Les juristes savent que ça existe mais se disputent la
manière de concevoir le droit administratif.
§1: Quelle est
la place du droit administratif dans le système institutionnel français ?
·
Le droit administratif français est né à la Révolution française avec la loi
des 16 et 24 août 1790, qui a posé ce que l’on appelle le principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires, et qui signifie que l’Etat, les
autorités exécutives, n’ont pas à être soumis aux règles privées.
§ Cette information est sous la Révolution paradoxale, car
sous celle-ci nous avons adopté un autre texte qui est la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789
qui pose deux principes essentiels : la
garantie des droits, et la séparation
des pouvoirs. La loi du 16 et 24
août va à l’encontre de la déclaration des droits de l’homme car elle
dispose que l’exécutif ne sera pas contrôlé par le judiciaire et que les
administrés qui seraient en litige avec l’administration ne pourront pas aller
devant un juge. C’est un droit fait pour servir les intérêts de l’Etat, c’est un droit politique. C’est
si vrai que le juge judiciaire se voit interdire la possibilité de contrôler
l’administration. On peut se demander s’il existe vraiment un droit administratif
à l’époque. Ce sont plutôt des règles exorbitantes.
C’est un droit qui met l’Etat en dehors
du doit.
·
Comment est-on passé en moins d’un siècle d’un « vide » à l’arrêt
Blanco et donc à l’affirmation d’un vrai droit administratif ? Comment
donc l’administration a été soumise au droit ? Essentiellement par deux
voies particulières :
-
par la constitution progressive d’un véritable
ordre juridictionnel administratif. Il entretient des rapports particuliers
avec la justice.
-
Et c’est ce juge administratif, qui
est séparé du juge judiciaire, qui va à coup de grands arrêts, d’évolution
jurisprudentielle, progressivement construire ce droit administratif.
Le droit administratif ne se lit jamais dans la loi, le
« Code administratif » (il n’y en a pas) c’est la jurisprudence du
Conseil d’Etat. L’effort de la jurisprudence administrative a été de faire
du droit administratif un droit moins
autoritaire, un droit plus libéral
qu’à l’époque de l’Empire ou de la Révolution, en essayant de trouver un équilibre entre ce qui est nécessaire à
la satisfaction de l’intérêt général et ce qui est nécessaire à la protection
des droits individuels. C’est la logique de tout le droit
administratif.
A. Le droit administratif dans ses
rapports avec l’Etat
·
Le droit administratif est à l’origine un droit politique, qui est là pour servir les intérêts de l’Etat,
et qui accompagne la construction de celui-ci en France.
§ Sa fonction première est de sortir le traitement juridique des questions administratif de l’emprise
du droit civil et offrir au traitement des questions administratives un
corps de règles, un système de valeurs qui soit adapté aux nécessités de
l’action publique et donc de la conception qu’on se fait de la fonction
publique en France.
o Or, par tradition,
depuis Clovis, on sacralise le rôle de l’Etat et de la volonté collective.
Et le droit administratif va être la traduction juridique de cette
sacralisation de l’Etat qui trouve son apogée dans la Révolution française avec
ce que l’on appelle l’Etat jacobin.
C’est par lui que va être assuré le
triomphe des idées révolutionnaires.
o Puis dans un second temps, avec le développement des démocraties libérales, le droit administratif
va s’affirmer comme une limite au
pouvoir d’Etat, limiter l’arbitraire administratif pour assurer des droits aux administrés.
o Le troisième temps est celui de la désacralisation totale de l’Etat (aujourd’hui), il n’a plus les
moyens financiers d’être protecteur, aujourd’hui c’est un Etat régulateur. Le droit administratif d’aujourd’hui subit aussi
cette évolution du recul de l’Etat. L’Etat est remis en cause par la globalisation, la construction européenne, le développement
des économies de marché et même au plan local avec la décentralisation.
1/ Le droit
administratif, droit de l’Etat jacobin
·
C’est de là sans doute que le droit administratif
français tire l’essentiel de ses caractéristiques originales qui reposent sur l’idée de la supériorité juridique de l’Etat.
§ Comment est affirmée cette supériorité ? Par un mode d’organisation spécifique à la France :
la centralisation administrative. Les questions publiques sont
traitées directement au sommet de l’Etat et par le pouvoir politique, par
l’exécutif. Cette centralisation administrative s’appuie sur trois
éléments :
-
d’abord sur le légicentrisme.
C’est l’idée que le droit est exprimé d’abord par la loi, c’est ce que nous dit
l’article 6 de la DDHC : la loi est l’expression de la volonté
générale.
-
l’administration tire sa légitimité politique du rôle
qu’elle détient comme chargée de l’exécution de la loi.
L’administration n’est que le bras du pouvoir politique. Il en résulte
essentiellement deux choses.
o D’abord, la confusion
au niveau de l’organisation de l’Etat entre les hiérarchies politiques et
administratives. Les hautes autorités politiques sont aussi les plus
hautes autorités administratives. D’après l’article
20 de la constitution, le Premier ministre
est le chef de l’administration, et il est dit à l’article 21 qu’il
dispose du pouvoir réglementaire.
o Deuxième conséquence : on a une conception interventionniste du rôle de l’Etat, il peut se
saisir de toute question dès lors que cette question est d’intérêt général et
c’est la loi qui le décide (exemple : scandale de l’affaire du sang
contaminé, à l’époque des faits, la transfusion sanguine était essentiellement
assurée par des associations privées qui recherchaient des profits. Pour régler
le scandale, on a transformé ces centres en service public qui relève de la
structure hospitalière).
-
Cette centralisation administrative repose sur un certain nombre de relais institutionnels :
o L’institution des préfets qui représentent l’Etat dans les départements. Il est placé directement sous l’autorité du
gouvernement et il est le pivot de la structure hiérarchique de
l’administration française. Il dispose pour cela de
l’administration déconcentrée.
o l’existence d’une fonction
publique d’Etat. En quoi est-elle particulière en France ? C’est une fonction publique de carrière,
(garantie d’emploi, promotion…) ce qui induit une séparation étanche entre le monde de l’administration et le monde
de l’entreprise. Ce sont deux mondes qui s’ignorent, ce qui permet à l’Etat de
disposer d’un corps homogène d’agents (culture du service public, de l’Etat).
Cette fonction publique regroupe 6 millions de français en activité.
o Le rôle du Conseil d’Etat.
C’est une institution, on y place le meilleur de nos fonctionnaires (ENA). Ces
gens là exercent plusieurs activités. Ils conseillent
le gouvernement (ingénierie juridique), on les envoie régulièrement dans
les grandes administrations (directeur d’administration centrale…) puis ils
reviennent au Conseil d’Etat. Et en outre, ce Conseil d’Etat exerce la fonction juridictionnelle. Il va conduire
dans un premier temps à développer en droit administratif des instruments qui
vont servir l’action publique.
ð Exemple : les prérogatives de puissance publique
(privilèges que d’autres n’ont pas) comme :
o Le pouvoir reconnu à l’administration d’imposer des obligations juridiques,
de prescrire des interdictions sans avoir à obtenir le consentement des
destinataires de la règle qu’elle pose : c’est ce que l’on appelle le pouvoir
de décision unilatérale. C’est le sceau du droit public, ce qui le
distingue de tous les autres droits. A l’inverse en droit civil, le principe de
base de la création de la loi est l’échange de volonté.
o De la même manière, l’administration bénéficie du privilège du préalable. Un
administré doit exécuter les décisions que l’administration lui adresse, les
décisions dont il est le destinataire. L’administré n’a pas besoin d’aller
devant le juge pour constater quel est son droit et quelles sont les
obligations qui incombent à l’autre partie.
o Se greffe une troisième prérogative, c’est le privilège de l’exécution d’office.
Dans certains cas, l’administration peut exécuter par la force les décisions
qu’elle impose aux administrés.
Ø Au 19ème siècle, et au début du 20ème
siècle, un certain nombre de
constructions jurisprudentielles sont exclusivement dictées par le souci de
protéger les intérêts de l’Etat.
o On peut prendre l’exemple de la théorie des actes de gouvernement, qui veut que certains actes pris par le pouvoir exécutif
échappent au contrôle du juge administratif.
ð C’est ce qui est dit dans l’arrêt du Conseil d’Etat « Prince Napoléon » du 19 février
1875 (Le prince Napoléon-Joseph Bonaparte avait été nommé général de
division en 1853 par Napoléon III, dont il était le cousin. L’Annuaire
militaire, qui reparut pour la première fois, après la chute de l’Empire, en
1873, ne mentionna pas son nom sur la liste des Généraux. Le ministre lui
répondit que son nom n’avait pu être porté sur l’Annuaire, parce que sa
nomination, irrégulière au regard des textes, « se rattache aux conditions
particulières d’un régime politique aujourd’hui disparu et dont elle subit
nécessairement la caducité ». C’est cette décision que le prince Napoléon
déféra au Conseil d’Etat). Cet arrêt met
fin à la théorie du mobile politique, c’est l’idée que chaque fois qu’un
acte était pris par le chef de l’Etat dans un but politique, il ne pouvait pas
être contrôlé. Mais certains actes échappent au contrôle du juge.
ð Dans la même veine, l’arrêt
« Winkel » de 1909 va interdire
le droit de grève aux agents publics au nom de la continuité du service public.
Il faudra attendre 1946 et l’inscription du droit de grève dans la Constitution
pour que cela change.
o On peut aussi citer le
pouvoir reconnu à l’administration de résilier ou modifier unilatéralement
les contrats auxquels elle est partie.
ð arrêt 1910 « Compagnie générale française des tramways » (le préfet des Bouches du Rhône, fixant dans son
département l’horaire du service des tramways, avait imposé à la Compagnie
générale française des tramways d’augmenter, pour satisfaire aux besoins accrus
de la population, le nombre des rames en service. Les droits de l’Etat vis-à-vis
des concessionnaires étaient fixés part l’article 33 du règlement
d’administration publique du 6 août 1881, en vertu duquel : « le
préfet détermine…sur proposition du concessionnaire…le tableau de service des
trains ». La thèse du ministre des travaux publics était que l’expression
« tableau de service » désignait non seulement l’horaire des trains
mais leur nombre. Le concessionnaire soutenait, au contraire, qu’en insérant
dans le cahier des charges une clause (art. 14) indiquant le minimum des trains
dus par le concessionnaire, l’Etat avait fait passer la détermination de leur
nombre dans le domaine contractuel et ne pouvait modifier ce nombre que par
avenant, « tableau de service » ne désignant, selon cette argumentation,
que l’horaire des trains. Argumentation de la Compagnie : base dans l’arrêt du 23 janvier 1903, « Compagnie
des chemins de fer économiques du Nord ». Commissaire du gouvernement
Léon Blum : théorie générale des
pouvoirs de la collectivité publique à l’égard du concessionnaire, fondée
sur le fait que l’Etat ne peut pas se
désintéresser du service public de transports une fois concédé).
o Enfin dernier exemple de ces privilèges : c’est
l’idée pour le juge qu’il ne lui
appartient pas de suspendre un acte administratif sauf s’il est manifestement
illégal et en cas de péril imminent.
