L'administration
détient un pouvoir règlementaire. L'article
21 de la Constitution attribue même ce pouvoir règlementaire au Premier
ministre. Il reste que l'exécutif détient avec le pouvoir règlementaire une
prérogative originale car le pouvoir règlementaire n'est rien d'autre que la possibilité de fixer des règles d'application générale. Le règlement n'est jamais qu'une règle de
droit qui va déterminer le droit applicable à une situation donnée ou à une
catégorie d'individus.
Or, cette
fonction est matériellement analogue à celle dont est investie le législateur.
Toute la
question est donc de savoir comment on articule pouvoir règlementaire et
pouvoir législatif. Cette articulation se fait dans tout régime
parlementaire dans le sens d'une subordination du pouvoir règlementaire à
la loi. C'est un pouvoir second, dont la fonction est une
fonction essentiellement technique qui consiste à permettre
l'exécution de la loi. Pourquoi ? Parce que la loi ne peut pas tout prévoir. Donc le règlement est un acte qui va
préciser la loi, appliquer la loi. C'est de cette manière qu'il est consacré
dans les textes, notamment à l'article 21 de la Constitution.
Le
problème est que d'abord
-
La
Constitution de 1958 paraît ménager un certain nombre d'hypothèses où le
pouvoir règlementaire va faire autre chose que simplement exécuter la loi.
-
De plus, en dehors de l'attribution
constitutionnelle de compétence règlementaire, il existe des hypothèses reconnues par la jurisprudence administrative
où les autorités administratives peuvent fixer des règles indépendamment de
l'idée d'exécution de la loi.
-
Enfin, il existe des situations où sans que les textes ne l'y habilitent
expressément, l'administration paraît récupérer un certain nombre de
compétences qui ressemblent à de la compétence réglementaire.
Section 1 : La
reconnaissance par la Constitution d'un pouvoir règlementaire général au profit
des autorités exécutives
Sous la Vème la conception que l'on a
du pouvoir règlementaire est conforme à la tradition
parlementaire qui veut que le
pouvoir règlementaire soit d'abord une compétence mise au service de
l'exécution de la loi.
Cette
affirmation de conformité à la tradition parlementaire ne s'est pas imposée
immédiatement dans la mesure où il existe dans la Constitution de 1958 des
articles (art. 37, 38) qui paraissaient modifier profondément cet équilibre
historique en organisant une nouvelle répartition entre la loi et les
règlements.
Mais ce
qui a pu passer pour des innovations en 1958, a été progressivement neutralisé
à la fois par la jurisprudence et
surtout par la pratique politique.
§1 :
LE POUVOIR RéGLEMENTAIRE, UNE COMPÉTENCE CONSTITUTIONNELLE MISE AU SERVICE DE
LA LOI
L'administration
dispose d'un pouvoir réglementaire. Ce pouvoir lui a été reconnu très tôt
pour des raisons essentiellement techniques et pratiques.
Pour
autant, ce pouvoir réglementaire est apparu dès l'origine comme une transgression
du principe de la séparation des pouvoirs qui veut que ça soit le
Parlement qui fixe les règles
et que le gouvernement se borne à exécuter
les règles, c'est-à-dire prendre exclusivement des mesures individuelles.
Or, il
faut des règles secondaires qui concrétisent les règles primaires que sont les
lois. Dès lors, la reconnaissance d'un pouvoir règlementaire s'est faite
sous la forme d'un compromis : le pouvoir règlementaire est reconnu
certes, mais il est subordonné, conditionné, car c'est la loi qui demeure
le pouvoir normatif initial.
- LA LOI, POUVOIR NORMATIF
INITIAL
C'est
l'une des idées essentielles de la Révolution : d'avoir identifié le droit à
a loi. Seule la loi peut fixer des règles générales parce que la
loi est l'œuvre d'une assemblée représentative qui exprime la volonté
générale.
Sous la Convention, l'administration est
maintenue dans une fonction très étroite : elle est chargée de veiller à la
bonne exécution de la loi, mais uniquement en prenant des décisions
individuelles ou en prenant des opérations matérielles.
Il se
trouve que cette conception va se révéler rapidement intenable, parce
que l'ordre du jour des assemblées parlementaires est limité. Malgré la bonne
volonté du législateur, cela ne suffit pas à régler toutes les questions qui se
posent pour le bon fonctionnement de la société.
Aussi,
très tôt et dès le Directoire (1795) et a fortiori à partir du Consulat (Constitution de l'an VIII), le constituant reconnaît que le gouvernement propose les lois, et fait
les règlements nécessaires pour assurer leur exécution.C'est la reconnaissance
officielle du pouvoir règlementaire des autorités exécutives.
Ce
pouvoir n'a jamais été remis en cause (ce principe existe toujours dans l'article 21
de la Constitution de 1958). Aujourd'hui, l'exécutif est devenu le
premier producteur de normes juridiques.
Parallèlement
à ce développement quantitatif du pouvoir règlementaire, on a
assisté à la dispersion des autorités investies du pouvoir règlementaire.
- D'après la
Constitution,
l'autorité qui dispose de ce pouvoir règlementaire est le Premier
ministre (art. 20).
