mercredi 5 octobre 2016

La définition de l’activité de service public

Au début du XXe  siècle, une frange dominante de la doctrine propose une définition du service public qui apparaît très harmonieuse. Mais cette conception originelle va être ébranlée, ce qui donnera matière à ce que certain appelle la crise du service public. Prenant acte de ses ébranlements, dans les années 1940, certains estiment qu’il n’est plus possible de définir l’activité de service public. Pourtant, il est possible aujourd’hui de fournir une définition de l’activité de service public.


Section 1 : La conception originelle et son unité

C’est le développement des activités de services publics qui conduit la doctrine au début du XXe siècle à rechercher une définition générale. Cette dernière sera fourni par un certains nombres d’auteurs regroupés au sein de l’école du service public. Grands auteurs de l’école du service public à Léon Dugui (juriste et sociologue), Gaston Jéze,  Louis Rolland.
Ces auteurs forgent une définition qui est à la fois simple et harmonieuse. Selon eux, le service public est une activité d’intérêt général, prise en charge par des collectivités publiques, dans le cadre des règles du droit public, et relevant de la compétence des juridictions administratives en cas de litige. Cette définition se nourrit de la juxtaposition de quatre éléments : intérêt général, personne publique, droit public, juge administratif.
Cela étant, une telle conception du service public est liée à une vision particulière de la société. C’est l’arrière plan sociologique de la définition juridique du service public. Pour ces auteurs de l’école du service public, tout se passe comme si la société était constituée de deux univers clos, séparés par une frontière étanche. Il y a d’un coté de la frontière, la sphère de l’intérêt général qui s’identifie elle-même au monde du service public. Dans ce monde là sont à l’œuvre les personnes publiques, dans cette sphère là s’applique les règles du droit public. De l’autre coté de la frontière, c’est la sphère des intérêts particuliers, au sein de laquelle agissent les personnes privées dans le cadre des règles du droit privé. Cela revient à dire que les deux univers sont des univers qui sont opposables termes à termes, comme sont opposables les activités de services publics et les activités privées. à Vision bipolaire.
Cette systématisation est sans doute un peu outrancière à l’époque même où sont formées ces doctrines. Cet excès de systématisation explique qu’au fil du temps ces thèses de l’école du service public vont être mises à mal. Les mutations socio-économiques vont contredire la vision bipolaire de la société. Une interpénétration entre l’univers public et l’univers privé va s’affirmer de manière progressive, et la jurisprudence fera elle-même écho à ce mouvement (en contestant les affirmations de l’école du service public).


Section 2 : La « crise » de la notion de service public

Si crise il y a, c’est très largement d’une crise de croissance dont il s’agit. La difficulté de donner une définition du service public va s’accroître au fur et à mesure que le domaine du service public va s’amplifier. Il ne faut pas oublier que le facteur essentiel de la « crise » est l’imbrication croissante entre activité privées et activités publiques. Quels sont alors les échos jurisprudentiels du développement de cette « crise » ? On dénombre trois grands échos constitutifs de cette « crise » :
~ Arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 31 juillet 1912, Société des granites des Vosges.
Dans cet arrêt le Conseil d’Etat adopte une position qui remet en cause le caractère systématique du lien entre le service public et le régime de droit public. Le Conseil d’Etat affirme en effet qu’une collectivité publique a le loisir de conclure un contrat de droit privé alors même qu’elle agit dans le cadre de la gestion d’une activité de service public. Cela signifie que la gestion du service public n’implique pas à tout coup l’application du droit public.
è La portée de cet arrêt est relative. Il prend la forme d’une sorte de rappel à l’ordre de la doctrine. Il s‘inscrit contre un excès de systématisation. Cet arrêt ne doit pas être regardé comme un démenti cinglant de l’une des affirmations de l’école du service public. Il doit être entendu comme ménageant une exception qui ne contredit pas en l’état se qui peut continuer d’apparaître comme une règle de base, à savoir l‘application des règles du droit public. La règle de base peut demeurer intacte, les activités de service public relèvent du droit public, mais cette soumission aux règles de droit public n’a pas de caractère systématique. Cette soumission souffre des exceptions. Compte tenu de cet arrêt, l’application des règes de droit privé au service des activités du droit public n’est pas exclut. Il y a place pour des îlots de droit privé dans le régime juridique du service public.
                                                                                                                                         