ð On le retrouve dans l’arrêt
de 1938 : « Syndicat des constructeurs de moteurs d’avion ».
Le droit administratif ne serait donc que l’instrument
d’un pouvoir d’Etat et de la dictature administrative.
Avec
l’avènement de la démocratie libérale, le droit administratif a dû changer.
2/ Le droit
administratif de l’Etat républicain, limite au pouvoir d’Etat
·
A partir de la IIIème République, le droit administratif va se trouver une autre
fonction, qui vient tempérer sa première fonction. C’est celle de la protection des intérêts individuels, de
la lutte contre l’arbitraire administratif et les excès du centralisme
administratif. Le juge va développer toute une série d’arrêts qui veut
que l’intérêt général n’en est un que
s’il ne sacrifie pas trop les intérêts des particuliers.
§ On va voir alors le juge administratif développer tout un
réseau de garanties pour les administrés. Il va développer des techniques de
contrôle pour cela.
o Le premier mécanisme est le recours pour excès de pouvoir. Il permet à un administré de demander au juge d’annuler un jugement
administratif parce qu’il n’est pas conforme à la loi. Dans le cadre de
cette action, le juge administratif va développer des techniques de contrôle
très sophistiquées car le contrôle des actes de l’administration pose un problème
considérable. En effet, c’est la question du pouvoir discrétionnaire (marge de liberté qu’a
l’administration quand elle est chargée de mettre en application une loi).
Cette marge de liberté peut être fort étendue, tout dépend de la rédaction du texte. Plus le texte est vague, plus la marge de liberté
est grande. Ce pouvoir ne peut être supprimé, mais comment le
contrôle-t-on ? C’est le contrôle de l’excès de pouvoir.
o Autre garantie développée par le Conseil d’Etat : la
consécration d’un droit de la
responsabilité administrative.
Quand l’action de administration crée un dommage, elle doit le réparer.
Durant tout le
19ème siècle, le principe était celui de l’irresponsabilité de la
puissance publique qui était résumé
par l’adage : l’administration ne
peut mal faire.
A partir de l’arrêt
Blanco, on protège le droit des victimes, ce qui est différent du
système civil.
v Ce droit administratif repose essentiellement sur un droit
fait de mécanismes de contrôle offert par le juge, donc des mécanismes a posteriori.
o On peut également prévoir des garanties en amont (avant que l’administration
décide), c’est ce que l’on appelle les droits
tirés de la procédure administrative non contentieuse. Ils tiennent
essentiellement dans une forme de contradictoire.
Quand elle va prendre une décision contraire aux intérêts de l’individu, l’administration
doit lui communiquer son dossier.
Plus l’obligation pour l’administration de motiver
ses décisions.
Ø Ces droits de procédure ont été consacrés très tard à partir des années 1970 dans le
cadre de lois adoptées à ce moment là. Elles se rattachent à ce que l’on appelle la
citoyenneté administrative.
v Plus globalement, on peut dire que ce n’est pas qu’un droit de privilèges car certaines règles du droit
administratif peuvent être qualifiées de privilèges à l’envers, c’est à
dire des règles plus contraignantes pour l’administration.
o On retrouve ceci dans le principe d’inaliénabilité du domaine public. Certes,
l’administration est propriétaire de ses biens mais quand ces biens servent le
service public, il lui est impossible de les vendre. L’abusus du droit de propriété lui est retiré.
o On le retrouve également quand l’administration recrute
un agent, elle ne peut pas le recruter librement. Elle est obligée d’organiser
un concours pour évaluer les mérites de chacun des candidats (pour servir le principe d’égale admissibilité aux emplois
publics).
o Dernier exemple : l’administration ne peut pas
librement choisir ses cocontractants, notamment quand elle fait des achats,
elle est obligée de suivre des procédures complexes prévues dans le code des marchés publics, c’est l’appel d’offre.
3/ Les
mutations contemporaines du droit administratif, droit d’un Etat désacralisé
·
L’Etat en tant que puissance est aujourd’hui en déclin, il est contesté par
la globalisation, par le libéralisme économique, par la décentralisation. Il a tendance à se
désengager…le droit administratif subit par contre coups ces évolutions. Il est
également contesté. Comment se manifeste ce recul ?
-
par la contestation de la supériorité de l’Etat. Les sociétés
d’aujourd’hui sont trop complexes. Nous ne sommes plus dans une société
hiérarchisée, le mécanisme de la décision unilatérale bloque. Il faut trouver
d’autres techniques juridiques. Il va procéder plus par incitation, il va chercher à négocier,
il néglige ainsi les procédés de
contraintes ; c’est la contractualisation des politiques publiques
(on passe de plus en plus de l’acte unilatéral au contrat). Du coup,
l’inégalité du droit administratif s’atténue. On parle aujourd’hui de civilisation
du droit administratif (il devient plus civilisé et fait davantage
appel au droit civil).
-
on considère que le droit est moins
à même d’organiser la société. On ne gouverne pas par la loi, on ne
réforme plus par décret (et si on le fait cela se passe mal exemple :
grèves actuelles). D’où on met en place aujourd’hui d’autres techniques. L’Etat
n’est plus seul, il y a les autorités communautaires, locales, les agences non
gouvernementales. Se mettent en place des
mécanismes
de gouvernance. Dans ce cadre là, la législation n’est pas le meilleur
moyen de faire changer les choses, on parle de dérégulation. On cherche à
évaluer l’action publique, on met en place des lois expérimentales…
On considère que le droit administratif est un obstacle à la société, (c’est le marché
qui fait tout et qui permet la régulation). Il permet en plus de garantir le
statut de la fonction publique, l’opinion publique n’est pas d’accord.
·
Ainsi donc, le juge administratif a
fortement évolué de deux manières :
-
il
applique aujourd’hui des règles qui ne sont plus des règles nationales.
C’est une révolution culturelle.
-
le juge administratif s’efforce de disposer de pouvoirs supplémentaires sur
l’administration pour mieux régler et résoudre les problèmes attachés à la
situation particulière des administrés. Il dispose de ce que l’on appelle un
pouvoir d’injonction. Ce pouvoir,
il l’utilise pour régler au mieux les situations personnelles des administrés.
Il y a une sorte de subjectivisation du droit administratif.
B/ Le droit
administratif dans ses rapports avec la justice
·
Le droit administratif entretient avec la justice un rapport particulier, dans la
mesure où en France, l’existence d’un droit administratif va de pair avec
l’existence d’un ordre juridictionnel
spécifique, c'est-à-dire séparé de l’ordre judiciaire qui a un certain
nombre de liens évidents avec
l’administration active et qui a vocation
à traiter l’ensemble des questions administratives. C’est la grande
spécificité du droit administratif à la française. C’est ce que l’on appelle
les systèmes juridictionnels à
Conseil d’Etat. Quelques pays (qui ont fait l’objet d’une conquête
napoléonienne fin 18e début 19e s) ont copié le modèle
français.
§ Pour expliquer ce rapport, il faut remonter à l’Ancien
Régime, avec l’adage : juger
l’administration c’est encore administrer.
Cela signifie que les questions qui sont à juger quand on
s’intéresse à l’activité administrative sont d’une essence différente de celles traitées devant le juge
judiciaire, car elles relèvent de la
manière dont on administre le pays.
Cette idée est
à la base de la loi des 16 et 24 Aout 1790, qui a posé le principe de
séparation des autorités administratives et judiciaires. Ce principe interdit au juge judiciaire de connaître
des activités des administrations publiques.
§ La question qui nous intéresse est de savoir comment d’un principe d’interdiction
on est passé à la consécration d’un véritable ordre juridictionnel
administratif. Cette évolution s’est déroulée en deux temps, et
il existe un double paradoxe
-
la juridiction administrative va naître de
l’administration elle-même
-
c’est cette juridiction administrative (le Conseil d’Etat
statuant au contentieux) qui va élaborer de manière prétorienne ce qui va
devenir le droit administratif. Le paradoxe réside dans le fait que l’on a tendance à
considérer que la règle préexiste au
juge. A mesure que le Conseil d’Etat s’affirmait comme juridiction
administrative, il a construit le droit administratif.
1)
Le juge administratif : un juge spécial né de
l’administration
·
Un principe d’interdiction est posé
par la loi des 16 et 24 Août (article 16) : celui de la séparation des autorités administratives et
judiciaires. Les fonctions
judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions
administratives. Les juges ne pourront à peine de forfaiture (lorsqu’un
agent public dépasse ses attributions) troubler
de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs ni citer
devant eux les administrateurs pour raison de leur fonction.
§ Le problème est qu’à la période révolutionnaire, on va
tirer de ce texte des implications qui ne découlent pas directement du sens
premier, du sens littéral, de l’exégèse des dispositions qui sont inscrites par
le législateur.
o En effet, si on
suit à la lettre ce qu’a adopté le législateur, on ne peut pas en
déduire un principe interdisant au juge judiciaire de contrôler
l’administration. Et on ne peut d’autant pas le faire que ce texte est censé organiser la séparation des pouvoirs.
Or, la conception de Montesquieu est que la distinction des pouvoirs permet de
les diviser et qu’ils se contrôlent mutuellement : Le pouvoir arrête le pouvoir. D’où cela voudrait dire qu’un
ordre devra contrôler l’autre.
o Curieusement, on va surinterpréter
ce texte, car la clé de lecture du
texte n’est pas la séparation des pouvoirs, mais l’adage selon lequel Juger l’administration c’est encore
administrer. Il ne s’agit donc pas vraiment d’une révolution, mais d’une tradition.
ü Si l’on prend ce que dit le texte, on ne peut pas en
déduire que le juge judiciaire ne peut juger l’administration. Il ne doit pas troubler : il ne doit pas chercher
à empêcher l’exécution d’une décision administrative, il ne doit pas adresser
des injonctions à l’administration, mais pas qu’il n’a pas à juger. Il y a en
effet deux choses dans la fonction de juger, il s’agit :
-
de dire le droit
(juri « diction »)
-
de l’imperium : pouvoir de
faire exécuter ses décisions.
