mercredi 5 octobre 2016

LES ACTIVITES DE PRESTATION : LA THEORIE GENERALE DU SERVICE PUBLIC

En droit administratif, l'ensemble des prestations délivrées par administration aux administrés est désigné sous la notion de services publics. C'est une notion ambigüe, ambivalente, contradictoire, insaisissable, mais capitale.
Une expression ambigüe car la notion SP a une double signification : pour l'homme de la rue, les SP sont d'abord des organes, des institutions. C'est un peu le synonyme d'administration publique. Mais pour le juriste, la notion SP n'a pas de sens organique : les SP sont d'abord et avant tout des activités. Ce sont les prestations rendues par les collectivités publiques.

Même quand on se place sous un angle matériel, il y a une part d'ambigüité qui subsiste car les juristes et les économistes n'entendent pas l'expression de la même manière. Pour les économistes, les SP sont une activité non marchande qui se financent par l'impôt. Pour le juriste, les SP sont toutes les activités prises en charge par les collectivités publiques sans qu'il faille distinguer si elles sont marchandes ou pas.

Aujourd’hui, pour les juristes, le SP est l'ensemble des activités prises en charge par les collectivités publiques, ou par les personnes de droit privé que la loi charge d'une telle mission (Caisse primaire aide et protection, TC, 1938).
Le problème est que cette définition est contestée par le droit communautaire. Ce dernier préfère la notion de services d’intérêt général.


La notion de SP en droit administratif repose sur l'idée, qu'au nom des exigences de la solidarité nationale (Léon Duguit parlait de l'interdépendance sociale), certaines activités, parce qu'elles répondent à des besoins essentielles pour la collectivité, doivent être prises en charge par la puissance publique. Pour Duguit, c'est même là la mission essentielle de la puissance publique. Pour Duguit, l'État c'est "une coopération de SP organisés et contrôles par les gouvernants". Duguit présente une conception matérielle : SP sont les prestations rendues à la population.
Cette conception matérielle va être reprise par le CE. En effet, très vite, le CE y voit une notion stratégique qui va lui permettre d'étendre les règles de droit administratif à toute une série d'activités qui jusqu'alors n'étaient pas soumises à un régime de droit administratif. Cette idée se retrouve dans les conclusions, dans l'arrêt CE, Société des établissements Vézia, 1935 du commissaire Latournerie. "Le SP est l’activité dont l'exécution régulière et réputée par le législateur, présentait pour l'utilité publique un intérêt assez important pour être assurée par l'ensemble des procédures du droit public". Ces conclusions sont remarquables car elles font la synthèse entre deux notions différentes :
  • la première étant qu'est-ce qu'un SP ? A ce moment là, un SP est lorsqu'il est déterminé comme un SP par le pouvoir politique.
  • Latournerie dit que de cette conception de l'État, doit découler le périmètre du DA. Gaston Jèze avait envisagé ce lien entre SP et droit administratif.