~ Arrêt rendu par le Tribunal des Conflits le 22 Janvier 1921, Société commerciale de l’ouest africain. (souvent baptisé « bac Eloka »).
Ce n’est plus un simple accros aux thèses de l’école du service public, c’est une remise en cause beaucoup plus profonde. Ici, un service public de bac relie les deux rives d’un fleuve. Ce bac vient à chavirer et la question se pose de savoir devant quelle juridiction les victimes doivent se tourner pour engager une action en réparation du dommage subit. Si on se réfère à la définition de l’école du service public, on est tenté de se tourner vers les juridictions du droit public. On est tenté d’affirmer cela parce que l’activité qui est à l’origine du dommage est une activité de service public. Pourtant la réponse du Tribunal des Conflits est opposée. Dans cet arrêt le Tribunal des conflits affirme la compétence des juridictions judiciaires pour se prononcer. Sur quoi se fonde le Tribunal des Conflits pour retenir une telle solution ? Il s’appuie sur la similitude de fonctionnement entre le service public concerné et toutes activités privées équivalentes. Ce service public de bac fonctionne comme le ferait n’importe quelle activité privée de même nature, c’est cela l’élément significatif retenu par le Tribunal des Conflits.
è La portée de cet arrêt est considérable. Il annonce la naissance des services publics industriels et commerciaux (par opposition aux services publics plus classiques que sont les services publics administratifs). A partir de là, il n’est plus possible de s’en tenir à une vision unitaire du service public. Il y a une faille décisive qui est introduite à l’intérieur même des services publics. Il y a d’un coté des activités de services publics qui ont vocation à relever du droit public, ce sont les services publics administratifs (enseignement, aides sociales etc.). Et de l’autre coté, il y a des activités de services publics qui sont appelés à relever de manière essentielle des règles de droit privé. Ces activités de services publics là sont des services publics industriels (transport de voyageur, fourniture et distribution d’énergie électrique ou gazière etc.). Jusqu’à lors, il y avait matière à dire que certains services publics pouvaient relever de manière accessoire du droit privé. Maintenant, il y a matière à poser que certains services publics relèvent de façon générale, de manière essentielle, du droit privé. Il y a donc une gradation considérable entre le contenu de l’arrêt de 1912, et le contenu de celui de 1921. Avec ce dernier, on est amené à dire que désormais, au sein de certains services publics, la présence des règles du droit privé est dominante. Il y a donc une remise en cause ouverte du lien service public ó droit public. La vision bipolaire se substitue à la vision unitaire que l’on était fondé à cultiver jusqu’alors.

~ Arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 13 Mai 1938, Caisse primaire, aide et protection.
Nous sommes en 1938, la sécurité sociale n’existe pas encore, mais il existe à l’époque un certain nombre d’organismes privés. Ceux-ci sont en charge de la gestion de régime d’assurance maladie. Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat affirme que cette caisse aide et protection se présente comme un organisme privé en charge d’une mission de service public. Pour l’école du service public, la gestion des activités de service public incombait, par principe, à des personnes publiques. A ce principe, il y avait une exception, qui était incarnée par le procédé de la concession de services publics. C’était un contrat par lequel une personne publique confiait la gestion d’un service public à une personne privée.
è Le propre de l’arrêt de 1938 est d’élargir et en même temps de banaliser les modes de gestion privée du service public. En l’espèce, la caisse primaire n’est aucunement en charge d’une concession de service public. Pourtant, le Conseil d’Etat admet que cet organisme privé soit en charge d’une mission de service public. Cela revient à dire que désormais la concession n’est plus qu’un procédé parmi d’autres de gestion de service public par une personne privée. Surtout, cette gestion privée du service public ne doit plus être perçue comme ayant un caractère exceptionnel.


Confrontation de ces définitions jurisprudentielles à la doctrine originelle à On ne peut plus faire référence au régime juridique applicable, ni par la même à la compétence systématique des juridictions administratives. On ne peut plus non plus glisser dans la définition que les gestionnaires des services publics sont par des personnes publiques. Néanmoins, on continu de faire référence à l’intérêt général pour identifié l’activité de service public. Mais est-il pertinent de se référer uniquement à l’intérêt général pour définir le service public ? Toute définition du service public au lendemain de cet arrêt est hasardeuse, présomptueuse. Pour certains, dans les années 1940-1950, il est désormais illusoire de prétendre définir le service public. On doit se contenter de prendre acte de l’existence d’activité de service public, sans pouvoir en donner une véritable définition. à Attitude défaitiste, attitude de renoncement intellectuel. Cette attitude sera parfois qualifiée d’existentialisme juridique.
Faut-il en rester à une telle vision, ou peut-on au contraire être un peu plus ambitieux ? Il n’est pas sur qu’en 2006 toute définition du service publique soit illusoire.