L’idée de la loi fait plutôt référence à la deuxième
fonction du juge.
ü La deuxième interdiction : interdit de citer les administrateurs en raison de leur fonction.
Ici, on fait allusion au juge pénal.
Il lui est interdit de poursuivre personnellement un administrateur pour des éléments
qui relèvent de ses fonctions administratives.
v En vérité, c’est
donc un texte assez réduit au départ, qui pourrait presque être conforme à
la séparation des pouvoirs. Mais ce
texte va en vérité servir de prétexte au développement d’une conception
beaucoup plus tranchée de la séparation des pouvoirs, et qui est le principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires, qui sera conquis sous la Révolution comme étant un principe d’interdiction
absolue.
§ Question : comment de cette interdiction absolue on
va passer à une administration contrôlée ?
o Cela va se faire au prix d’une progression historique. Sous la Révolution, les juges judiciaires
ne peuvent pas se saisir des réclamations adressées par les administrés. Et
s’ils sont tentés de le faire, le pouvoir législatif leur rappelle que ça leur
est interdit. En l’an III (fin 1794
début 1795), on est sous le Directoire, les institutions ne sont pas
stabilisées. D’après un décret du 16
Fructidor, le pouvoir législatif reprend un texte : Défense itérative (répétée) est faite au juge judiciaire de connaitre
des fonctions de l’administration.
o Les administrés peuvent toutefois adresser leur plainte à
l’autorité qui a pris l’acte, à l’administration elle-même, en faisant un recours gracieux ou un recours hiérarchique (devant le
supérieur hiérarchique de l’autorité qui a pris l’acte). Ce système va se
développer sous la Révolution et le début de l’Empire : c’est le système dit de l’administrateur
juge. Mais il y a une ambigüité : même s’il est administrateur, il
juge.
o Ce système va alors se développer, se perfectionner,
notamment lorsque les affaires remontent au ministre, qui va motiver les décisions, faire une enquête. On passe
alors au système du ministre juge,
avec l’idée que le ministre peut être juge. C’est un peu étrange : le
ministre est à la fois juge et partie,
les administrateurs ne faisant qu’exécuter les circulaires des ministres.
o C’est un système
partial, mais qui va se développer un peu plus : les administrés,
lorsqu’ils ne sont pas satisfaits des décisions du ministre, écrivent au chef de l’Etat
(l’Empereur). Ce dernier, occupé à guerroyer ou autre, fait traiter par ses services, et notamment par une institution que
la Constitution de l’an VIII (celle
du Consulat) a rétabli dans toute sa puissance : le Conseil d’Etat, qui est chargé d’instruire les dossiers juridiques
pour l’Empereur. Le Conseil d’Etat est
chargé de régler les difficultés en matière administrative.
o Progressivement, le
Conseil d’Etat va spécialement s’organiser pour traiter ces affaires, le
faisant dès 1806, en instituant la commission du contentieux, qui va vite
comprendre que pour statuer, il faut respecter un minimum de formalisme, de procédure. Elle va donc
s’inspirer des règles applicables devant le juge judiciaire et le Code de la
procédure civile.
o En 1830, sous
la Restauration, un certain nombre
de textes organisent cette procédure : elle sera contradictoire (droit pour le plaignant de s’expliquer devant le
juge), la possibilité de se faire assister d’un avocat, et l’audience publique.
o De ce système, qui continue à exister (le ministre restant
toujours un préalable), le juge
administratif va commencer à créer le droit administratif. Ce
système va perdurer jusqu’en 1871,
il est appelé le système de la
justice retenue. Ce n’est pas encore tout à fait de la justice, car la
justice est retenue par le chef de
l’Etat. En effet, la commission du contentieux ne rend qu’un avis, qui doit être confirmé par le chef de l’Etat qui signe l’arrêt de
justice.
o Au fil du temps, la justice retenue fait que les affaires deviennent de plus en plus
complexes, et le chef de l’Etat
signe mécaniquement. Sous le Second Empire, un seul avis du Conseil d’Etat
n’a pas été signé par le chef de l’Etat, et il intéressait un contentieux
autour des biens de la famille des Orléans, il s’agissait donc de raisons
personnelles…
o Ce système va finalement disparaître sous la IIIe République. Dès ses débuts, avec la loi du 24 mai 1872 qui institue le système de la justice déléguée.
Depuis cette date, le Conseil d’Etat
rend des arrêts qu’il prononce au nom du peuple souverain, et non du chef
de l’Etat. D’où la formule au nom du
peuple français au début des arrêts du Conseil d’Etat. Celui-ci devient
donc une véritable juridiction,
avec une spécificité
toutefois : il n’a pas abandonné sa
fonction de conseil auprès du gouvernement, il continue à être l’expert
juridique du pouvoir. C’est ce que l’on appelle le dédoublement fonctionnel du Conseil d’Etat. Cette
juridiction est née de l’administration, et elle conserve avec elle un certain
nombre de liens.
2)
Le droit administratif, un droit forgé par le juge
administratif
·
Le droit administratif, dans ce qu’il a de plus fondamental, n’a pas été
élaboré par le législateur. Aucune loi générale de droit administratif n’a posé
les concepts, fonctions, techniques. Pas d’équivalent
du Code civil.
§ Pourquoi ?
Ø Non pas parce que le droit administratif n’est pas une
matière que l’on pourrait conceptualiser et dégager des qualifications
juridiques. Longtemps, cela s’est dit, on refusait d’organiser des cours de
droit administratif, on la considérait comme une matière dénuée d’intelligence.
Le premier manuel de droit administratif (milieu XIXe siècle) donne aussi cette
impression.
Ø Le droit administratif ne peut aussi aller qu’avec un système
démocratique, on n’en a pas
besoin avec un système autoritaire. Il n’y a pas non plus d’héritage du droit romain.
Ø De plus, le
pouvoir n’avait aucune envie de limiter ce pouvoir de l’administration.
Ø Le droit administratif tel qu’on le connait est donc
celui de la jurisprudence, celle du Conseil d’Etat. Cette élaboration va
prendre plus d’un siècle. Ce droit
étant un système très sophistiqué.
Ø Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de lois, mais elles ont toujours été ponctuelles, spéciales.
ð Exemple : la loi
du 28 Pluviose an VIII, qui traite essentiellement de la question des travaux publics. Il y a
même aujourd’hui de plus en plus de lois.
Mais ces lois
n’ont pas affecté la substance même du droit administratif. Cela reste
toujours en principe des règles
d’exception. Le principe est
généralement jurisprudentiel, il est création prétorienne. Cela est peut
être un peu moins vrai aujourd’hui (influence d’autres systèmes juridiques et
inflation juridique).
§ La question qui se pose est celle de la légitimité de cette production
normative.
o
Article 5 du Code civil : interdit les arrêts de
règlement. En droit administratif, les
arrêts de principe du Conseil d’Etat correspondent bien dans les faits à un
arrêt de règlement, par une autorité
du précédent. Le droit administratif se rapproche du droit anglo-saxon. Les
Cours administratives d’appel et le Tribunal administratif suivent les arrêts
du Conseil d’Etat avec beaucoup d’application.
Le
juge gouverne, légifère en droit administratif. Le droit administratif n’est il
qu’un droit de technocrates, construits dans le dos du peuple et de ses
représentants ? Quelle est sa légitimité ?
o
Toutefois, il existe l’article 4,
qui consiste en l’interdiction du déni
de justice, qui oblige le juge à statuer, même dans le silence de la loi.
Il est donc obligé de poser une règle, ne serait-ce que dans la prétention du
plaignant.
Cet
article, qui appartient à notre constitution juridique, vient donc légitimer
l’œuvre normative du Conseil d’Etat.
o
De plus, cette construction du droit administratif s’est faite au grand jour, les arrêts du
conseil d’Etat sont lus, et publiés dans le recueil Lebon ; et le
législateur n’est revenu que de manière très exceptionnelle sur les décisions
du juge, et « qui ne dit mot consent », le législateur n’a pas utilisé son droit de rescrit. Les textes
spéciaux que prend le législateur s’appuient souvent sur le référentiel
développé et élaboré par le Conseil d’Etat.
C’est donc un droit jurisprudentiel.

a)
La jurisprudence a fait la force du droit administratif
·
On peut penser que le droit administratif ne serait pas ce monument
juridique s’il n’avait pas été élaboré par le juge, le Conseil d’Etat.
§ En effet, le droit
administratif a profité de la puissance institutionnelle du Conseil d’Etat.
Il s’agit d’une auto limitation du
pouvoir. Et ce dernier l’a acceptée car il était développé par le Conseil
d’Etat, expert juridique du pouvoir,
référence absolue dans l’administration française.
§ Le fait que ce soit le juge qui l’élabore donne l’aspect
d’un droit complexe mais élaboré,
subtile, sophistiqué, cohérent. On voit bien lorsqu’on observe le droit
civil, commercial ou pénal que ces droits subissent les sursauts de la vie
politique, des groupes de pression, avec une instabilité des lois.
§ Dans le même temps, la jurisprudence a permis au Conseil
d’Etat d’insister sur l’image libérale
du droit administratif : très tôt, dès la Troisième République, le Conseil d’Etat n’a pas hésité à
s’appuyer sur les grands principes de 1789 pour les imposer à l’administration.
Et il l’a fait à une époque où la DDHC n’avait pas de force juridique (elle ne
l’a que depuis la décision du 16 juillet
1971 « liberté d’association », Cc).
o Le Conseil d’Etat va s’appuyer sur ce texte au travers de
la technique des principes généraux du
droit. C’est l’idée pour le Conseil d’Etat de dégager une norme non écrite
qui va s’appliquer à l’administration, même s’il existe des textes
réglementaires qui y sont contraires.
Deux arrêts considérables :
-
un arrêt de 1944 Conseil d’Etat « Dame veuve
Trompier-Gravier » (la dame bénéficiait de l’autorisation de
vendre des journaux dans un kiosque s’était vue retirer celle-ci, pour avoir
voulu extorquer des fonds à son gérant. Cette faute était donc alléguée à
l’encontre de l’intéressée ; décision attaquée prise dans des conditions
irrégulières, entachée d’excès de
pouvoiràannulée), qui au titre de la technique du PGD consacre le principe des droits de la défense :
c’est l’obligation pour l’administration
avant de prendre une sanction à l’égard d’un administré de lui exposer les
raisons qui l’amène à envisager une sanction et lui laisser un délai utile pour
présenter des observations en défense. C’est la traduction en droit français de la règle de l’habeas corpus consacrée
par la grande charte anglaise du moyen-âge.
