictoire, insaisissable, mais capitale.
Une
expression ambigüe car la notion SP a une double signification : pour l'homme de la rue, les SP
sont d'abord des organes, des institutions. C'est un peu le synonyme
d'administration publique. Mais pour
le juriste, la notion SP n'a pas de sens organique : les SP sont
d'abord et avant tout des activités.
Ce sont les prestations rendues par les collectivités publiques.
Même
quand on se place sous un angle matériel,
il y a une part d'ambigüité qui subsiste car les juristes et les économistes
n'entendent pas l'expression de la même manière. Pour les économistes,
les SP sont une activité non marchande
qui se financent par l'impôt. Pour le juriste, les SP sont toutes les
activités prises en charge par les collectivités publiques sans qu'il faille
distinguer si elles sont marchandes ou pas.
Aujourd’hui,
pour les juristes, le SP est l'ensemble des activités prises en charge
par les collectivités publiques, ou par les personnes de droit privé
que la loi charge d'une telle mission (Caisse primaire aide et protection, TC,
1938).
Le
problème est que cette définition est
contestée par le droit communautaire. Ce dernier préfère la notion de services
d’intérêt général.
La notion
de SP en droit administratif repose sur l'idée, qu'au nom des exigences
de la solidarité nationale (Léon
Duguit parlait de l'interdépendance sociale), certaines activités, parce
qu'elles répondent à des besoins essentielles pour la collectivité, doivent
être prises en charge par la puissance publique. Pour Duguit, c'est
même là la mission essentielle de la puissance publique. Pour Duguit, l'État
c'est "une coopération de SP organisés et contrôles par les
gouvernants". Duguit présente une conception matérielle : SP sont les
prestations rendues à la population.
Cette
conception matérielle va être reprise par le CE. En effet, très vite, le
CE y voit une notion stratégique qui va
lui permettre d'étendre les règles de
droit administratif à toute une série d'activités qui jusqu'alors
n'étaient pas soumises à un régime de droit administratif. Cette idée se
retrouve dans les conclusions, dans
l'arrêt CE, Société des
établissements Vézia, 1935 du
commissaire Latournerie. "Le
SP est l’activité dont l'exécution régulière et réputée par le législateur,
présentait pour l'utilité publique un intérêt assez important pour être assurée
par l'ensemble des procédures du droit public". Ces conclusions sont
remarquables car elles font la synthèse entre deux notions différentes :
- la
première étant qu'est-ce qu'un SP ? A ce moment là, un SP est lorsqu'il est déterminé comme un SP par le pouvoir
politique.
- Latournerie
dit que de cette conception de l'État, doit découler le périmètre du
DA. Gaston Jèze avait
envisagé ce lien entre SP et droit administratif.
Le
problème apparaît immédiatement. Il n'y a pas de définition à proprement
parler du SP. Est alors SP toute activité que, à un moment donné, le
pouvoir public a décidé qu'il est d’utilité publique et que ce soit
l'administration qui la prenne en charge. Pas de conception
matérielle, mais une conception politique.
Pour les juristes, c'est
ennuyeux : il lui faut un critère. Ici, on n'a pas de critère. Le droit public n'est
donc plus en mesure de faire sa fonction, c'est-à-dire d'encadrer les errements du pouvoir. Un certain nombre de problèmes
se posent : dans toutes les activités de SP, il y en a qui sont extrêmement différentes. La contradiction éclate
vite : en 1921 avec l'arrêt Société commerciale de l'Ouest africain.
Suivant les conclusions de l'avocat
général Matère, le TC allait dégager les SP à gestion privée,
c'est-à-dire les SP soumis prioritairement à un régime de droit privé (théorie des SPIC).
Reste que pour l'État, et
notamment pour l'État Providence, cette
théorie du SP va être très pratique. L'État Providence trouve
là un mythe légitimant. La théorie
du SP va toujours justifier l'intervention de l'État dans la société, dans
l'économie. Cette notion de SP va justifier que l'État intervienne partout.