Section 3 : La définition actuelle du service public : une définition ouverte

Les activités de service public sont des activités d’intérêt général dont la gestion est assurée par des collectivités publiques ou sous le contrôle de celle-ci. Cette définition apparaît peut être un peu imprécise. Mais cette faiblesse de la définition est aussi un atout. Ce caractère ouvert de la définition actuelle permet au service public d’être réceptif aux évolutions de la société ; et puis cette ouverture donne toute sa place à la dualité d’un caractère des services publics (administratif pour les uns, industriels et commerciaux pour les autres).
A] Les critères de définition

La définition actuelle du service public repose sur deux critères : L’intérêt général d’une part, et sur le lien à une collectivité public d’autre part.


a)      L’intérêt général

La référence à l’intérêt général confère, inévitablement, au service public un caractère à la fois subjectif et évolutif. La subjectivité ne peut que se manifester dès lors que l’intérêt général n’est plus regardé, aujourd’hui, comme radicalement différent des intérêts particuliers. Cela revient à dire que l’on admet aujourd’hui que les activités privées contribuent à définir l’intérêt général. L’intérêt général n’est pas figé.
Exemple 1 : En 1916, un très grand auteur du droit public français (Maurice Hauriou) rédige une note d’arrêt. Il écrit que les activités théâtrales ne peuvent aucunement être regardées comme des activités de services public, parce qu’il s’agit d’activités de simple divertissement.
Exemple 2 : Crise de la vache folle à sa manière provoque l’apparition d’un nouveau service public, celui de ramassage des cadavres d’animaux de boucherie. Avant la crise de la vache folle, ramasser les cadavres d’animaux de boucherie n’était pas une activité de service public. C’était des services privés qui s’occupaient de ces services.


b)      Le lien avec une collectivité publique

Toute activité de service public entretient un lien avec une collectivité publique. Quelle est la nature et l’étroitesse de ce lien ? Ce lien n’est plus aussi immédiat que l’avait envisager les auteur de l’école du service public. Il y a deux cas de figures qui peuvent se présenter aujourd’hui : Selon qu’il y a gestion publique ou gestion privé du service publique

~ Gestion publique : Cette hypothèse peut elle même se subdiviser. Il y a gestion publique lorsqu’une collectivité publique assure directement la gestion d’un service public.
Exemple : le service public de la justice qui est directement gérer par l’Etat.
Il y a également gestion publique quand une collectivité publique créée, pour gérer un service public, un organisme public qui lui est directement rattaché.  Exemple : Les universités qui sont des établissements publics, des entités publiques, propres qui relèvent de l’Etat. Ce dernier se remet à une personne publique qu’il crée spécifiquement

~ Gestion privée : Elle s’est largement banalisée via la jurisprudence. Lorsqu’il y a gestion privée du service public, y a t il encore un lien avec une collectivité publique ? L’activité de service public est gérée par une personne privée, mais celle-ci se trouve soumise à des contrôles de la part d’une collectivité publique. Par conséquent, même lorsque la gestion d’un service public est confiée à une personne privée, il y a un lien indirect, mais il y a un lien tout de même. L’attribution d’une mission de service public à une personne privée s’accompagne, le plus souvent, de l’exercice par la personne privée de prérogatives de puissance publique, qui contribuent elles-mêmes à l’identification du service public (exemple : obligation d’adhésion). Ces prérogatives de puissance publique sont alors un véritable troisième critère d’identification du service public.

Lorsque le service public est géré par une personne publique, il y a deux critères d’identification. Lorsque le service public est géré par une personne privée, il y a trois critères en règles générales.
Exemple : Arrêt du Conseil d’Etat du 22 Mars 2000, Epoux Lasaulce à Le Conseil d’Etat doit se déterminer sur le fait que si le dépannage sur autoroute constitue une activité de service public. Ce sont des garagistes qui sont en charge de ces activités de dépannage et de remorquages. Le Conseil d’Etat commence par remarquer que ce sont des activités d’intérêt général. Ensuite, le Conseil d’Etat, fait remarquer que ces activités sont effectuées sous le contrôle de la puissance publique, avec possibilité pour l’Etat d’opérer une inspection annuelle des véhicules, par exemple. Puis le Conseil d’Etat relève que les entreprises de remorquage dispose  dans sa zone d’un monopole d’intervention, et une telle situation de monopole est constitutive de prérogatives de puissance publique aux yeux du Conseil d’Etat. Conclusion : Les activités concernées sont bel et bien des activités de service public.
La recherche est plus délicate quand l’activité qu’il s’agit d’identifier est gérée par une personne privée, et non pas par une personne publique.

En règle générale, trois critères sont requis pour qu’une activité gérée par une personne privée soit considérée comme une activité de service public. Mais il arrive que le juge administratif soit moins exigeant. Il arrive qu’en pareil cas, le juge se satisfasse de l’existence des deux critères de base. è Arrêt du Conseil d’Etat du 20 Juillet 1990, ville de Melun à Le Conseil d’Etat reconnaît le caractère d’activité de service publique à une association, alors même que l’exercice des missions concernées ne comporte pas une mise en œuvre de prérogative de puissance publique.
En règle générale, lorsqu’il s’agit d’identifier une activité gérée par une personne privée, on se fonde sur trois critères. Mais il arrive que le juge administratif soit moins exigeant.


B] Le caractère des activités de services publics

Le caractère actuel du service public s’abstient de se référer à un régime juridique qui serait uniformément applicable. Les auteurs de l’école du service public établissaient un lien directe entre activité de service public et régime de droit public, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, depuis cette rupture jurisprudentiel de 1921 ( à Société commerciale de l’Ouest africain).
Cette définition accorde toute leur place aux services publics, et aux services publics industriels et commerciaux. Le propre des services publics administratifs (enseignement, justice, aide sociale etc.) est de relever de façon quasi-exclusive des règles du droit public. A l’inverse, les services publics industriels et commerciaux sont soumis essentiellement aux règles du droit privé. A quel signe faut-il s’en remettre pour distinguer les services administratifs des services industriels et commerciaux ?
Nous savons que l’existence des services publics industriels et commerciaux tient fondamentalement à leur similitude avec des activités privées de même nature. Ce faisant, la jurisprudence s’est attachée à définir les éléments qui permettent d’établir cette parenté. L’arrêt de référence est un arrêt du Conseil d’Etat rendu le 16 Novembre 1956, Union des industries aéronautiques. Au vu de cet arrêt, trois éléments cumulatifs sont à retenir :

~ Une activité de service public ne peut avoir le caractère industriel et commercial que si elle a un objet identique à celui d’entreprises privées (c'est-à-dire, la production, et la vente de biens ou de services).

~ Il convient de se référer à l’origine des ressources du service public. Les ressources d’un service public industriel et commercial doivent provenir, pour une large part, de redevances versées par les usagers du service. A contrario, lorsque tel service public tire l’essentiel de ses ressources de subventions versées par une collectivité public (Etat, commune, département etc.), ce service public ne peut avoir le caractère industriel et commercial, il sera considéré comme service public administratif.

~ Les conditions d’organisation et de fonctionnement du service doivent être voisine de celles des entreprises privées, avec notamment,  des modalités d’organisation et de fonctionnement axées sur la recherche de bénéfice.

La SNCF est-elle une activité de service public administrative, ou bien une activité de service industriel et commercial?
à Transporter des voyageurs est une activité de production de service
à Origine des ressources = elle proviennent du prix que nous payons pour acheter des billets de train + quelques subvention versées par l’Etat.
à Modalité d’organisation et de fonctionnement = les mêmes que les autres entreprise à recherche de bénéfice.
è Le service public ferroviaire est donc une activité de service public industriel et commercial.

S’agissant de cette identification du service public à  diversité puisque les activités de service public sont le plus souvent gérer par des personnes publiques, mais il n’est pas rare qu’elles relèvent de personnes privée. Diversité encore puisqu’on entend tantôt des services publics administratifs, tantôt des services publics industriels et commerciaux.
La définition actuelle est donc ouverte puisqu’elle prend en compte ces diversités.


En dépit de cette diversité, toutes les activités de service public relèvent d’un même statut juridique. è Élément d’unité, qui vient compenser les facteurs de diversité que l’on vient de recenser. 

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