Le problème apparaît immédiatement. Il n'y a pas de définition à proprement parler du SP. Est alors SP toute activité que, à un moment donné, le pouvoir public a décidé qu'il est d’utilité publique et que ce soit l'administration qui la prenne en charge. Pas de conception matérielle, mais une conception politique.
Pour les juristes, c'est ennuyeux : il lui faut un critère. Ici, on n'a pas de critère. Le droit public n'est donc plus en mesure de faire sa fonction, c'est-à-dire d'encadrer les errements du pouvoir. Un certain nombre de problèmes se posent : dans toutes les activités de SP, il y en a qui sont extrêmement différentes. La contradiction éclate vite : en 1921 avec l'arrêt Société commerciale de l'Ouest africain. Suivant les conclusions de l'avocat général Matère, le TC allait dégager les SP à gestion privée, c'est-à-dire les SP soumis prioritairement à un régime de droit privé (théorie des SPIC).
Reste que pour l'État, et notamment pour l'État Providence, cette théorie du SP va être très pratique. L'État Providence trouve là un mythe légitimant. La théorie du SP va toujours justifier l'intervention de l'État dans la société, dans l'économie. Cette notion de SP va justifier que l'État intervienne partout.
La notion de SP est totalement française autour de laquelle la République française s'est construite. L'Allemagne s'est développée avec la théorie de l'État social qui est l'idée que le bien-être de la population se pose, non pas en terme d'organisation administrative, et de prise en charge par l'administration des questions sociales, mais plutôt comme l'affirmation de droits fondamentaux des administrés.
La théorie des SP s'appuie sur la conception jacobine, colbertiste, étatiste. C'est une notion combattue :
-          il y a eu pendant longtemps un malentendu avec le droit communautaire sur la conception française de SP.
-          Aussi combattue à l'intérieur : conception du SP est contestée par l'idéologie libérale qui repose sur deux idées : 1°) quand l'État intervient en matière économique et social, il pose plus de problèmes que s'il n'intervenait pas => il faut réduire périmètre d'intervention de l'État 2°) même quand l'État intervient, l'État aurait intérêt à appliquer les méthodes de l'entreprise privée.


En droit administratif, la notion de SP va jouer un rôle d’un part parce que pendant un moment, la doctrine, et notamment l'Ecole du SP (surtout Gaston Jèze) vont vouloir voir dans la notion de SP le critère d'explication du droit administratif. Ils vont affirmer que là où il y a SP, il y a droit administratif. Ce courant doctrinal va connaître son apogée en quelque sorte, en 1910 avec l'arrêt arrêt Thérond, CE, 1910. Le contrat (enlèvement des bêtes mortes) est-il soumis au DA ou droit privé ? Dans Thérond, on dit que ce contrat a été conclu pour les besoins du SP, donc c'est un contrat administratif (DA et JA compétent).

Mais la conception du SP ne repose sur aucun élément matériel : pas de périmètre défini à l'avance, c'est selon la volonté du législateur. Ce sont donc des pans entiers de la vie sociale qui vont tomber sous le joug du DA. C'est donc notre démocratie que l'on change : cela deviendrait une société où toutes les règles seraient des règles de droit public (système marxiste, léniniste).

D'où un peu plus tard, le CE, dans un arrêt de Sociétés des granits porphyroïdes des Vosges, 1912 : il ne suffit pas qu'un contrat soit conclu pour les besoins d'un SP pour qu'il soit de droit administratif, il faut qu'en outre, les parties aient souhaité le soumettre à un régime de droit public en incluant dans le contrat des clauses exorbitantes du droit commun (droit privé). Coup de frein du CE, mais qui en annonce un autre, beaucoup plus fulgurant, déstabilisant.
Arrêt du Société commerciale de l'Ouest africain, TC, 1921, TC dit qu'il y a des SPIC à qui on va appliquer le droit privé. La théorie de Jèze est alors morte ce jour : il y a des SP soumis au droit privé.


La notion de SP est utilisée par le juge pour définir les notions verticales du droit administratif. On peut retrouver la notion de SP pour des notions horizontales :
-          JA utilise SP pour voir si un agent est un agent de droit public, ou de droit privé. Le critère les distinguant est la participation directe de l'agent au SP (Affortit et Vingtain, CE, 1954).
-          De la même manière, les biens du domaine public sont déterminés à l'aide d'un critère utilisant la notion de SP, il faut que les biens soient affectées à l'exécution d'un SP (Société Le béton, CE, 1956).
Et Époux Bertin, 1956, CE qui complète la jurisprudence Granits porphyroïdes et qui dit qu'un contrat peut être administratif, alors même qu'il ne contient pas de clauses exorbitantes, dès lors qu'il fait participer le cocontractant à la mission de SP.


v  La notion de SP joue ainsi un rôle, mais un rôle limité. Ce n'est pas le facteur explicatif du droit administratif, c'est peut-être l'élément de cohérence du droit administratif.

La théorie du SP pose deux problèmes : un problème de définition et un problème de régime juridique.

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