Mais cet article 20 doit être combiné avec l’article 13 qui prévoit qu'un certain nombre de décret seront
délibérés en Conseil des Ministres. Or, ce Conseil est présidé par le
Président de la République (art. .9)
au vu de quoi le CE dans un arrêt Meyet, 1992 a jugé que les décrets délibérés en Conseil des
ministres et signés par Premier ministre et Président de la République étaient des décrets du Président de la
République.
Mais également il est prévu
par la Constitution que le Premier
ministre peut déléguer le pouvoir
règlementaire à d'autres autorités. Il le fera aux ministres.
En outre, l'article 72 de la Constitution prévoit
que les collectivités locales disposent du pouvoir règlementaire dans les matières qui relèvent de leur
compétence. En matière d'urbanisme,
le conseil municipal adopte les plans
locaux d'urbanisme.
- Enfin,
la jurisprudence administrative a admis que la loi pouvait transférer
une part du pouvoir règlementaire à d'autres autorités, en particulier
aux AAI.
v
Pour autant, le pouvoir règlementaire dont
l'administration dispose est toujours un pouvoir
conditionné, subordonné.
- LE POUVOIR REGLEMENTAIRE,
POUVOIR NORMATIF CONDITIONNÉ
C'est une
compétence doublement conditionnée. D'abord, elle s'inscrit toute
entière dans la fonction d'exécution
des lois. De plus, l'administration
n'a pas la maitrise de son pouvoir règlementaire et peut être tenue de le
mettre en œuvre.
- Le pouvoir règlementaire s'inscrit tout
entier dans la fonction d'exécution de la loi
Le
pouvoir règlementaire a la fonction de compléter
les conditions d'applications de la loi, de déterminer les procédures qu'il
faudra suivre, préciser des formules très générales, expliciter des notions et
essayer de régler des conflits d'application entre plusieurs textes de loi.
Ce qui
signifie, qu'au contentieux, le CE est amené à vérifier dans quelle mesure ce
règlement respecte les prescriptions de la loi et si le règlement ne
déborde pas du champ d'application de la loi.
v
Deux rappels :
- L'acte
réglementaire, quel que soit l'autorité
qui le prend, est toujours un acte
administratif. Le juge privilégie ici une approche de type
organique. Il ne s'intéresse pas au contenu du règlement (c'est-à-dire
au contenu législatif du règlement). Le CE a toujours rejeté l'idée qu'un
acte règlementaire était une sorte d'acte législatif délégué qui aurait
échappé à son contrôle. Au contraire, le CE a posé une équation très
simple : puisque l'autorité qui prend l'acte est administrative,
l'acte est administratif et donc le CE peut le contrôler (chemins
de fer de l'Est, CE, 1907 qui rejette la théorie de la législation
déléguée).
- Dans l'exécution de la
loi, le pouvoir réglementaire
dispose toujours plus ou moins d'une part de pouvoir discrétionnaire (part de
liberté qui demeure à l'autorité administrative quand elle applique la loi)
parce qu'appliquer une norme n'est jamais une opération purement
mécanique. Il y a une large part à l'interprétation :
compléter, rendre moins abstrait, c'est toujours quelque part modifier.
Ex : application de la loi des
35h aux entreprises de transport routier : CE, 2001, Fédération des transports FO.
Ici, le pouvoir règlementaire était intervenu pour adapter la durée légale de
travail hebdomadaire aux chauffeurs routiers dans la mesure où il fallait tenir
compte des temps d’inaction, d'attente. Ces temps d'attente ne sont pas des
temps de travail effectif.
Dès lors, pour tenir compte
de cette spécificité, le CE a admis que le pouvoir règlementaire pouvait
fixer une durée de travail qui serait plus élevée que la durée fixée en général
par la loi. Le CE pose trois conditions :
- à
condition que le pouvoir règlementaire ne dépasse pas les limites à
ce qui est nécessaire pour l'adaptation de la loi au secteur visé
- à
condition qu'il n'en dénature pas la portée, à condition qu'il
ne règlemente des situations non visées par la loi
- à
condition qu'il n'empiète pas sur les compétences du législateur.
Au vu de ces conditions, le
CE annule deux dispositions du règlement d'application :
- Celle
qui réglementait la rémunération
des heures supplémentaires. Ici, c'est en dehors du champ d'application de la loi.
- Celle
qui portait à 56 h de temps
de service dit effectif en estimant qu'il y avait une dénaturation de la portée de la loi
dans la mesure où tous secteurs confondus, le Code du travail prévoit
que la durée maximale de travail est de 48h.
=> Le
pouvoir réglementaire est conditionné par la loi qu'il applique mais
aussi par les autres lois en vigueur.
Mais que
se passe-t-il en cas de vide juridique ? Hypothèse de vide
législatif : la loi n'a pas visé une
situation. La question est de savoir si le règlement peut aller au-delà de
la simple exécution de la loi pour régir cette situation ?
Cette
possibilité n'est offerte qu'à titre exceptionnel. La questions se pose
quand il manque des dispositions indispensables à l'application de la loi
elle-même. Dans ce cas-là, le CE
avait admis en 1953, Confédération nationale des associations catholiques
des chefs de famille, que le pouvoir règlementaire peut prendre des
dispositions indispensables à l'application de la loi, alors même que ces
dispositions auraient dû être prises par la loi.