La notion de SP est
totalement française autour de laquelle la République française s'est
construite. L'Allemagne s'est développée avec la théorie de l'État social qui est l'idée
que le bien-être de la population se pose, non pas en terme d'organisation
administrative, et de prise en charge par l'administration des questions
sociales, mais plutôt comme l'affirmation
de droits fondamentaux des administrés.
La
théorie des SP s'appuie sur la conception jacobine, colbertiste, étatiste. C'est une notion combattue :
-
il y a eu pendant longtemps un malentendu avec le
droit communautaire sur la conception française de SP.
-
Aussi combattue à l'intérieur : conception du SP est contestée
par l'idéologie libérale qui repose sur deux idées : 1°) quand l'État
intervient en matière économique et social, il pose plus de problèmes que s'il
n'intervenait pas => il faut réduire périmètre d'intervention de l'État 2°)
même quand l'État intervient, l'État
aurait intérêt à appliquer les méthodes de l'entreprise privée.
En droit
administratif, la notion de SP va jouer un rôle d’un part parce que pendant un
moment, la doctrine, et notamment l'Ecole du SP (surtout Gaston Jèze)
vont vouloir voir dans la notion de SP le critère d'explication du droit
administratif. Ils vont affirmer que là où il y a SP, il y a
droit administratif. Ce courant doctrinal va connaître son apogée en
quelque sorte, en 1910 avec l'arrêt arrêt Thérond, CE, 1910. Le
contrat (enlèvement des bêtes mortes) est-il soumis au DA ou droit privé ? Dans
Thérond, on dit que ce contrat a été conclu pour les besoins du SP, donc c'est
un contrat administratif (DA et JA compétent).
Mais la conception
du SP ne repose sur aucun élément matériel : pas de périmètre défini à
l'avance, c'est selon la volonté du législateur. Ce sont donc des
pans entiers de la vie sociale qui vont tomber sous le joug du DA. C'est donc notre démocratie que l'on
change : cela deviendrait une société où toutes les règles seraient des
règles de droit public (système marxiste, léniniste).
D'où un
peu plus tard, le CE, dans un arrêt de Sociétés des granits porphyroïdes
des Vosges, 1912 : il ne suffit pas qu'un contrat soit conclu pour les
besoins d'un SP pour qu'il soit de droit administratif, il faut qu'en outre,
les parties aient souhaité le soumettre à un régime de droit public en
incluant dans le contrat des clauses exorbitantes du droit commun (droit
privé). Coup de frein du CE, mais qui en annonce un autre, beaucoup plus
fulgurant, déstabilisant.
Arrêt du Société
commerciale de l'Ouest africain, TC, 1921, TC dit qu'il y a des
SPIC à qui on va appliquer le droit privé. La théorie de Jèze est
alors morte ce jour : il y a des SP soumis au droit privé.
La notion
de SP est utilisée par le juge pour
définir les notions verticales du droit administratif. On peut
retrouver la notion de SP pour des notions horizontales :
-
JA utilise SP pour voir si un agent est un agent de droit public, ou de droit privé. Le critère les
distinguant est la participation directe
de l'agent au SP (Affortit et Vingtain, CE, 1954).
-
De la même manière, les biens du domaine public
sont déterminés à l'aide d'un critère utilisant la notion de SP, il faut que les biens soient affectées à
l'exécution d'un SP (Société Le béton, CE, 1956).
Et Époux
Bertin, 1956, CE qui complète la jurisprudence Granits porphyroïdes et
qui dit qu'un contrat peut être administratif, alors même qu'il ne contient
pas de clauses exorbitantes, dès lors qu'il fait participer le cocontractant
à la mission de SP.
v
La notion
de SP joue ainsi un rôle, mais un rôle limité. Ce n'est pas le facteur explicatif du droit administratif, c'est peut-être l'élément de cohérence du droit
administratif.
La théorie du SP pose deux problèmes : un problème de définition et un problème de régime juridique.
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