-
un arrêt de1948 : l’arrêt de demoiselle Pasteau sur la liberté de conscience, dans une affaire où un
inspecteur d’académie reprochait à un instituteur d’avoir des croyances.
b)
Les
inconvénients
·
Il y a deux inconvénients majeurs :
§ d’abord, le procès
récurrent fait au juge d’être un juge qui gouverne. Cela affaiblit la
position du Conseil d’Etat, d’autant que l’on conteste le droit administratif
en disant que c’est un droit de technocrates fait par des technocrates, diffusant les valeurs de
l’administration et de l’Etat dans la société. Or, celle-ci n’a pas
très bonne presse depuis une trentaine d’années.
§ deux inconvénients techniques :
o un droit jurisprudentiel est un droit difficilement accessible pour
le citoyen. Le droit
administratif ne se lit nulle part. Il faut toujours remettre la solution du
juge dans l’espèce, et ce n’est que par extrapolation qu’on l’appliquera
ailleurs. Le droit administratif est un droit d’initiés.
o Le propre d’un droit jurisprudentiel c’est de dégager des
décisions nouvelles à l’occasion d’une affaire. Par définition, une solution jurisprudentielle a un caractère
rétroactif, ce qui est prohibé par l’article 2 du Code civil, et c’est
ennuyeux pour la sécurité juridique.
Ø Le Conseil d’Etat cherche aujourd’hui à corriger cette situation
en pratiquant ce que l’on appelle la modulation
des effets d’une jurisprudence. Il le fait depuis un arrêt du 16 juillet 2007 « Société Tropic Travaux Signalisation ».
La solution adoptée par le juge est de dire que la solution qu’il dégage à
l’occasion de cette affaire ne s’appliquera pas immédiatement mais à compter
d’une date qu’il fixe lui-même. Cela veut dire que le juge se reconnait le pouvoir de reporter les effets d’une règle de
droit. C’est donc bien pour le juge
reconnaitre expressément qu’il crée du droit. C’est en finir avec
l’artifice que l’on doit à Montesquieu que le juge ne serait que la bouche de
la loi.
§2 : La
place du droit administratif au sein de l’ordre juridique
·
A priori, c’est simple : le droit administratif relève de la
distinction entre le droit privé et le droit public, et dans ce cadre on peut
considérer que le droit administratif est une branche du droit public.
Ø Le problème est que cette distinction est commode, mais
plus idéologique qu’autre chose.
ð Exemple : le droit pénal est du droit public, mais
il est du droit privé en France.
§ Dans ce cadre, on
présente généralement le droit administratif comme opposé au droit civil,
en expliquant que le droit civil est une sorte de droit commun, et le droit administratif serait un droit dérogatoire, spécial.
o Les choses sont plus compliquées que cela. On ne peut pas dire que le droit
administratif serait un droit d’exception, car il y a des questions sur
lesquelles le droit civil ne peut apporter de réponse. L’action
administrative pose un certain nombre de questions que le droit civil est
inapte à résoudre.
o C’est un débat qui a travaillé la doctrine. A partir de la fin du XIXe, le Conseil
d’Etat a développé une jurisprudence, et il y a eu un débat doctrinal pour savoir quelles étaient les relations entre ce
droit et le droit civil. Il s’agit du débat
sur l’autonomie du droit administratif. Toute branche du droit qui se
singularise réfléchit sur les fondements de sa spécificité, ce qui a constitué
un effort de la doctrine.
A.
Droit administratif et droit civil : l’autonomie du
droit administratif en question
Il
y a deux manières de présenter la question.
·
La première consiste à se placer du
point de vue du droit privé. Le droit administratif est vu comme un
ensemble de règles exorbitantes du droit
commun, une sorte de droit
dérogatoire.
Ø C’est une fausse manière de présenter le problème :
il le serait s’il existait un droit commun, or, le droit civil est inapte à répondre à toutes les questions.
·
La seconde consiste à se placer du
point de vue des publicistes. Ici, tout l’effort de la doctrine va être
de marteler l’idée d’une autonomie.
Il y aura deux courants dans la doctrine de droit administratif : les idéalistes et les pragmatiques.
§ Les idéalistes
disent que les questions posées par
l’administration sont totalement spécifiques, n’ayant rien à voir avec les
relations que les individus entretiennent entre eux. C’est un droit nouveau, on doit extraire de ce droit toute trace de
droit civil.
o Cette école de pensée a notamment été alimentée par un
courant appelé Ecole de Bordeaux ou Ecole du service public. Elle a été
fondée par le doyen Léon Duguit, qui
est un des premiers à conceptualiser le droit public.
o Gaston Jèze explique quant à
lui que le seul mot d’ordre du droit administratif est le service public, et qu’il faut que le droit administratif se
construise en totale ignorance du droit privé.
§ Les pragmatiques sont quant à eux surtout au sein du
Conseil d’Etat. L’idée est que le
juge administratif ne s’écarte du droit civil que lorsque c’est nécessaire.
Non pas parce qu’il s’agit du droit commun, mais parce que c’est un modèle de pensée déjà perfectionné,
bénéficiant de la tradition de l’héritage du droit romain et de l’ancien
droit. Cela signifie que le droit applicable à l’administration
peut être parfois fait d’emprunts au droit civil.
ð Exemple : en matière de responsabilité, le droit administratif a des règles spécifiques (arrêt Blanco, 1973). Mais pour autant,
quand le Conseil d’Etat a eu à répondre à ces contentieux en responsabilité, il
n’a pas tout inventé : préjudice,
lien de causalité ou encore faute sont des techniques qui sont
utilisées par le juge administratif.
v Pour autant, on ne peut pas discuter le fait que le droit
administratif soit un droit autonome.
Il repose sur des concepts que l’on ne retrouve pas en droit privé.
1)
Le constat de l’autonomie du droit administratif
·
Il sera fait tout au long de l’année : le droit des contrats obéit à des règles particulières, parfois
inconcevables en droit civil
ð exemple : la modification
unilatérale des clauses du contratàrapport d’inégalité.
§ Ce rapport d’inégalité tient au fait que
l’Etat est un acteur du commerce
juridique, mais c’est plus que cela : l’administration est une institution du pouvoir d’Etat. Ce qui
place la question du rapport au droit de manière tout à fait différente. En
effet, cela tient à l’aspect obligatoire de la règle de droit. L’administration n’est quant à elle pas
soumise par une puissance qui lui est extérieure. Le
droit administratif s’impose la règle à lui-même.
§ Les allemands parlent à ce
propos de l’autolimitation de l’Etat.
C’est une image : l’Etat n’a pas de volonté propre, mais cela fait
référence à la souveraineté du peuple.
Cela explique qu’il y a dans un certain nombre d’hypothèses des lacunes dans la soumission de l’Etat au
droit.
Ø On peut prendre des exemples, qui s’atténuent sous
l’effet du droit extérieur.
ð La question des injonctions
adressées à l’administration (injonction = commandement adressé par un
juge lui ordonnant sous peine de sanctions, d’astreintes pour exécuter
l’exécution des décisions qu’il a prises ; cela relève de l’imperium du
pouvoir du juge, le glaive) : pendant très longtemps, le juge administratif
pensait qu’il ne pouvait pas adresser des injonctions à l’administration. Il ne
l’a admis que depuis une loi de 1995,
et dans des hypothèses particulières. Son pouvoir d’injonction est plus réduit que celui du juge judiciaire.
ð La théorie des mesures d’ordre intérieur. Ce sont des mesures
qui sont prises par l’administration à l’égard d’un certain type de population,
qui sont placées sous l’autorité hiérarchique de l’administration. Exemples :
collégiens et lycéens, placés dans une institution scolaire, placés sous
l’autorité du chef d’établissement ; les militaires ; les détenus.
Pendant longtemps, au nom de cette théorie, le juge
expliquait que ce qui se passait dans ces établissements ne le regardait pas,
du fait du besoin disciplinaire. Il
s’agissait de zones de non droit.
On est ensuite revenus sur cette approche notamment sous l’influence du droit européen, avec les arrêts Hardouin et Marie du 17 février
1995 (par les arrêts Hardouin et Marie , l’Assemblée du
contentieux a opéré un revirement de jurisprudence qui réduit considérablement
l’étendue de la catégorie des mesures
d’ordre intérieur. En effet, en vertu d’une jurisprudence ancienne et
réaffirmée encore peu de temps auparavant (27 janvier 1984, C…, n°31985, p. 29), le Conseil
d’État considérait que les sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre des
détenus et des militaires constituaient des mesures d’ordre intérieur qui ne
pouvaient être discutées devant le juge administratif. Cette jurisprudence se
fondait à la fois sur le souci du juge
de ne pas fragiliser l’autorité nécessaire au respect de la discipline dans
les institutions en cause et sur le caractère
souvent bénin des sanctions infligées. Elle était toutefois contestée car
elle écartait toute possibilité de recours, même dans le cas de sanctions
particulièrement lourdes.
Dans l’affaire Hardouin , le Conseil d’État a admis la recevabilité de la requête d’un marin
dirigée contre la sanction de dix jours d’arrêts qui lui avait été infligée au
motif que, rejoignant l’unité navale sur laquelle il servait, il avait
manifesté des signes d’ébriété et avait refusé de se soumettre à l’alcootest.
Il a cependant rejeté la requête au fond, estimant que les faits reprochés à
l’intéressé étaient de nature à justifier une sanction.
M. Marie contestait pour sa part le bien-fondé d’une sanction de huit jours de
cellule de punition avec sursis qui lui avait été infligée par le directeur de
la maison d’arrêt pour avoir formé une réclamation jugée injustifiée à
l’encontre du fonctionnement du service médical de l’établissement. Dans cette
affaire, le Conseil d’État a considéré que la réclamation formée par le détenu,
qui ne parvenait pas à se faire donner les soins nécessaires, ne comportait ni
outrage, ni menace, ni imputation calomnieuse et ne correspondait pas à un cas
de multiplication de réclamations injustifiées, hypothèses dans lesquelles, en
vertu de l’article D. 262 du code de procédure pénale, les détenus encourent
une sanction disciplinaire. Il en a déduit que les faits reprochés à M. Marie
n’étaient pas de nature à justifier une sanction et a annulé la décision attaquée.
Par ces deux décisions, le
Conseil d’État n’a toutefois pas entendu abandonner entièrement la notion de
mesure d’ordre intérieur. Celle-ci continue de s’appliquer
à certaines mesures qui ne présentent pas
de caractère disciplinaire et demeure pertinente, en matière disciplinaire,
pour les sanctions les moins graves.
L’Assemblée du contentieux n’a en effet admis de connaître des sanctions prises
à l’encontre des détenus que si elles emportaient, “eu égard à [leur] nature et
à [leur] gravité”, des effets sensibles sur la situation des intéressés.)
ð La question du pouvoir discrétionnaire de
l’administration : c’est la
marge de liberté qu’ont les autorités administratives quand elles ont affaire à
un texte général à un cas particulier. Cette marge de liberté est plus ou moins
grande selon que le texte est plus ou moins vague (le juge est parfois lié, il
a parfois un pouvoir d’appréciation). Le juge a longtemps refusé de contrôler
ce pouvoir d’appréciation, ou dans le cas d’une erreur manifeste.
v Cette liste est non exhaustive. L’administration est la
puissance publique, elle a aussi des missions particulières : les missions d’intérêt général ;
d’où la liberté qui lui est laissée.
·
La question est de savoir ce qui
justifie cette spécialité du droit administratif.
Deux explications se sont affrontées :
§ D’un côté, l’école
de Bordeaux avec Léon Duguit : le
droit administratif est spécial car il s’applique à des activités
particulières, les activités de service public. Il s’agit d’activités
prises en charge par la collectivité pour satisfaire les besoins collectifs, et
donc l’intérêt général.
§ De l’autre, Maurice
Hauriou, de l’école de Toulouse s’insurge contre l’émergence de ce droit
spécial. Cela sert à justifier l’action
de l’administration, pour dire que l’administration est au service des
citoyens, mais dire que le droit
administratif repose sur le service public est de la folie : le rôle de
l’Etat peut s’étendre à l’infini, et le droit administratif aussi.
Pour lui, il énonce la théorie de la puissance publique : il n’y a de droit
administratif, de compétence de la juridiction administrative en cas de litige que dans la mesure où celle-ci met en œuvre
des prérogatives de puissance publique, exorbitantes du droit commun (décision,
acte). Et en dehors de cela, on ne peut pas parler de droit administratif. C’est
une vision plus ramassée.
Ø Pour Duguit,
on ne peut expliquer un droit démocratique en faisant référence à une notion de type autoritaire : la
puissance publique.
v La discussion est sans fin, car ils ne parlent pas de la
même chose :
-
L’un essaie d’expliquer quelle est la finalité du droit administratif (Duguit)
-
L’autre (Hauriou) s’intéresse aux moyens,
aux instruments
·
Ce débat n’a pas eu de prise sur la jurisprudence.
Ø En 1910, le
Conseil d’Etat rend l’arrêt Therrond
dans lequel il dit qu’il s’agissait d’un contrat
administratif parce qu’il avait pour visée le service public. C’est le triomphe de la thèse de Duguit.
Ø En janvier 1912 est
rendu l’arrêt Société des granites
porphyroïdes des Vosges, où le Conseil d’Etat nous dit qu’il faut regarder
les clauses du contrat et si cette clause donne des privilèges à
l’administration alors il s’agit d’un contrat administratif. C’est là le
triomphe des idées de Maurice Hauriou.
Ø Puis plus tard est rendu l’arrêt Pubertin, en 1960, qui fera la synthèse des
deux.
La jurisprudence
n’a donc pas tranché. La querelle
doctrinale s’est donc un peu éteinte : les deux conceptions se complètent, sont indissociables.
·
Pour autant, les auteurs n’ont pas cessé de s’interroger sur cette question
existentielle pour le droit administratif. La
controverse a repris dans les années 1950, à partir des évolutions
jurisprudentielles.
§ Le premier à aller dans ce sens est Georges Vedel avec la théorie des bases constitutionnelles du
droit administratif. L’idée est de dire que le fondement du droit administratif se trouve dans le concept de
pouvoir exécutif qui se trouve dans toutes les constitutions. Pour Vedel,
ce qui explique en dernière analyse la décision du juge est que
l’administration est le pouvoir exécutif, et ce droit existe pour tenir compte
de cette spécificité.
Pour cela, il s’appuie sur trois arrêts importants : Heyriès, 1918, Labonne
1919, Dehaene, 1950. Dans ces trois affaires, le Conseil d’Etat va reconnaitre à l’administration des pouvoirs de
décision qui ne sont pas prévus ni dans la loi ni dans la constitution.
ð L’arrêt
Heyriès, du 28 juin 1918 (par l’arrêt Heyriès , le Conseil d’État admet
qu’en période de crise, voire, comme dans le cas de l’espèce, en période de
guerre, la puissance publique dispose de pouvoirs exceptionnellement étendus
afin d’assurer la continuité des services publics. C’est
de cette théorie des circonstances exceptionnelles que s’inspirera
l’article 16 de la Constitution de 1958.
Par un
décret du 10 septembre 1914, le Gouvernement avait suspendu l’application aux
fonctionnaires civils de l’État de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 qui
exige la communication à l’agent de son dossier avant toute mesure
disciplinaire prise à son encontre, afin de pouvoir procéder sans délai aux
déplacements et aux nominations qui s’imposaient selon lui. M. Heyriès, qui
avait été révoqué sans que son dossier ne lui ait été préalablement communiqué,
attaqua cette mesure en excipant de l’illégalité
du décret du 10 septembre 1914. En temps normal, le Conseil d’État aurait
donné raison au requérant dès lors qu’il est constant qu’un décret, acte du
pouvoir réglementaire, ne peut suspendre l’application de dispositions
législatives. Mais le Conseil d’État, en l’espèce, lui donna tort. Il jugea en
effet que, en vertu de la Constitution, en l’espèce l’article 3 de la loi
constitutionnelle du 25 février 1875, il incombe aux pouvoirs publics “de
veiller à ce que, à toute époque, les services publics institués par les lois
et règlements soient en état de fonctionner, et à ce que les difficultés
résultant de la guerre n’en paralysent pas la marche”.) consacre la théorie des
circonstances exceptionnelles. En temps de guerre, il avait suspendu une
loi qui portait sur les militaires.
ð Dans
l’affaire Labonne du 8 août 1919 (par l’arrêt Labonne , le Conseil d’État a jugé
que l’autorité titulaire du pouvoir
réglementaire général disposait, en l’absence de toute habilitation
législative, d’une compétence pour édicter des mesures de police à caractère
général et s’appliquant sur l’ensemble du territoire. Le Président de la République, titulaire, sous la
IIIe République, du pouvoir réglementaire général, avait pris, le 10 mars 1899,
un décret réglementant la circulation automobile en la soumettant notamment à
la possession d’un “certificat de capacité pour la conduite des voitures
automobiles”, sans y avoir été expressément habilité par une loi. Sur la base
de ce décret, des arrêtés préfectoraux étaient intervenus dans chaque
département, sur le fondement desquels des mesures individuelles furent prises.
C’est en vertu de cette réglementation que le “certificat de capacité” de M. Labonne
lui fut retiré. Il attaqua cette mesure en excipant de l’illégalité des textes en cause au motif que leurs auteurs
auraient été incompétents, faute d’une habilitation législative initiale. Le
Conseil d’État rejeta sa requête en jugeant “qu’il appartient au chef de
l’État en dehors de toute habilitation législative et en vertu de ses pouvoirs
propres, de déterminer celles des mesures de police qui doivent, en tout état
de cause, être appliquées dans l’ensemble du territoire”) on reconnait au président de la République un pouvoir de police générale sur l’ensemble du territoire quand un
problème se pose. Un usager de la route s’est fait retiré le permis de
conduire, mais il a contesté en disant que cela lui a été donné par une
institution incompétente : le président de la République.
ð Dans l’arrêt
Dehaene du 7 juillet1950 (par la décision Dehaene, le Conseil d’État juge
qu’en l’absence de loi applicable, il appartient aux chefs de service de
réglementer le droit de grève des fonctionnaires.
Pendant une longue période, les fonctionnaires n’eurent pas le droit de faire
grève. Ce n’est pas que la loi l’interdisait expressément, mais cela semblait incompatible
avec les nécessités du service public et la sauvegarde de l’ordre public et de
l’autorité de l’État (cf. CE, 7 août 1909, Winkell, n°373317, p. 826). Le Préambule de la Constitution
de 1946 avait toutefois modifié les données juridiques de cette question
lorsque le Conseil d’État fut amené à se prononcer sur le blâme infligé au
sieur Dehaene, chef de bureau dans une préfecture, en raison de sa
participation à une grève à laquelle le ministre de l’intérieur avait interdit
aux agents d’autorité de participer. Ce Préambule prévoit en effet que “le
droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent”. Mais,
s’agissant des fonctionnaires, deux lois seulement étaient intervenues, toutes
deux relatives à certains personnels chargés de la sécurité intérieure) : Constitution de 1946 : consacre le droit de grève, un agent prétend
qu’on ne peut lui limiter son droit de grève, conformément au texte, mais le
Conseil d’Etat s’appuiera sur le principe
de continuité du service public.
Ø Dans les trois arrêts, le Conseil d’Etat nous dit que l’administration a agit en l’absence de
fondement légal, mais le Conseil
d’Etat n’annule pas, car le chef de l’Etat règle des questions compliquées, qui
mettent en péril la nation. Le Conseil d’Etat dit alors que
l’administration peut intervenir car ce qui menace l’ordre public doit pouvoir
mener à des pouvoirs de régler ces affaires en dehors même de ce que prévoit la
loi. L’exécutif dispose de pouvoirs
implicites.
·
Georges Vedel
nous dit que le fondement du droit
administratif est donc l’exécutif, et on peut reconstruire tout le droit
administratif autour de ce fondement. Lorsqu’il dit ça, Vedel est plutôt du côté des thèses d’Hauriou.
§ Le deuxième auteur est R. Chapus.
Il veut savoir quels sont les fondements du droit administratif. Il part de la
jurisprudence du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation. Il arrive à la
conclusion selon laquelle il faut
dissocier la question du droit applicable de celle de la compétence du juge.
Il explique que l’on a mélangé les deux questions jusque là.
o Il énonce la théorie du service public industriel et commercial, qui sont des missions de service public qui sont à
gestion privée, et pour qui le Tribunal
des Conflits a jugé le 22 janvier 1921 que cela relève de la compétence du
juge judiciaire.
o Il s’appuie aussi sur un autre arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 1956, l’arrêt Giry.
Est en cause une activité de police
judiciaire, qui est l’activité de police menée avant un procès pénal. Un
passant prend une balle perdue dans la poitrine, fait un procès. Il s’agit normalement d’un contentieux
judiciaire, mais la Cour de cassation a jugé que l’on ne pouvait pas faire
application des règles du droit civil, mais des principes dégagés par la jurisprudence administrative. Cependant,
elle maintient la compétence pour juger
l’affaire dans l’ordre judiciaire.
Ø De ces affaires, Chapus fait la distinction : il dit que le droit administratif est le
droit des services publics. Par contre, le droit de la puissance publique est le critère de la compétence de la
juridiction administrative.
ð Le problème est l’affaire Giry :
la police judiciaire relève de la puissance publique mais la compétence est
celle du juge judiciaire. C’est une exception, car elle est proche du procès
pénal.
§ Le Conseil constitutionnel
est lui aussi entré dans la controverse en 1987,
se prononçant sur le fait de savoir si le contentieux d’une autorité
administrative (le Conseil de la
concurrence) pouvait être transféré par la loi devant le juge judiciaire. Il a dû se prononcer sur la valeur
constitutionnelle de la séparation des autorités administratives et judiciaires.
Il ne lui reconnait pas cette valeur, et nous dit que ce qui a valeur
constitutionnelle est un PFRLR qui
dit que la juridiction administrative
est compétente quand elle a à connaitre des actes du pouvoir exécutif
pris dans le cadre de l’exercice de prérogatives de puissance publique.
Le Conseil constitutionnel a alimenté à la fois la thèse de Chapus et la thèse de Vedel. Et ce n’est pas un hasard :
Georges Vedel siégeait au Conseil constitutionnel.
2) Quel est le
degré d’autonomie du droit administratif ?
·
Il est difficile de donner une réponse, car le juge administratif a développé des règles propres, mais n’a
jamais répudié en bloc le droit civil.
§ De manière ponctuelle, la jurisprudence administrative
fait des emprunts au droit privé.
ð Les collectivités publiques peuvent conclure des contrats de droit privé, il existe des services publics industriels et commerciaux
à gestion privée, et le juge administratif utilise des théories du droit civil,
comme en matière contractuelle, avec la théorie des vices du consentement. En matière de droit des biens,
on a admis que l’administration était propriétaire
de ses biens. Même remarque pour la responsabilité :
notions de faute, préjudice, lien de causalité, dommage, fait générateur.
§ Toutefois, ces
emprunts sont passés à la lessiveuse du droit administratif :
quand le juge administratif emprunte une technique au droit civil, il en fait
une règle de droit public ; bien qu’il
l’utilise quand même parfois tel quel (règle
des intérêts moratoires). Mais il recycle les principes, allant chercher
dans le droit privé des règles à appliquer à l’administration.
ð Exemple : l’arrêt
dame Peynet de 1973, sur l’interdiction de licencier une femme enceinte.
Cette règle est posée par le Code du travail. Pour les contractuels de
l’administration, il n’y avait aucune protection. Le Conseil d’Etat a pris la règle du Code du travail, en en
faisant un PGD pour l’appliquer au
droit public.
Tout
s’entrecroise donc : le droit administratif est général, mais ne répudie
pas complètement le droit civil.
B.
Droit administratif et construction d’un espace juridique
commun
·
Se développe une sorte de mouvement transversal
qui veut qu’un corps de règles nouveau lié à un mouvement appelé de diversification des sources du droit s’applique
aussi à l’administration ; et c’est le juge administratif qui les
applique à l’administration parce que ces règles s’imposent à lui.
o Le droit administratif cesse, depuis environ trente ans, d’être un droit spécialement élaboré par
le juge administratif. Celui-ci intègre de plus en plus des règles juridiques venues d’ailleurs (droit
international, communautaire) mais aussi d’en
haut (droit constitutionnel, à partir des années 1970 et avec notamment
la décision de 1971).
o C’est un phénomène important pour connaitre les
évolutions du droit administratif. Le
juge administratif a perdu la maitrise des règles qui s’appliquent à l’administration.
Quand il aborde un principe communautaire ou constitutionnel, il ne peut pas
ignorer la jurisprudence des
juridictions.
v Cela change la nature du droit administratif : c’était un droit fait par et pour
l’administration, focalisé sur les exigences de l’action publique. Aujourd’hui,
le juge administratif intègre d’autres exigences (droit communautaire : libre concurrence, libre circulation des marchandises…).
1)
L’influence de la Constitution sur le droit administratif
·
Cette influence a d’abord
été nulle ou presque, parce que :
o Pendant longtemps, la Constitution n’a contenu que des dispositions qui intéressait les relations
entre l’exécutif et le pouvoir législatif (lois constitutionnelles de
1875) ; de sorte que les points de rencontre avec le droit administratif
étaient peu nombreux, même s’il y en avait pour ce qui concernait le pouvoir exécutif (commun aux
administrativistes et aux constitutionnalistes).
o Surtout, il n’y avait aucune juridiction constitutionnelle susceptible de livrer une
interprétation de la Constitution, de sorte que pendant longtemps, le juge constitutionnel était le juge administratif.
Pour cela, il suffit qu’un requérant invoque devant lui un moyen fondé sur une
violation de la Constitution, et le juge administratif est alors amené à
vérifier le droit administratif au regard des règles constitutionnelles.
·
Les choses vont changer à partir des années
1960-1970, avec deux bouleversements majeurs :
o L’institution d’une juridiction constitutionnelle (juridiction par la pratique, en dépit d’une
organisation un peu déficiente, cf. la manière dont sont nommés ses membres)
susceptible de livrer sa propre interprétation
de la Constitution.
D’autant plus que d’après l’article 62 impose à son alinéa 3 : Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun
recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles. Ainsi, quand le Conseil invalide une loi en
raison d’une violation de la Constitution, le Conseil d’Etat est obligé d’en
tenir compte.
o La décision du 16 juillet 1971 « Liberté d’association » est importante car elle
change le contenu de la Constitution.
Avant, la Constitution était un texte essentiellement politique, où l’on traitait
essentiellement de la procédure
législative. Avec la décision de 1971, la Constitution devient un texte de droits substantiels ; et
ces dispositions intéressent pour l’essentiel les droits fondamentaux, les
libertés individuelles. Connaître le cheminement et les textes (validation
constitutionnelle par cascade) du bloc de constitutionnalité : on y voit
deux chartes : préambule de 1946 (droits
sociaux) et DDHC (d’inspiration, libérale, droits de l’individu).
On est passé
d’une étape où le droit administratif prévalait sur le droit constitutionnel à
la constitutionnalisation du droit administratif.
a)
La prévalence historique du droit administratif sur le droit
constitutionnel
·
Cette prévalence s’explique par plusieurs raisons citées plus haut et une
autre : le droit constitutionnel du
XIXe et du XXe siècle est soit du pauvre droit, soit du droit instable (23
Constituions successives).
En face, on a une forte stabilité du droit administratif incarné par le Conseil d’Etat qui survit à tous les régimes juridiques et qui développe sa
jurisprudence avec patience.
o Ainsi, quand le Conseil d’Etat est saisi de questions
fondées sur la violation de la Constitution, il va développer une conception
qui consiste à soumettre au droit
administratif les autorités constitutionnelles.
ð Cette conception peut être illustrée par un arrêt du Conseil d’Etat du 6 décembre 1907 chemin
de fer de l’est. Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat estime que les actes du chef de l’Etat (du
président de la République) émanent d’une
autorité administrative et à ce titre peuvent être soumis au contrôle du
Conseil d’Etat. C’est l’idée que les
autorités investies du pouvoir exécutif par la Constitution ne sont pas d’une
nature spéciale, pas seulement des autorités politiques, mais quand elles
prennent les actes nécessaires à l’exécution des lois, elles agissent comme des
autorités administratives.
C’est considérable.
L’affaire
de 1907 est intéressante : le président de la République avait pris un règlement d’administration publique.
Ceux-ci étaient des décrets d’un genre un peu particulier, qui étaient pris sur
habilitation du législateur et par lesquels le législateur donnait une très
large marge de manœuvre au président de la République pour exécuter les
dispositions de la loi. C’était des lois
dites « cadres » à
l’intérieur duquel cadre l’exécutif disposait d’une assez grande liberté.
Toute
une doctrine expliquait que les règlements d’administration publique étaient
des actes de législation déléguée.
On expliquait que c’était des actes de
nature législative, pris sur habilitation de la loi. Cette doctrine
s’inspirait des solutions qui
prévalaient au Royaume-Uni. Cette
doctrine, si elle avait prévalu, consistait à dire que les actes formellement
administratifs mais matériellement législatifs ne pouvaient pas être contrôlés
par l’administration.
C’est précisément cette analyse que rejette le Conseil
d’Etat en 1907, en faisant prévaloir,
conformément à la tradition juridique
française, une approche de type
organique et non pas matérielle.
o Ce principe n’a jamais été remis en cause, même au début
de la Ve République. La volonté du constituant en 1958 était de renforcer la
place de l’exécutif, en le dotant de pouvoirs nouveaux, voire interdits sous
les Constitutions antérieures : pouvoir
réglementaire autonome, possibilité de légiférer par ordonnance (articles 37
et 38 de la Constitution). Dans les deux cas de figure, on a soutenu que le
gouvernement exerçait une fonction de
même nature que la fonction législative.
Mais même sous la pression du pouvoir constituant, le
Conseil d’Etat a maintenu la jurisprudence de 1907. Deux arrêts illustrent
le maintien de cette jurisprudence :
ü un arrêt de 1959
« syndicat général des ingénieurs conseil » et
ü un arrêt de 1961
(à propos des ordonnances) « fédération
nationale des syndicats de police ».
ü Le Conseil d’Etat a même été plus loin dans un arrêt qui
a fait scandale : l’arrêt Canal,
pris en 1962 (intéressant les évènements d’Algérie : sur la base d’une loi référendaire, le
président de la République avait pris une ordonnance
en instituant un tribunal d’exception
pour juger de manière expéditive des crimes commis en Algérie. Celui-ci
avait condamné à mort le dénommé Canal, terroriste de l’OAS (Organisation de
l’Armée Secrète, favorable au maintien de l’Algérie française). Avant d’être
exécuté, Canal fait un recours devant le Conseil d’Etat, où il conteste les
conditions de fonctionnement de cette justice militaire, expliquant notamment
que l’ordonnance est contraire à des PGD
du droit pénal. Le Conseil d’Etat va faire droit à son recours, Canal va
sauver sa tête ; l’annulation de
l’ordonnance ayant valeur rétroactive.
o Le Conseil d’Etat a donc continué à appliquer sa
jurisprudence de 1907, même sur
habilitation référendaire, les actes du président de la République restent
administratifs. Cette décision a provoqué un tollé : le président de
la République, qui bénéficiait d’un certain prestige, a piqué une colère en
faisant passer une note : le Conseil
d’Etat a dépassé ses attributions. Il y a eu dans les semaines qui suivent
l’idée de réformer le Conseil d’Etat, ce qui ne s’est pas fait, car les sphères
gouvernementales étaient noyautées par le Conseil d’Etat (M. Debré, Premier
ministre était conseiller d’Etat).
·
Il y a une exception, que l’on retrouve dans la théorie des actes de gouvernement : arrêt Prince Napoléon, 1875 : abandon de la théorie du mobile
politique, mais pas de la théorie des actes de gouvernement. Il y a l’idée
que certains actes politiques pris par les autorités de l’Etat ne sont pas des actes administratifs
donc ils doivent demeurer injusticiables
devant le Conseil d’Etat.
ð Exemples :
-la décision de
dissoudre l’Assemblée nationale
-la décision du
président de la République de recourir à l’article 11 de la Constitution
·
On le voit, le Conseil d’Etat
n’hésite pas à interpréter les dispositions constitutionnelles.
§ Il est par exemple juge constitutionnel dans des affaires où est contestée
la compétence du président de la République ou du Premier ministre au regard
des dispositions de la Constitution.
o A cet égard, la Constitution de la Ve République a généré
un contentieux important, parce qu’il y a deux articles dont il faut assurer la
conciliation : l’article 21 de
la Constitution (reconnait le pouvoir de décision du Premier ministre, chef de
l’administration, qui dispose du pouvoir
réglementaire) et l’article 13
de la Constitution qui nous dit que le président
de la République préside le Conseil des ministres, donc il est amené à
signer les textes discutés en Conseil des ministres ; et que le président
de la République nomme à certains
emplois civils et militaires.
Il y a donc souvent à discuter
de la question de qui fait quoi entre les deux têtes de l’exécutif. Et le Conseil d’Etat a été amené à interpréter
la Constitution pour répartir les rôles.
ð Il l’a fait dans deux arrêts :
-Sicard, 1962
-Meyet, 1992
L’interprétation qu’a donné le Conseil d’Etat de la
Constitution tient largement compte de
la pratique politique, et notamment de
ce que l’on appelle le gouvernement présidentiel.
o Dans les textes, la Constitution de la Ve est parlementaire : le Premier ministre est le chef de l’exécutif, et
le président de la République a plutôt un rôle d’arbitre.
o Mais cela a changé, notamment depuis 1962. Depuis cette date, le président de la République revendique des
compétences, notamment en Conseil des ministres. La question était de savoir si
l’on pouvait l’admettre au regard de la Constitution. Le Conseil d’Etat valide cette pratique : il est ainsi juge
constitutionnel.
·
Dernier élément expliquant la prévalence historique : théorie des PGD : CE, dame veuve Trompier- Gravier, 1944. Elle illustre la prévalence du
Conseil d’Etat car par cette théorie, le Conseil d’Etat donne force normative à des dispositions,
notamment celle de la DDHC qui à l’époque n’avait pas de force juridique car
elle n’était contenue dans aucun texte constitutionnel (pas de préambule
pour les lois constitutionnelles de 1875). C’est
par le biais du droit administratif que ces principes, qui sont le cœur de
notre démocratie et de notre système juridique, vont s’appliquer à nouveau.
·
Dernier exemple de la suprématie du droit administratif sur le droit
constitutionnel : la théorie de
la loi écran, consacrée par l’arrêt du Conseil d’Etat de 1936 : Arrighi.
Situation : est contesté
devant le Conseil d’Etat un acte administratif au motif que cet acte administratif met en application
une loi contraire à la Constitution, ce qui fait de cet acte un acte
inconstitutionnel, c’est pourquoi il doit être annulé. Dans le cas de la
théorie de la loi écran, le Conseil
d’Etat va refuser de faire droit à ce type de recours en expliquant que la loi
fait écran entre lui et la constitution, et que son rôle est de contrôler
le respect actes administratifs par rapport à la loi, mais pas la loi par
rapport à la constitution. Il décide que c’est irrecevable, et valide
l’acte administratif c’est là une marque de l’ignorance de la suprématie
constitutionnelle.
b)
La
constitutionnalisation du droit administratif
·
A partir des années 1970 (essentiellement depuis la décision de 1971), les relations entre le droit
administratif et le droit constitutionnel vont se transformer, et ce en raison
du fait qu’il y ait une jurisprudence du
Conseil constitutionnel, et que le
Conseil d’Etat est amené à la prendre en compte.
Le renouvellement des rapports
est dû à plusieurs raisons :
§ Le périmètre du droit constitutionnel s’étend :
o Le droit constitutionnel n’est plus seulement en haut, il
est partout. Des pans entiers de
l’autorité administrative sont soumis à l’incidence du Conseil constitutionnel.
En effet, le Conseil constitutionnel est appelé régulièrement à se prononcer
sur des lois qui intéressent l’activité administrative
ü Exemple : la semaine dernière a été adoptée par le Parlement
la loi portant réforme des collectivités territoriales. Elle est déférée au
Conseil constitutionnel. La jurisprudence du Conseil constitutionnel va être
amenée à interpréter la Constitution sur les éléments de l’organisation
administrative du territoire, dégageant des principes, des directives.
o De plus, les requérants ont tendance à multiplier les références à la
Constitution devant les juridictions administratives, faisant même référence à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ils le font car
ils ont l’impression de donner une force à leur argumentation, renforçant sa légitimité. De plus, dans la
jurisprudence constitutionnelle, ils peuvent éventuellement trouver des éléments nouveaux, non
pris en compte par le juge administratif jusqu’à présent, des éléments
décalés qui vont amener le juge administratif à modifier son interprétation.
§ La deuxième raison de la constitutionnalisation du droit
administratif est la jurisprudence
constitutionnelle, qui est extrêmement fournie,
et dont l’article 62 de la
constitution dit que les décisions du Conseil constitutionnel ont autorité de chose jugée devant les
autorités administratives et juridictionnelles.
o L’une des questions est de savoir ce qu’il faut entendre
par cette autorité. Débat doctrinal : uniquement
autorité de chose jugée ou autorité de chose interprétée par le Conseil ?
ü La différence réside dans le fait que l’autorité de chose jugée vaut
lorsque le Conseil constitutionnel statue sur une loi qui a déjà été contrôlée par le Conseil constitutionnel, il est
tenu par les réserves d’interprétation
du Conseil constitutionnel.
ü L’autorité de chose interprétée :
la question est de savoir si elle existe. Mais certains auteurs expliquent que
quand une disposition de la Constitution a été interprétée par le Conseil
constitutionnel, son interprétation
s’impose au juge administratif. De fait, même quand le Conseil d’Etat est
appelé à faire l’interprétation d’une loi qui n’a pas été contrôlée par le
Conseil constitutionnel.
§ La troisième raison : elle tient à la révision constitutionnelle de 2008.
C’est donc une situation nouvelle. La révision de 2008 a institué la Question prioritaire de constitutionnalité qui
est un mécanisme destiné à faire échec à
la théorie de la loi écran.
C’est l’idée que lorsqu’un requérant soulève par voie
d’exception un moyen d’inconstitutionnalité devant le Conseil d’Etat, dans ce
cas là, le juge administratif ne peut plus rejeter le moyen. Il est tenu de
l’examiner, et à ce moment là, il y a trois situations possibles :
o Le juge administratif dit que le moyen n’est pas sérieux, dilatoire. Il le rejette alors. S’il
s’agit d’un moyen sérieux, le juge administratif remonte alors l’affaire en
Conseil d’Etat, de manière prioritaire, et il sursoit à statuer.
o Le Conseil d’Etat joue alors le rôle de filtre : il décide s’il y a
matière à saisir le Cc.
o Il remonte l’affaire au Conseil constitutionnel et le
Conseil constitutionnel dit si le moyen est ou non fondé. Si tel est le cas, la loi est jugée
inapplicable.
Aujourd’hui, on ne cesse de poser des questions
prioritaires. En effet, des
lois datent d’avant le Conseil constitutionnel, des lois adoptées n’ont jamais
été jugées par le Conseil constitutionnel.
v On assiste du coup à une constitutionnalisation du droit
administratif : le juge administratif est de plus en plus souvent amené
à confronter les actes administratifs à la constitution.
v Remarque : la
décision du 16 juillet 1971 n’est pas tant une innovation : le Conseil d’Etat l’avait déjà dit en 1960
dans un arrêt société Eky, mais cela n’avait pas la même force que l’autre
décision.
v Ne pas confondre la constitutionnalisation
du droit administratif avec la théorie
des bases constitutionnelles du droit administratif de Georges Vedel ;
même s’il y a une aspiration commune : la constitution est la mère de tous
les droits, elle doit aussi l’être du droit administratif.
2)
L’influence du droit international et du droit européen
sur le droit administratif
Cette question sera développée au second semestre.
·
Le droit international regroupe les traités auxquels la
France est partie.
·
D’après l’article 55 de la
constitution, les traités ont force de loi.
·
Le juge administratif a été amené à se prononcer sur la violation des
traités, notamment en 1953 dans l’arrêt
dame Kirkwood.
§ Pendant longtemps, cette supériorité des traités n’a eu qu’une incidence
occasionnelle :
o La France signait peu
de traités, ou alors ils étaient diplomatiques,
sans grande incidence sur les relations entre l’administration et les citoyens.
o L’autre élément qui rendait cette influence occasionnelle
est le fait que le Conseil d’Etat considérait qu’à l’égard des traités, il
existait une variante de la théorie
de la loi écran de sorte que la loi prévalait de fait sur les
traités (le Conseil d’Etat considérant qu’il n’avait pas à contrôler la loi).
§ Les choses vont être profondément modifiées :
o Depuis 50 ans, la coopération entre Etats s’est développée, notamment à l’échelle du continent européen :
ü On a adopté des traités
qui n’ont rien de commun avec les traités d’autrefois.
C’est le cas du traité
des CEE, du traité sur l’UE qui
créent un ensemble politique intégré, ou encore du traité concernant Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Ces deux textes européens changent tout : car ils
ont un contenu substantiel, c'est-à-dire
que les stipulations de ces traités sont
susceptibles d’intéresser les relations entre les administrations nationales et
les citoyens.
Le traité de l’UE
contient notamment la proclamation de
libertés économiques qui s’imposent aux Etats membres et que les
entreprises nationales ou européennes peuvent opposer aux administrations
d’Etat.
Toute
notre réglementation économique d’aujourd’hui est communautaire : 80% des lois votées par le Parlement sont
dictées par le droit communautaire.
Même
chose pour la Convention européenne des
droits de l’homme : elle reconnaît des droits fondamentaux aux citoyens, qui valent pour les étrangers,
mais aussi pour les ressortissants français.
ü Il existe aussi des facteurs
aggravants de l’incidence. Si l’on prend le cas du droit communautaire, il
n’est pas fait que de traités, mais aussi du droit dérivé, c'est-à-dire des actes dressés par les institutions
communautaires (règlements, directives…).
ü Un autre facteur aggravant est que ces deux traités ont
organisé leur propre mécanisme
juridictionnel de sanction. Il y a une Cour de justice de l’Union européenne (Luxembourg), une Cour européenne des droits de l’homme
(Strasbourg). Ces traités européens sont donc du droit vivant : quand le Conseil d’Etat applique un texte
européen, il ne peut pas en faire sa propre interprétation, mais il est tenu de
se conformer à ce qu’a jugé ces juridictions. Il
ne maîtrise donc plus la situation.
·
Le juge administratif a donc perdu la maîtrise des normes
qu’il applique à l’administration
(en partie en tout cas).
o Ce droit européen, qu’il soit communautaire ou
conventionnel, repose sur une conception
différente de l’Etat et de la puissance publique, une conception désacralisée.
C’est un Etat qui doit composer plus qu’avant avec les libertés fondamentales des citoyens, des entreprises.
o Le droit administratif est un droit d’équilibre entre les intérêts de l’Etat et ceux des administrés.
Le droit européen en est aussi un, mais
l’équilibre ne se situe pas au même niveau : le côté protection de l’Etat pèse le plus en droit administratif
national, alors que le plateau de la balance est plutôt de l’autre côté en
droit européen. Ce sont deux visions qui s’entrechoquent.
3°.
Droit administratif et nouvelles sources à vocation transversale législatives
Parallèlement au droit communautaire, il existe aujourd’hui en
jurisprudence un mouvement qui tend à
l’indifférenciation des règles de droit applicables tant à l’administration qu’
aux opérateurs privés.
Le juge oppose ainsi le droit
pénal à l’administration : CE
1997 Lambda (est illégale la décision administrative qui place
un fonctionnaire en situation de violer la règle de droit pénal)
·Ainsi que le droit de la
concurrence : CE 1997 Million et
Marais : est illégale la décision administrative qui
place une
entreprise en situation de violer la concurrence. Voir aussi et
CE 1999 soc. Eda à propos des conditions d’attribution d’une
autorisation d’occupation à des fins commerciales du domaine
public aéroportuaire
· Ou encore le droit de la
consommation : CE 22 nov 2000 Sté
L et P Publicité.
Pour aller plus loin (passage non vu en cours qui sera repris au
Semestre 4)
En conclusion, ces évolutions concernant le contenu des règles
applicables à l’activité administrative impliquent de s’interroger sur ce qui fonde la compétence du juge
administratif à se saisir d’une affaire.
Historiquement en effet, la doctrine expliquait la compétence de la
juridiction par le principe selon lequel la
compétence suit le fond. Autrement dit dès lors que l’activité
administrative en cause est régie par des règles
spéciales, le juge judiciaire est techniquement incompétent et c’est au
juge administratif qu’il revient de juger l’affaire, et réciproquement.
Compte tenu des conditions d’élaboration des règles de droit
administratif,
cette présentation n’a jamais été pas sans faiblesses
René Chapus le souligne bien (Droit administratif général,
Montchrestien,
tome 1, n° 977), le côté approximatif
de la formule est acceptable car elle se
vérifie généralement dans la pratique.
Mais aujourd’hui elle ne
constitue plus véritablement un repère fiable
On vient de la voir le juge administratif applique aujourd’hui
directement et
intégralement à l’administration des règles venues du droit privé ainsi que du droit de
la concurrence et la
compétence du juge administratif dans ce cas de figure a été fermement rappelée
par le TC (TC 1989 Ville de Pamiers
et TC 1999 ADP)
· Dès lors comment expliquer la compétence du JA dans ce cas de figure
et de manière générale ?
Une explication probante est donnée par Jean-François Lachaume selon lequel désormais la compétence suit … la notion AJDA 2002 Chroniques p. 77
C'est parce que dans un litige donné se trouve en cause une notion clef du droit
administratif : agent
public, acte administratif
unilatéral, contrat administratif,
domaine public, ouvrage
public, faute de service, responsabilité d'une personne
publique, service
public administratif, etc., que le juge administratif est compétent,
Cette approche a trouvé une illustration récente dans un arrêt (CE,
19 déc. 2007, n° 268918, 269280,
269293, Sté Campenon-Bernard et a. : JurisData n° 2007-072854 ; Contrats - Marchés publ.
2008,
Titre
1 :Les cadres institutionnels de l’administration publique
·
On va s’intéresser aux structures
qui font ce qu’est l’administration publique aujourd’hui.
Celles-ci sont extrêmement diverses. Ce n’est pas un ensemble monolithique. Il
s’agit d’un ensemble complexe aux
diverses institutions :
§ L’Etat, avec ses services (ministères,
administrations centrales, services déconcentrés…)
§ Les collectivités
territoriales (communes, départements, régions, collectivités
d’outre mer, collectivités
territoriales à statuts spéciaux : Paris, Lyon, Marseille)
§ Une collection d’établissements
publics : les universités,
le centre hospitalier universitaire,
les centres communaux d’action sociale
§ Une série d’organismes
spécialisés : les AAI, les autorités publiques indépendantes (API),
les ordres professionnels, les chambres des métiers…
§ Des organismes de droit privé
(structurés sous des formes organisées par le droit privée : association,
société) qui sont en charge de missions de
service public que la loi leur a confié. Exemple :
la sécurité sociale.
·
Cette diversité pose un problème difficile à résoudre : à quoi reconnaît-on qu’un organisme
relève de l’administration publique et de ce fait intéresse le droit
administratif ? On peut utiliser
plusieurs critères : organique,
formel, matériel.
§ Le critère organique n’est ici d’aucune utilité : on range dans
l’administration publique des organes extrêmement divers.
§ Il faut donc rechercher un critère d’ordre matériel : relèvent de l’administration
publique toutes les organismes exerçant
une fonction de nature administrative. Comment définir celle-ci ?
Plusieurs manières sont envisageables.
o La doctrine dominante explique que l’administration publique est ce qui relève du pouvoir exécutif. Les organes de l’administration sont alors
ceux à qui la loi a confié une mission de mise en œuvre de la loi.
Cette explication est d’abord partielle, mais aussi
imprécise.
Ø Elle est partielle,
parce que la notion d’exécution des lois
est entendue au sens large. Elle recouvre toute une série d’intervention de
missions, de prestations. Quand l’administration prend des actes
réglementaires, elle participe à l’exécution des lois. Mais l’exécution des lois ne se limite pas à
cela.
ð Exemple : quand le préfet prend des mesures
destinées à garantir l’ordre public, il exécute aussi la loi ; de même
lorsqu’on est chargé d’une mission (transport).
-
C’est ainsi que le Conseil d’Etat dans
l’arrêt Labonne de 1919 a défini
l’exécution des lois. Autrement dit, cette définition de l’administration
publique est quasiment inservable, parce qu’elle
ne permet pas de déterminer ce qui relève de l’administration : il suffit que la loi accorde une nouvelle
compétence pour que la matière administrative gonfle. On ne peut définir à
l’avance ce qui relève des missions de l’administration. Elles varient dans le temps en fonction de la conception politique
de l’Etat (Providence, Gendarme, Régulateur).
-
Quant au juriste, il doit
faire un travail de qualification face à
une situation juridique. Il appliquera ensuite un régime juridique. Le juriste, pour qualifier a besoin de critères objectifs. Il s’agit donc
d’une approche qui ne nous aide pas.
Ø Cette définition de la fonction administrative a un
deuxième inconvénient : elle n’est pas
tout à fait exacte. La fonction
administrative peut déborder du pouvoir exécutif, et le pouvoir exécutif peut faire autre chose qu’exercer une fonction
administrative.
-
Concernant le premier élément, le
Conseil d’Etat a jugé en 1999 dans un arrêt président de l’Assemblée Nationale
que les autorités parlementaires
pouvaient exercer une fonction de nature administrative, notamment le
président de l’Assemblée nationale lorsqu’il prend des décisions concernant le
fonctionnement matériel du Parlement.
Dans cette affaire, l’Assemblée nationale voulait
s’équiper en matériel de vidéo protection. Pour ce faire, il lui fallait
recourir aux services d’entreprise. La question qui s’est posée était de savoir
si les services de l’Assemblée nationale pouvaient librement recourir au
service de n’importe quelle entreprise ou les mettre en concurrence comme
l’impose le droit des marchés publics. Et en cas de contentieux, le Conseil
d’Etat pouvait-il être saisi ? L’affaire revient devant le Conseil d’Etat,
qui doit se prononcer sur l’activité d’un organe législatif. Le Conseil d’Etat
aurait pu se déclarer incompétent. Mais le
Conseil d’Etat considère que les organes législatifs exercent plusieurs types
de fonction, dont leur fonction interne qui est de nature administrative,
donc le Conseil d’Etat pouvait en connaître.
-
Concernant le deuxième élément, c’est la théorie des actes de gouvernement. Elle veut qu’un certain nombre des actes de l’exécutif, donc du Premier ministre,
du président de la République échappe au contrôle du juge car il relève d’une
sanction de nature politique et pas de nature administrative.
C’est notamment les relations entre l’exécutif et le Parlement
(décision de dissoudre l’Assemblée) ou entre l’exécutif et ce qui touche aux
relations internationales (décision de signer un traité international).
Sur ce point, arrêt
prince Napoléon de 1875 qui requalifie les actes de gouvernement.
·
Les deux notions ne correspondent donc pas exactement (acte
administratif-exécutif). Il est donc
difficile de donner d’un point de vue matériel une définition du service public.
D’où la nécessité
de revenir à une approche de type organique ne serait-ce que pour appréhender le système administratif au
travers des structures qui le composent.
Ici, les instruments juridiques à notre disposition nous
obligent à faire référence à la notion de personne
morale de droit publique, car l’instrument, la forme que revêtent pour l’essentiel les organes administratifs
est celle de personne morale de droit public.
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