La
question s'est posée si la jurisprudence de 1953 est encore d'actualité sous la
Vème République où il y a un distribution des compétences entre
loi et règlement (art. 34 et 37). Réponse du CE dans Meyet, 1992
: le CE avait à répondre à une question ayant trait à l'organisation des
référendums. La difficulté est qu'il n'existait aucune disposition législative
qui organisait le déroulement des référendums. Le gouvernement avait alors pris
un décret pour organiser ce référendum en transposant les dispositions
prévues par la loi pour l'organisation des élections. Le CE a admis
cette possibilité, cette logique d'adaptation pour combler un
vide législatif et que ça ne portait pas atteinte à la distinction des matières
législatives et règlementaires.
En outre, la Constitution
de 1958, révisée par la loi
constitutionnelle de mars 2003 ouvre au pouvoir règlementaire de
nouvelles possibilités pour échapper au cadre légal avec les articles 37-1 pour le gouvernement et 72 pour les collectivités pour adopter
des dispositions à caractère expérimental.
2.
L'administration n'a pas l'entière maîtrise du
pouvoir réglementaire
L'administration
a l'obligation d'édicter les règlements nécessaires à l'application des
lois. Cette
obligation tient à ce qui est le fondement du pouvoir réglementaire :
assurer l'application de la loi et qui signifie que la loi ne peut rester
inapplicable.
La
question est de savoir aujourd'hui comment
cette obligation peut être sanctionnée par le juge ? Elle l'est
dans le contentieux de l'excès de
pouvoir et dans le contentieux
de la responsabilité.
- Dans le contentieux de l'excès de pouvoir : si le gouvernement
tarde trop à prendre un décret d'application d'une loi, il commet une
illégalité. Cette illégalité peut d'abord être sanctionnée de manière
platonique par l'annulation du refus de prendre dans un délai
raisonnable le décret d'application. Ex : Un particulier veut
voir être édicté un décret qui applique une loi. Il saisit le Premier ministre.
Au bout d'un mois, le silence vaut
refus. C'est ce que le CE a fait dans CE, 1962, Kevers-Pascalis (12 ans de refus).
Mais aujourd'hui, le JA
peut assortir son annulation d'une injonction à prendre le règlement
d'application et injonction sous astreinte.
- Dans le contentieux de la responsabilité : La carence de
prendre un décret d'application de loi peut entrainer l'engagement de
la responsabilité de l'État : Veuve
Renard, CE, 1964.
·
Cette obligation tire son fondement de l'article 21
de la Constitution (rappelé
dans l'arrêt CE, 2000, Association France Nature Environnement) mais
cette obligation se double d'une obligation de publier les décrets (PGD
consacré par l'arrêt CE, Syndicat des Commissaires et Hauts
fonctionnaires de la Police Nationale, 2003), puisqu'elle permet de
faire entrer en vigueur les décrets.
·
La jurisprudence administrative s'efforce de tenir compte des réalités du terrain et
de tenir compte du fait que pour le pouvoir exécutif, il peut exister des raisons
légitimes qui font qu'ils tardent à prendre des décrets d'application de la loi.
D'où cette jurisprudence qui sanctionne le pouvoir exécutif que s'il ne prend
pas ces décrets dans un délai raisonnable.
·
La jurisprudence juge aussi que l'administration n'est pas tenue de prendre des décrets
d'application quand la loi est par elle-même applicable. Mais
ceci n'est qu'une exception : d'une manière générale, les lois
exigent des mesures d'application.
·
La jurisprudence a également tenté de neutraliser
la prétention du législateur à fixer des délais pour prendre les décrets
d'application de la loi. Cette jurisprudence a été développé par
l'affaire du Permis à points Diemert, CE, 1992.
En l'espèce, la loi qui instituait le permis à
points avait fixé un délai au gouvernement pour le mettre en œuvre. Or, le
gouvernement n'avait pas pris les mesures d'application alors même que le délai
fixé par la loi était dépassé. Le dénommé Diemert avait attaqué le décret
d'application et avait expliqué qu'il était illégal, car pris après le
délai fixé par le législateur. Le CE a répondu que les délais fixés par
la loi sont des délais purement indicatifs qui n'entrainent pas, quand
ils sont dépassés, l'annulation de l'acte réglementaire. Si le décret
intervient même après le délai raisonnable, cela veut dire qu'il n'est pas illégal mais qu'il est susceptible d'engager la responsabilité de
l'administration. Ainsi, lorsque le législateur charge le gouvernement de
prendre des décrets d'application dans un délai qui n'est prescrit ni à
peine de nullité ni comme une garantie pour les administrés, le
gouvernement peut encore et même doit adopter ces mesures après l'expiration
du délai.
v
C'est donc la loi qui conditionne le contenu et le moment du décret d'application.
Ce lien entre la loi et le pouvoir règlementaire ne cède que dans une seule
hypothèse : lorsque la loi est elle-même incompatible avec une norme
internationale ou communautaire. Dans ce cas, l'administration
est tenue de ne pas faire application de la loi et de ne pas prendre des
règlements. C'est ce que rappelle l'arrêt Association France
Nature Environnement, CE, 2000.
v
La
théorie du pouvoir règlementaire est aujourd'hui canalisée par la jurisprudence : le règlement est un acte d'exécution de la loi, mais il y a eu des
périodes où l'on s'est interrogé sur les possibilités reconnues au gouvernement
de légiférer à la place du législateur. Cette période a été ouverte avec l'entrée
en vigueur de la Constitution de 1958 qui contenait deux dispositions quasiment révolutionnaires : le couple d'articles 34/37 et
l'article 38.
§2 :
LA NEUTRALISATION DES PRINCIPALES INNOVATIONS NORMATIVES INTRODUITES PAR LA
CONSTITUTION DE 1958
Ces
innovations tiennent au couple d'articles 34/37 et l'article
38 qui semblaient attribuer à l'exécutif des pouvoirs d'ordre
législatif, ce qui était en soi, particulièrement révolutionnaire. Il se
trouve que la révolution annoncée n'a pas eu lieu et que ces innovations ont
été l'une et l'autre neutralisées, à la fois du fait de la pratique politique et du fait de
la jurisprudence du CCel et du CE.
- L'ÉCHEC D'UNE
CONCEPTION RENOUVELÉE DU POUVOIR RÈGLEMENTAIRE
Cette
conception renouvelée tenait à la rédaction
des articles 34 et 37. L'article 34
fixait une liste de matières dans lesquelles la loi est habilitée à prendre
des lois pour fixer des règles générales ou des principes fondamentaux. L'article 37 de son coté disposait que toutes
les matières qui ne relèvent pas du domaine de la loi sont du ressort du
pouvoir règlementaire.
La
révolution tient en deux choses :
- Le domaine de la loi n'est plus illimitée : elle reçoit
désormais non seulement une définition organique et formelle (texte
adopté par le Parlement selon une procédure particulière) mais aussi
matérielle. Il y a alors des domaines qui échappent au pouvoir du
législateur.
- En dehors du domaine législatif, c'est le pouvoir
règlementaire qui fixe les règles générales. Ce qui veut dire que
ce pouvoir réglementaire, dans les matières de son domaine, n'est pas
défini. Le pouvoir règlementaire n'a pas alors de loi au-dessus de lui
dans ces matières. Donc il n'est pas un pouvoir d'exécution de la loi,
puisqu'il n'y pas de loi et s'il y en a là, le gouvernement peut
obtenir la délégalisation de ces textes (faire constater
qu'ils n'ont qu'une valeur règlementaire comme ils sont intervenus dans le
domaine de la loi, et le gouvernement pourra les modifier). Il s'agit
du pouvoir règlementaire autonome.
Cette
manière de concevoir le jeu des articles des articles 34 et 37 va être
rapidement démentie par la pratique politique et par la
jurisprudence du CE. Deux grandes évolutions vont faire que l'on va
revenir à la conception initiale du pouvoir règlementaire :
- L'arrêt
Syndicat Général des Ingénieurs-Conseils, CE, 1959 : CE dit
que les règlements autonomes restent des AA. Ils n'ont pas la
valeur d'actes législatifs. Ce ne sont pas des lois dans leur domaine,
conformément à la jurisprudence Compagnie de Chemins de fer de
l'Est, 1907, CE. Le CE dit aussi que dans tous les cas de figures,
ces AA peuvent être contrôlés par le JA (car justement ce sont des
AA), et qu'en particulier, le juge peut les contrôler au regard des
PGD.
- La
deuxième évolution est liée à la pratique politique. En
1962 apparaît le fait majoritaire. C'est l'idée que le
gouvernement dispose à l'assemblée depuis 1962 d'une majorité
parlementaire. Il en résulte que le gouvernement n'a plus
besoin du pouvoir réglementaire autonome pour faire adopter des textes
importants, qu'il juge utiles. Le gouvernement préfère passer par la
voie législative, car la procédure parlementaire donne une
légitimité politique supérieure. De plus, quand le texte passe par
le Parlement, le JA ne peut pas exercer de contrôle dessus.
Ainsi, la loi va partout de
nouveau. Cette pratique va être ratifiée par le CCel et le CE. Deux
types de jurisprudence :
- la
première jurisprudence (CCel et CE) consiste à interpréter
largement les dispositions constitutionnelles susceptibles de fonder la
compétence du législateur.
D'abord en interprétant
largement l'article 34, mais plus encore, l'article 34 fixe une
distinction entre les matières où la loi
prévoit les principes, et les
matières où la loi fixe les règles. On pouvait penser que la
compétence du législateur était moins dense quand elle fixait les principes. Le
CE et le CCel nous ont dit que ces deux notions (principes et
règles) sont synonymes. Ce qui est simplement important est la distinction
qui repose sur les notions de mise en cause et de mise en œuvre.
Dans le domaine de l'article 34, il revient à la loi seule de remettre en cause
les règles et principes existants alors que le pouvoir règlementaire ne peut
simplement que les mettre en œuvre. On va
mettre dans d'autres dispositions de la Constitution des raisons pour fonder la
compétence du législateur.
- Le
coup de grâce à la conception du pouvoir règlementaire autonome est
donnée par une décision du CCel du 30 juillet 1982, "Blocage
des Prix". Le CCel dit qu'il ne lui appartient pas
sur le fondement de l'article 61 de la Constitution de vérifier
si la loi adoptée par le Parlement respecte la frontière entre le
domaine de la loi et le domaine du règlement telle qu'elle résulte
des articles 34 et 37. En d'autres termes, une loi intervenue dans
le domaine du règlement n'est pas inconstitutionnelle.
Pourquoi
le CCel rend cette décision ? Par une forme de pragmatisme politique qui consiste à dire que la sanction juridique
du domaine de la loi et du règlement ne se trouve pas dans l'article 61 de la
Constitution mais dans l'article 41
de la Constitution. L'article 41 est la possibilité ouverte pour le
gouvernement en cours de procédure parlementaire de déclarer irrecevable une proposition de loi qui empièterait sur le
domaine du pouvoir règlementaire. En cas de contentieux sur cette question
entre le gouvernement et le Parlement, le CCel peut être saisi par le
gouvernement pour qu'il dise si oui ou non la loi est intervenue dans le
domaine de l'article 37. Or, nous dit le CCel, le gouvernement n'utilise pas
l'article 41. S'il ne l’utilise pas, le CCel ne voit pas pourquoi les
parlementaires utiliseraient l'article 61 pour défendre les prérogatives du
gouvernement. Donc, le CCel ferme les yeux sur cette pratique
politique.
v
Le domaine de la loi est devenue de nouveau
illimité.
La
question qui s'est posée est de savoir si la distinction de l'article 34 et 37
a encore une valeur juridique
ou si elle est frappée de désuétude.
La
réponse a été donnée par le CCel
dans une décision de 2004 "Avenir sur l'école" : le
CCel a jugé que dans la loi qui était soumise à son contrôle, il y avait des dispositions
trop techniques, trop précises, trop détaillées, que ces dispositions
n'étaient pas de nature législative et qu'elles étaient en vérité des
dispositions de nature réglementaire. Ayant dit cela, le CCel
n'invalide pas ces dispositions mais ne fait que simplement constater
qu'elles sont de nature réglementaire. Cette déclaration vient alors habiliter
le gouvernement, le jour où il en aura envie, d’abroger ces dispositions ou de
les modifier par voie réglementaire. Ainsi, la distinction entre
domaines législatif et règlementaire n'est pas complètement morte.
B.
LA BANALISATION DES ORDONNANCES DE L'ARTICLE 38
L’article
38 de la Constitution permet au gouvernement de légiférer à la place du
Parlement et donc dans les matières relevant du domaine de la loi. Cet article correspond à la constitutionnalisation
de la pratique des décrets-lois et qui avait été interdite par la
Constitution en raison des dérives qui s’y rapportent. C’est un procédé
éminemment problématique.
Diverses
raisons ont amené le pouvoir constituant à prévoir ce mécanisme et diverses
raisons justifient encore aujourd’hui que le gouvernement prenne des
ordonnances. Ces
raisons sont :
- L’indiscipline de la majorité parlementaire sur
des textes jugés importants
- Les
ordonnances permettent d’adopter en catimini et rapidement des réformes
que l’on sait impopulaire. Or quand une réforme est impopulaire on a
souvent des grèves pour exprimer le mécontentement.
- Permet
de faire l'économie de débats au Parlement et d'aller
plus vite d'autant plus que l'ordre du jour des assemblées est
engorgée.
Le
recours aux ordonnances est encadré
par la Constitution. Plusieurs conditions :
- il
faut une loi d'autorisation par laquelle le Parlement
autorise le gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance. C'est une
loi qui indique quel est le programme
sur lequel le gouvernement est habilité à légiférer et le délai qu'il a pour agir.
- Les
ordonnances doivent faire l'objet ultérieurement d'une loi de
ratification par laquelle le Parlement endosse la responsabilité de la
réforme. A défaut de loi de ratification, les ordonnances vont devenir
caduques. Le juge admet
les ratifications implicites.
C'est quand une loi fait référence, ou modifie sur un point les
ordonnances (plus depuis 2008).
L’ordonnance,
tant qu'elle n'est pas ratifiée, n'est pas un acte législatif, et est soumise
au juge administratif (Fédération Nationale des Syndicats de Police, CE
Ass., 1961). Une fois ratifiée, les dispositions de l'ordonnance n'ont
plus un caractère règlementaire mais deviennent des dispositions législatives.
Sous
l'effet de la jurisprudence du CE et du CCel, les ordonnances de l'article 38
vont être vidées de leur venin :
- Décision sur les privatisations, CCel, 25 et 26
juin 1986 : la
loi d'habilitation doit non
seulement fixer un programme
mais doit surtout indiquer avec précision la finalité des mesures
que le gouvernement se propose de prendre et le domaine d'intervention de
ces mesures. En quoi cette jurisprudence est
d'importance ? Le CCel, à l'occasion du contrôle de la loi
d'habilitation, multiplie les réserves d'interprétation. Il la
juge conforme à la Constitution sous réserve de l'interpréter de telle ou
telle manière. De sorte que cette
loi d'habilitation ressemble plus
à une loi cadre, c'est-à-dire une loi qui fixe les principes de
la réforme.
C'est d'autant plus
important que le respect de ces réserves d'interprétation pourra être contrôlé par le
JA. Le CE va alors s'appliquer sur ce qu'a jugé le CCel pour
voir si les ordonnances respectent bien les réserves d'interprétation.
·
Le contrôle du CE sur les ordonnances était un
contrôle très timide car il vérifiait simplement si l'ordonnance respectait l'habilitation donnée par la loi. Or, avant 1986, cette habilitation
était très générale. Mais depuis
1986, la loi d'habilitation a un contenu, une substance, elle indique
les finalités de la mesure à prendre. Le contrôle du JA est donc beaucoup
plus conséquent.
·
Mais plus encore, le CE admet aujourd'hui que les ordonnances
peuvent également contrôlées au regard des principes du droit international ou
du droit communautaire, en application du principe que les actes
administratifs sont soumis aux règles du droit international et communautaire.
Or, ce contrôle là, le CCel ne le fait pas. Il a rendu une décision
"IVG" de 1975 : normes internationales et communautaires
ne participent pas au bloc de constitutionnalité.
ü
Du coup, l'intérêt de recourir aux ordonnances est
tout à fait limité. Or, aujourd'hui, les ordonnances ratifiées peuvent
également être remises en cause devant le juge constitutionnel mais aussi
devant le JA. En effet, il est possible d'exercer le contrôle de
conventionnalité des lois devant le JA, basée sur la jurisprudence
Nicolo de 1989.
ü
Dans ce cadre là, le CE a admis dans un arrêt Hoffer,
CE, 2000 que les ordonnances ratifiées pouvaient être contrôlées au
regard de l'article 6 de la CEDH. Ce faisant, le CE transpose aux
ordonnances une solution qu'il appliquait déjà aux lois de validation. Une
loi de validation est une loi qui est prise par le Parlement pour faire échec à
l'annulation d'un acte administratif illégal par le JA. Ces lois de
validation peuvent être contestées au regard de l'article 6 de la CEDH qui
pose le principe d'un droit au procès équitable. Or, le procès n'est
pas équitable, si l'État peut valider ce que le juge a appliqué. Dans l'arrêt
Hoffer, le JA transpose ce raisonnement à propos des lois de ratification des
ordonnances. Le simple fait que le juge fasse ce rapprochement témoigne du déclassement
de procédure de l'article 38.
v
D'abord, la loi de ratification est traitée comme une loi ordinaire.
De plus, l'ordonnance est
suspecte d'illégalité. Il y a donc un véritable déclassement
juridique des ordonnances. Tout ça contribue à la neutralisation de
l'article 38.
v
Cependant, on recourt toujours autant aux
ordonnances. Dans les années 2000, il y a eu notamment un recours massif
aux ordonnances. La raison est essentiellement pratique : engorgement du Parlement qui n'arrive pas à traiter
de tous les projets ou propositions de loi qui se présentent devant lui.
Section 2 : L'attribution
à l'administration de marges spécifiques de compétence règlementaire
-
De plus, en dehors de l'attribution
constitutionnelle de compétence règlementaire, il existe des hypothèses reconnues par la jurisprudence administrative
où les autorités administratives peuvent fixer des règles indépendamment de
l'idée d'exécution de la loi.
§1 :
LA RECONNAISSANCE À L'AUTORITÉ GOUVERNEMENTALE D'UN POUVOIR DE POLICE DE PLEIN
DROIT
Il s'agit
ici d'hypothèses indépendantes du texte de la Constitution, indépendantes de l'exercice du pouvoir
règlementaire général où le juge a reconnu à certaines autorités
administratives quelque chose qui ressemble à du pouvoir réglementaire
ou parfois ce sont ces autorités administratives qui de fait s'octroient
des compétences s'apparentant à du pouvoir règlementaire.
Ceci est
dû à l'arrêt Labonne, CE, 1919 : reconnaissance d'un
pouvoir de police autonome au chef de l'exécutif (en l'espèce à
l'époque au Président de la République et aujourd'hui au Premier ministre). Le
problème consiste à pouvoir traiter des troubles à l'ordre public qui ont
une dimension nationale. Or, les seules autorités habilitées à exercer des
compétences réglementaires de police sont soit le maire, soit le préfet.
En l'espèce, le Président de la République, sur
aucun fondement légal, avait pris des dispositions pour organiser la conduite
des véhicules à moteur. Le sieur Labonne s'était vu retiré son permis de
conduire. Il contestait ce retrait en disant qu'aucun texte n'avait habilité le
Président de la République ni à poser la réglementation, ni à enlever le
permis.
Le CE a
écarté cet argument en affirmant qu'en
dehors de toute habilitation législative, le chef de l'État dispose, en vertu de ses pouvoirs propres, de la
possibilité de déterminer les mesures de police applicables à l'ensemble du
territoire.
Le CE dit
que le chef de l'État est chargé par la Constitution de l'exécution des lois.
Or, pour exécuter les lois de manière
efficace, il ne faut pas qu'il y ait de trouble à l'ordre public. Il
faut permettre à l'autorité chargé de l'exécution des lois de prévenir les
troubles à l'ordre public pour justement empêcher la bonne exécution des lois.
Cette jurisprudence
Labonne est toujours d'application. Elle a été appliqué dans un arrêt Bouvet de
la Maisonneuve et Millet, CE, 1975 à propos de l'obligation du port de la
ceinture de sécurité.
Pour
terminer, cette jurisprudence Labonne a été intégrée par le CCel dans
sa jurisprudence dans sa décision Code rural, 1987, où le CCel
explique que l'article 34 de la Constitution qui donne au Parlement compétence
pour fixer les règles de l'exercice des libertés publiques, ne prive pas
le chef du gouvernement de ses attributions de police, qu'il
détient en vertu de ses pouvoirs propres.
§2 LE
POUVOIR D'AUTO-ORGANISATION DES CHEFS DE SERVICE
- LE POUVOIR
D'ORGANISATION DU SERVICE, UN POUVOIR DE NATURE INSTITUTIONNELLE
Jamart,
CE, 1936 : le CE dit qu'il appartient
à tout chef de service un pouvoir qui consiste à poser des règles générales
pour s'assurer de la bonne organisation du service. Ce pouvoir appartient
de plein droit.
Le
problème : est-ce véritablement du
pouvoir règlementaire ? Non, ce
n'est pas du pouvoir réglementaire parce que les mesures que prend
le chef de service ne s'appliquent qu'à l'intérieur du service et ne vont
concerner essentiellement les agents que le service emploie, les personnes en
relation directe avec le service. Donc ça
ne concerne pas des administrés visés de manière abstraite.
Jamart consiste donc à
reconnaître la possibilité au chef de service au titre de ses pouvoirs
d'organisation des services, qui découlent de sa situation de chef de service,
de prendre des mesures d'organisation du service qui ont une portée normative
et qui vont notamment intéresser les agents. Ces mesures d'organisation du service ne sont pas normalement à
destination des usagers.
En tout
cas, les usagers n'ont pas d'intérêt juridique à les contester devant le juge,
sauf si la mesure prise par le chef de service est susceptible d'affecter
les conditions d'utilisation par l'usager du SP. Et encore, la jurisprudence est très restrictive. Par exemple, la
répartition des étudiants dans les groupes de TD, est une mesure d'organisation
du service, qui affecte la situation personnelle de l'étudiant. Mais pour
autant, les étudiants ne sont pas fondés en tant qu'usager du service à
contester devant le juge une telle mesure. Ne sont susceptibles d'être
attaquées devant le juge que les décisions qui lèseraient les usagers dans
leurs droits (= exercer leurs droits).
Dans
certains établissements publics, pendant longtemps le juge a exclu toute
idée de contestation de la part d'usagers qui sont dans une relation
hiérarchique spécifique avec l'administration. Il y en avait
essentiellement 3 : les casernes militaires, les prisons, et les
établissements scolaires. Le CE appliquait la théorie
d'ordre intérieur. Il considérait que les militaires, les détenus et le
sévères n'étaient jamais fondées à contester devant lui une décision formée
par l’autorité hiérarchique, même les sanctions. On préférait une sorte d'injustice, plutôt que le désordre (lié à
la contestation …). C'est une jurisprudence qui n'a été remise en cause que
dans deux arrêts du même jour : arrêts Hardouin et Marie, 1995, CE.
La
question qui s'est ensuite posée était de savoir si les élèves pouvaient
contester le règlement intérieur des établissements. La question s'est
cristallisée à propos du port du foulard à l'époque : il y a eu dans les années 90 deux circulaires qui invitaient
les chefs d'établissements à interdire le port du foulard dans le cadre du
règlement intérieur. Dans une affaire Kherouaa, 1992 le CE a
admis que les règlements intérieurs des écoles pouvaient être contestés
devant le JA.
B.
LE POUVOIR D'ORGANISATION DU SERVICE, UN PROBLÈME
SUBSIDIAIRE
La
question qui se pose maintenant est de percer la véritable nature de ce pouvoir
d'organisation du service. Est-ce un véritable pouvoir règlementaire ?
La
réalité est que le juge traite ces actes comme des actes
règlementaires : ils ont un effet juridique normatif, et donc
on peut dans certains cas les contester devant lui.
Mais pour le reste, ces actes ne sont pas vraiment des règlements. En effet, ils ne concernent
que les administrés qui sont en relation directe avec le service. C'est un pouvoir d'auto-organisation. De plus,
ils ne peuvent être pris que dans le but d'organiser le service. Si à
l'occasion de l'exercice de ce pouvoir, le chef de service en profite pour
fixer des règles qui dépassent l'organisation du service, dans ce cas, la
mesure prise par le chef sera illégale.
Parfois, il y a matière à hésiter quand le chef de service en question est le ministre.
En effet, le ministre a une double casquette. Il est d'abord chef de service (et dispose
donc des prérogatives normatives liées à la jurisprudence Jamart), mais il peut
aussi avoir été habilité par la loi,
ou par délégation du Premier
ministre, à exécuter
la loi.
Pour
savoir si elles sont légales, il faut savoir si ses décisions rentrent de
l'organisation du service. Si les décisions qu'il prend débordent de
l'organisation du service, il faut vérifier si le ministre n'a pas une compétence règlementaire spéciale.
Exemple
de la jurisprudence Frérot, CE, 2003. Frérot, détenu, contestait
une circulaire du ministère de la justice qui avait pour but de règlementer les
conditions de fouille des détenus. La question qui s'est posée au juge était :
est-ce que au titre de l'organisation du
service, le Garde des Sceaux était-il fondé à prendre ce type de mesures ?
La réponse est oui, car cela tient bien à l'organisation du service, mais le CE
dit pour autant, le Garde des Sceaux doit, dans le cadre de cette
organisation, tenir compte des règles supérieures qui s'imposent à lui,
et ici du CPP qui organise les conditions de fouille des détenus. Les
textes de lois continuent ainsi à s'appliquer.
De plus
en plus, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un pouvoir
subsidiaire, car c'est un pouvoir normatif qui n'existe que dans la
limite de ce que lui laissent les textes législatifs. Par exemple,
en matière d'organisation des services et notamment ce qui amène de réglementer
parfois les conditions de travail des agents, on s'aperçoit que le pouvoir
autonome du chef de service est un pouvoir complètement résiduel.
En effet, la situation des fonctionnaires est régie par des textes spéciaux. Le
chef de service ne peut donc fixer des règles que dans ce que permet le statut
de la fonction publique. Il ne lui reste plus grand pouvoir pour organiser son
service de la manière dont il le souhaite.
§3 :
L'EXERCICE PAR LES CHEFS DE SERVICE D'UN POUVOIR PARAREGLEMENTAIRE SOUS COUVERT
D'INTERPRÉTATION DE LA LOI
Les chefs
de service dispose du pouvoir hiérarchique. Au titre de ce pouvoir,
ils vont adresser des instructions à leurs subordonnés. C'est au
titre de ces instructions qu'ils vont pouvoir organiser le service.
Mais dans
le cadre de ce pouvoir hiérarchique, le chef de service va pouvoir adresser à
ses subordonnés un certain nombre d'actes
internes dans lesquel il va parfois indiquer la manière dont il faut
appliquer ou comprendre la loi.
Ce type
d'acte interne a parfois une très faible densité juridique, c'est-à-dire
qu'ils ne disent pas grand-chose en droit. Ils permettent de faire circuler
l'information. Mais parfois, ces actes peuvent avoir un contenu juridique
plus ambigüe : il arrive en effet que la loi soit peu claire et qu'elle
pose des problèmes d'application. Le ministre peut alors être amené à proposer
sa propre interprétation de la loi. Dans ce cas, les instructions
ministérielles vont jouer en pratique un rôle considérable. En effet, l'agent
se réfère de préférence à l'instruction du ministre, plutôt qu'au texte de loi
lui-même.
Ces actes
internes constituent alors une sorte de littérature grise connue
que des seuls agents et sur lesquels s'appuient les agents. Plusieurs problèmes
:
- Cette
littérature grise doit aussi être mise à la disposition des usagers. En effet, on
applique aux usagers, non pas la loi, mais l'interprétation de la loi
donnée par le ministre.
- Sous couvert
d'interprétation de la loi, le
ministre peut glisser des dispositions à caractère normatif, qui modifient,
ajoutent, complètent la loi. Donc cela lui donne une marge
de pouvoir pararèglementaire. Peut-on
alors contester devant le juge ces instructions ministérielles qui amènent
les fonctionnaires à sortir de l'application de la loi et la doctrine de
l'administration ?
- La première réponse
du juge
pourrait dire qu'il est incompétent
pour connaître des circulaires parce que, normalement, elles n'ajoutent
rien à la loi, elles ne font qu'interpréter la loi. Pour
le juge, l'immense majorité des circulaires sont des circulaires interprétatives, dont on ne peut pas
contester le contenu devant lui, et dont les administrés ne peuvent pas
non plus se prévaloir devant l'administration.
- Cependant,
le CE a bien conscience qu'il
existe des circulaires qui vont au-delà des textes. Dans ce cas,
le juge considère que l'on n'a plus affaire à des circulaires
interprétatives, mais des circulaires à effet règlementaire.
Cette distinction découle de l'arrêt Institut Notre Dame du
Kreisker, CE, 1954 où le juge distingue les circulaires
interprétatives des circulaires règlementaires. Dans ce cas, il
admet que l'on puisse les contester devant lui. Dans ce cas, deux
solutions :
- La
solution la plus courante est de dire que la circulaire réglementaire
est illégale car le ministre n'est pas habilité par la Constitution à exercer le pouvoir règlementaire
général.
- Cependant,
il peut arriver que le ministre dispose d'une habilitation spéciale (qu'il tient de la loi ou du Premier
ministre). Dans ce cas, le ministre n'est pas incompétent, mais le juge
vérifie si la circulaire réglementaire est conforme dans son contenu
aux règles qui lui sont supérieures.
Mais
concrètement, comment distinguer une circulaire interprétative et
circulaire réglementaire, car interpréter, c'est toujours modifier ? Où
est le curseur ?
On a parfois reproché au CE de fermer les yeux sur des
circulaires qui allaient au delà de l'interprétation de la loi (ex : circulaire
Bayrou sur le port du voile à l'école en 1994).
En 2002,
dans l'arrêt Mme Duvignères, CE, 2002 le CE a sophistiqué la
distinction entre les circulaires règlementaires et les circulaires
interprétatives.
Il a été
confronté à une circulaire qui recommandait d'interpréter la loi conformément à
ce qu'avait écrit le législateur, mais en ignorant du droit communautaire.
Par ce biais, les ministres incitaient les autorités déconcentrées à prendre
des actes individuels illégaux (car contraires au droit communautaire).
Mais le
souci était que ces circulaires
n'étaient pas règlementaires : elles ne modifiaient pas la loi (ils
demandaient d'appliquer la loi). Du coup, le CE a quand même estimé qu'il
fallait pouvoir annuler ce type de circulaires. D'où il a fait évoluer sa
distinction. Il a dit qu'il y a d'un coté les circulaires
interprétatives, et de l'autre il y a les circulaires impératives
qui englobent deux types de situation : la circulaire règlementaire
traditionnelle, et la circulaire fallacieuse qui
recommande de ne pas appliquer le droit communautaire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire