mercredi 5 octobre 2016

CE QUE LES JURISTES SAVENT DU DROIT ADMINISTRATIF

Les juristes savent que ça existe mais se disputent la manière de concevoir le droit administratif.

§1: Quelle est la place du droit administratif dans le système institutionnel français ?

·         Le droit administratif français est né à la Révolution française avec la loi des 16 et 24 août 1790, qui a posé ce que l’on appelle le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, et qui signifie que l’Etat, les autorités exécutives, n’ont pas à être soumis aux règles privées.

§  Cette information est sous la Révolution paradoxale, car sous celle-ci nous avons adopté un autre texte qui est la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui pose deux principes essentiels : la garantie des droits, et la séparation des pouvoirs. La loi du 16 et 24 août va à l’encontre de la déclaration des droits de l’homme car elle dispose que l’exécutif ne sera pas contrôlé par le judiciaire et que les administrés qui seraient en litige avec l’administration ne pourront pas aller devant un juge. C’est un droit fait pour servir les intérêts de l’Etat, c’est un droit politique. C’est si vrai que le juge judiciaire se voit interdire la possibilité de contrôler l’administration. On peut se demander s’il existe vraiment un droit administratif à l’époque. Ce sont plutôt des règles exorbitantes. C’est un droit qui met l’Etat en dehors du doit.

·         Comment est-on passé en moins d’un siècle d’un « vide » à l’arrêt Blanco et donc à l’affirmation d’un vrai droit administratif ? Comment donc l’administration a été soumise au droit ? Essentiellement par deux voies particulières :

-          par la constitution progressive d’un véritable ordre juridictionnel administratif. Il entretient des rapports particuliers avec la justice.

-          Et c’est ce juge administratif, qui est séparé du juge judiciaire, qui va à coup de grands arrêts, d’évolution jurisprudentielle, progressivement construire ce droit administratif.

Le droit administratif ne se lit jamais dans la loi, le « Code administratif » (il n’y en a pas) c’est la jurisprudence du Conseil d’Etat. L’effort de la jurisprudence administrative a été de faire du  droit administratif un droit moins autoritaire, un droit plus libéral qu’à l’époque de l’Empire ou de la Révolution, en essayant de trouver un équilibre entre ce qui est nécessaire à la satisfaction de l’intérêt général et ce qui est nécessaire à la protection des droits individuels. C’est la logique de tout le droit administratif.

            A. Le droit administratif dans ses rapports avec l’Etat

·         Le droit administratif est à l’origine un droit politique, qui est là pour servir les intérêts de l’Etat, et qui accompagne la construction de celui-ci en France.

§  Sa fonction première est de sortir le traitement juridique des questions administratif de l’emprise du droit civil et offrir au traitement des questions administratives un corps de règles, un système de valeurs qui soit adapté aux nécessités de l’action publique et donc de la conception qu’on se fait de la fonction publique en France.

o   Or, par tradition, depuis Clovis, on sacralise le rôle de l’Etat et de la volonté collective. Et le droit administratif va être la traduction juridique de cette sacralisation de l’Etat qui trouve son apogée dans la Révolution française avec ce que l’on appelle l’Etat jacobin. C’est par lui que va être assuré  le triomphe des idées révolutionnaires.

o   Puis dans un second temps, avec le développement des démocraties libérales, le droit administratif va s’affirmer comme une limite au pouvoir d’Etat, limiter l’arbitraire administratif pour assurer des droits aux administrés.


o   Le troisième temps est celui de la désacralisation totale de l’Etat (aujourd’hui), il n’a plus les moyens financiers d’être protecteur, aujourd’hui c’est un Etat régulateur. Le droit administratif d’aujourd’hui subit aussi cette évolution du recul de l’Etat. L’Etat est remis en cause par la globalisation, la construction européenne, le développement des économies de marché et même au plan local avec la décentralisation.

1/ Le droit administratif, droit de l’Etat jacobin

·         C’est de là sans doute que le droit administratif français tire l’essentiel de ses caractéristiques originales qui reposent sur l’idée de la supériorité juridique de l’Etat.
§  Comment est affirmée cette supériorité ? Par un mode d’organisation spécifique à la France : la centralisation administrative. Les questions publiques sont traitées directement au sommet de l’Etat et par le pouvoir politique, par l’exécutif. Cette centralisation administrative s’appuie sur trois éléments :

-          d’abord sur le légicentrisme. C’est l’idée que le droit est exprimé d’abord par la loi, c’est ce que nous dit l’article 6 de la DDHC : la loi est l’expression de la volonté générale.

-          l’administration tire sa légitimité politique du rôle qu’elle détient comme chargée de l’exécution de la loi. L’administration n’est que le bras du pouvoir politique. Il en résulte essentiellement deux choses.


o   D’abord, la confusion au niveau de l’organisation de l’Etat entre les hiérarchies politiques et administratives. Les hautes autorités politiques sont aussi les plus hautes autorités administratives. D’après l’article 20 de la constitution, le Premier ministre est le chef de l’administration, et il est dit à l’article 21 qu’il dispose du pouvoir réglementaire.

o   Deuxième conséquence : on a une conception interventionniste du rôle de l’Etat, il peut se saisir de toute question dès lors que cette question est d’intérêt général et c’est la loi qui le décide (exemple : scandale de l’affaire du sang contaminé, à l’époque des faits, la transfusion sanguine était essentiellement assurée par des associations privées qui recherchaient des profits. Pour régler le scandale, on a transformé ces centres en service public qui relève de la structure hospitalière).

-          Cette centralisation administrative repose sur un certain nombre de relais institutionnels :


o   L’institution des préfets qui représentent l’Etat dans les départements. Il est placé directement sous l’autorité du gouvernement et il est le pivot de la structure hiérarchique de l’administration française. Il dispose pour cela de l’administration déconcentrée.

o   l’existence d’une fonction publique d’Etat. En quoi est-elle particulière en France ? C’est une fonction publique de carrière, (garantie d’emploi, promotion…) ce qui induit une séparation étanche entre le monde de l’administration et le monde de l’entreprise. Ce sont deux mondes qui s’ignorent, ce qui permet à l’Etat de disposer d’un corps homogène d’agents (culture du service public, de l’Etat).

Cette fonction publique regroupe 6 millions de français en activité.


o   Le rôle du Conseil d’Etat. C’est une institution, on y place le meilleur de nos fonctionnaires (ENA). Ces gens là exercent plusieurs activités. Ils conseillent le gouvernement (ingénierie juridique), on les envoie régulièrement dans les grandes administrations (directeur d’administration centrale…) puis ils reviennent au Conseil d’Etat. Et en outre, ce Conseil d’Etat exerce la fonction juridictionnelle. Il va conduire dans un premier temps à développer en droit administratif des instruments qui vont servir l’action publique.
ð  Exemple : les prérogatives de puissance publique (privilèges que d’autres n’ont pas) comme :

o   Le pouvoir reconnu à l’administration d’imposer des obligations juridiques, de prescrire des interdictions sans avoir à obtenir le consentement des destinataires de la règle qu’elle pose : c’est ce que l’on appelle le pouvoir de décision unilatérale. C’est le sceau du droit public, ce qui le distingue de tous les autres droits. A l’inverse en droit civil, le principe de base de la création de la loi est l’échange de volonté.

o   De la même manière, l’administration bénéficie du privilège du préalable. Un administré doit exécuter les décisions que l’administration lui adresse, les décisions dont il est le destinataire. L’administré n’a pas besoin d’aller devant le juge pour constater quel est son droit et quelles sont les obligations qui incombent à l’autre partie.

o   Se greffe une troisième prérogative, c’est le privilège de l’exécution d’office. Dans certains cas, l’administration peut exécuter par la force les décisions qu’elle impose aux administrés.

Ø  Au 19ème siècle, et au début du 20ème siècle, un certain nombre de constructions jurisprudentielles sont exclusivement dictées par le souci de protéger les intérêts de l’Etat.

o   On peut prendre l’exemple de la théorie des actes de gouvernement, qui veut que certains actes pris par le pouvoir exécutif échappent au contrôle du juge administratif.

ð  C’est ce qui est dit dans l’arrêt du Conseil d’Etat « Prince Napoléon » du 19 février 1875 (Le prince Napoléon-Joseph Bonaparte avait été nommé général de division en 1853 par Napoléon III, dont il était le cousin. L’Annuaire militaire, qui reparut pour la première fois, après la chute de l’Empire, en 1873, ne mentionna pas son nom sur la liste des Généraux. Le ministre lui répondit que son nom n’avait pu être porté sur l’Annuaire, parce que sa nomination, irrégulière au regard des textes, « se rattache aux conditions particulières d’un régime politique aujourd’hui disparu et dont elle subit nécessairement la caducité ». C’est cette décision que le prince Napoléon déféra au Conseil d’Etat). Cet arrêt met fin à la théorie du mobile politique, c’est l’idée que chaque fois qu’un acte était pris par le chef de l’Etat dans un but politique, il ne pouvait pas être contrôlé. Mais certains actes échappent au contrôle du juge.

ð  Dans la même veine, l’arrêt « Winkel » de 1909 va interdire le droit de grève aux agents publics au nom de la continuité du service public. Il faudra attendre 1946 et l’inscription du droit de grève dans la Constitution pour que cela change.

o   On peut aussi citer le pouvoir reconnu à l’administration de résilier ou modifier unilatéralement les contrats auxquels elle est partie.

ð  arrêt 1910 « Compagnie générale française des tramways » (le préfet des Bouches du Rhône, fixant dans son département l’horaire du service des tramways, avait imposé à la Compagnie générale française des tramways d’augmenter, pour satisfaire aux besoins accrus de la population, le nombre des rames en service. Les droits de l’Etat vis-à-vis des concessionnaires étaient fixés part l’article 33 du règlement d’administration publique du 6 août 1881, en vertu duquel : « le préfet détermine…sur proposition du concessionnaire…le tableau de service des trains ». La thèse du ministre des travaux publics était que l’expression « tableau de service » désignait non seulement l’horaire des trains mais leur nombre. Le concessionnaire soutenait, au contraire, qu’en insérant dans le cahier des charges une clause (art. 14) indiquant le minimum des trains dus par le concessionnaire, l’Etat avait fait passer la détermination de leur nombre dans le domaine contractuel et ne pouvait modifier ce nombre que par avenant, « tableau de service » ne désignant, selon cette argumentation, que l’horaire des trains. Argumentation de la Compagnie : base dans l’arrêt du 23 janvier 1903, « Compagnie des chemins de fer économiques du Nord ». Commissaire du gouvernement Léon Blum : théorie générale des pouvoirs de la collectivité publique à l’égard du concessionnaire, fondée sur le fait que l’Etat ne peut pas se désintéresser du service public de transports une fois concédé).

o   Enfin dernier exemple de ces privilèges : c’est l’idée pour le juge qu’il ne lui appartient pas de suspendre un acte administratif sauf s’il est manifestement illégal et en cas de péril imminent.
ð  On le retrouve dans l’arrêt de 1938 : « Syndicat des constructeurs de moteurs d’avion ».

Le droit administratif ne serait donc que l’instrument d’un pouvoir d’Etat et de la dictature administrative.

            Avec l’avènement de la démocratie libérale, le droit administratif a dû changer.

2/ Le droit administratif de l’Etat républicain, limite au pouvoir d’Etat

·         A partir de la IIIème République, le droit administratif va se trouver une autre fonction, qui vient tempérer sa première fonction. C’est celle de la protection des intérêts individuels, de la lutte contre l’arbitraire administratif et les excès du centralisme administratif. Le juge va développer toute une série d’arrêts qui veut que l’intérêt général n’en est un que s’il ne sacrifie pas trop les intérêts des particuliers.

§  On va voir alors le juge administratif développer tout un réseau de garanties pour les administrés. Il va développer des techniques de contrôle pour cela.

o   Le premier mécanisme est le recours pour excès de pouvoir. Il permet à un administré de demander au juge d’annuler un jugement administratif parce qu’il n’est pas conforme à la loi. Dans le cadre de cette action, le juge administratif va développer des techniques de contrôle très sophistiquées car le contrôle des actes de l’administration pose un problème considérable. En effet, c’est la question du pouvoir discrétionnaire (marge de liberté qu’a l’administration quand elle est chargée de mettre en application une loi). Cette marge de liberté peut être fort étendue, tout dépend de la rédaction du texte. Plus le texte est vague, plus la marge de liberté est grande. Ce pouvoir ne peut être supprimé, mais comment le contrôle-t-on ? C’est le contrôle de l’excès de pouvoir.

o   Autre garantie développée par le Conseil d’Etat : la consécration d’un droit de la responsabilité administrative. Quand l’action de administration crée un dommage, elle doit le réparer.

Durant tout le 19ème siècle, le principe était celui de l’irresponsabilité de la puissance publique qui était résumé par l’adage : l’administration ne peut mal faire.

A partir de l’arrêt Blanco, on protège le droit des victimes, ce qui est différent du système civil.

v  Ce droit administratif repose essentiellement sur un droit fait de mécanismes de contrôle offert par le juge, donc des mécanismes a posteriori.

o   On peut également prévoir des garanties en amont (avant que l’administration décide), c’est ce que l’on appelle les droits tirés de la procédure administrative non contentieuse. Ils tiennent essentiellement dans une forme de contradictoire. Quand elle va prendre une décision contraire aux intérêts de l’individu, l’administration doit lui communiquer son dossier. Plus l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions.

Ø  Ces droits de procédure ont été consacrés très tard à partir des années 1970 dans le cadre de lois adoptées à ce moment là. Elles se rattachent à ce que l’on appelle la citoyenneté administrative.

v  Plus globalement, on peut dire que ce n’est pas qu’un droit de privilèges car certaines règles du droit administratif peuvent être qualifiées de privilèges à l’envers, c’est à dire des règles plus contraignantes pour l’administration.

o   On retrouve ceci dans le principe d’inaliénabilité du domaine public. Certes, l’administration est propriétaire de ses biens mais quand ces biens servent le service public, il lui est impossible de les vendre. L’abusus du droit de propriété lui est retiré.           
  
o   On le retrouve également quand l’administration recrute un agent, elle ne peut pas le recruter librement. Elle est obligée d’organiser un concours pour évaluer les mérites de chacun des candidats (pour servir le principe d’égale admissibilité aux emplois publics).


o   Dernier exemple : l’administration ne peut pas librement choisir ses cocontractants, notamment quand elle fait des achats, elle est obligée de suivre des procédures complexes prévues dans le code des marchés publics, c’est l’appel d’offre.

3/ Les mutations contemporaines du droit administratif, droit d’un Etat désacralisé

·         L’Etat en tant que puissance est aujourd’hui en déclin, il est contesté par la globalisation, par le libéralisme économique, par la décentralisation. Il a tendance à se désengager…le droit administratif subit par contre coups ces évolutions. Il est également contesté. Comment se manifeste ce recul ?

-          par la contestation de la supériorité de l’Etat. Les sociétés d’aujourd’hui sont trop complexes. Nous ne sommes plus dans une société hiérarchisée, le mécanisme de la décision unilatérale bloque. Il faut trouver d’autres techniques juridiques. Il va procéder plus par incitation, il va chercher à négocier, il néglige ainsi les procédés de contraintes ; c’est la contractualisation des politiques publiques (on passe de plus en plus de l’acte unilatéral au contrat). Du coup, l’inégalité du droit administratif s’atténue. On parle aujourd’hui de civilisation du droit administratif (il devient plus civilisé et fait davantage appel au droit civil).

-          on considère que le droit est moins à même d’organiser la société. On ne gouverne pas par la loi, on ne réforme plus par décret (et si on le fait cela se passe mal exemple : grèves actuelles). D’où on met en place aujourd’hui d’autres techniques. L’Etat n’est plus seul, il y a les autorités communautaires, locales, les agences non gouvernementales. Se mettent en place des  mécanismes de gouvernance. Dans ce cadre là, la législation n’est pas le meilleur moyen de faire changer les choses, on parle de dérégulation. On cherche à évaluer l’action publique, on met en place des lois expérimentales…
On considère que le droit administratif est un obstacle à la société, (c’est le marché qui fait tout et qui permet la régulation). Il permet en plus de garantir le statut de la fonction publique, l’opinion publique n’est pas d’accord.

·         Ainsi donc, le juge administratif a fortement évolué de deux manières :

-           il applique aujourd’hui des règles qui ne sont plus des règles nationales. C’est une révolution culturelle.

-          le juge administratif s’efforce de disposer de pouvoirs supplémentaires sur l’administration pour mieux régler et résoudre les problèmes attachés à la situation particulière des administrés. Il dispose de ce que l’on appelle un pouvoir d’injonction. Ce pouvoir, il l’utilise pour régler au mieux les situations personnelles des administrés. Il y a une sorte de subjectivisation du droit administratif.

B/ Le droit administratif dans ses rapports avec la justice

·         Le droit administratif entretient avec la justice un rapport  particulier, dans la mesure où en France, l’existence d’un droit administratif va de pair avec l’existence d’un ordre juridictionnel spécifique, c'est-à-dire séparé de l’ordre judiciaire qui a un certain nombre de liens évidents avec l’administration active et qui a vocation à traiter l’ensemble des questions administratives. C’est la grande spécificité du droit administratif à la française. C’est ce que l’on appelle les systèmes juridictionnels à Conseil d’Etat. Quelques pays (qui ont fait l’objet d’une conquête napoléonienne fin 18e début 19e s) ont copié le modèle français.

§  Pour expliquer ce rapport, il faut remonter à l’Ancien Régime, avec l’adage : juger l’administration c’est encore administrer.
Cela signifie que les questions qui sont à juger quand on s’intéresse à l’activité administrative sont d’une essence différente de celles traitées devant le juge judiciaire, car elles relèvent de la manière dont on administre le pays.

Cette idée est à la base de la loi des 16 et 24 Aout 1790, qui a posé le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Ce principe interdit au juge judiciaire de connaître des activités des administrations publiques.

§  La question qui nous intéresse est de savoir comment d’un principe d’interdiction on est passé à la consécration d’un véritable ordre juridictionnel administratif. Cette évolution s’est déroulée en deux temps, et il existe un double paradoxe

-          la juridiction administrative va naître de l’administration elle-même

-          c’est cette juridiction administrative (le Conseil d’Etat statuant au contentieux) qui va élaborer de manière prétorienne ce qui va devenir le droit administratif. Le paradoxe réside dans le fait que l’on a tendance à considérer que la règle préexiste au juge. A mesure que le Conseil d’Etat s’affirmait comme juridiction administrative, il a construit le droit administratif.

1)      Le juge administratif : un juge spécial né de l’administration

·         Un principe d’interdiction est posé par la loi des 16 et 24 Août (article 16) : celui de la séparation des autorités administratives et judiciaires. Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront à peine de forfaiture (lorsqu’un agent public dépasse ses attributions) troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leur fonction.

§  Le problème est qu’à la période révolutionnaire, on va tirer de ce texte des implications qui ne découlent pas directement du sens premier, du sens littéral, de l’exégèse des dispositions qui sont inscrites par le législateur.

o   En effet, si on suit à la lettre ce qu’a adopté le législateur, on ne peut pas en déduire un principe interdisant au juge judiciaire de contrôler l’administration. Et on ne peut d’autant pas le faire que ce texte est censé organiser la séparation des pouvoirs. Or, la conception de Montesquieu est que la distinction des pouvoirs permet de les diviser et qu’ils se contrôlent mutuellement : Le pouvoir arrête le pouvoir. D’où cela voudrait dire qu’un ordre devra contrôler l’autre.

o   Curieusement, on va surinterpréter ce texte, car la clé de lecture du texte n’est pas la séparation des pouvoirs, mais l’adage selon lequel Juger l’administration c’est encore administrer. Il ne s’agit donc pas vraiment d’une révolution, mais d’une tradition.

ü  Si l’on prend ce que dit le texte, on ne peut pas en déduire que le juge judiciaire ne peut juger l’administration. Il ne doit pas troubler : il ne doit pas chercher à empêcher l’exécution d’une décision administrative, il ne doit pas adresser des injonctions à l’administration, mais pas qu’il n’a pas à juger. Il y a en effet deux choses dans la fonction de juger, il s’agit :

-          de dire le droit (juri « diction »)

-          de l’imperium : pouvoir de faire exécuter ses décisions.

L’idée de la loi fait plutôt référence à la deuxième fonction du juge.

ü  La deuxième interdiction : interdit de citer les administrateurs en raison de leur fonction. Ici, on fait allusion au juge pénal. Il lui est interdit de poursuivre personnellement un administrateur pour des éléments qui relèvent de ses fonctions administratives.

v  En vérité, c’est donc un texte assez réduit au départ, qui pourrait presque être conforme à la séparation des pouvoirs. Mais ce texte va en vérité servir de prétexte au développement d’une conception beaucoup plus tranchée de la séparation des pouvoirs, et qui est le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, qui sera conquis sous la Révolution comme étant un principe d’interdiction absolue.

§  Question : comment de cette interdiction absolue on va passer à une administration contrôlée ?

o   Cela va se faire au prix d’une progression historique. Sous la Révolution, les juges judiciaires ne peuvent pas se saisir des réclamations adressées par les administrés. Et s’ils sont tentés de le faire, le pouvoir législatif leur rappelle que ça leur est interdit. En l’an III (fin 1794 début 1795), on est sous le Directoire, les institutions ne sont pas stabilisées. D’après un décret du 16 Fructidor, le pouvoir législatif reprend un texte : Défense itérative (répétée) est faite au juge judiciaire de connaitre des fonctions de l’administration.

o   Les administrés peuvent toutefois adresser leur plainte à l’autorité qui a pris l’acte, à l’administration elle-même, en faisant un recours gracieux ou un recours hiérarchique (devant le supérieur hiérarchique de l’autorité qui a pris l’acte). Ce système va se développer sous la Révolution et le début de l’Empire : c’est le système dit de l’administrateur juge. Mais il y a une ambigüité : même s’il est administrateur, il juge.

o   Ce système va alors se développer, se perfectionner, notamment lorsque les affaires remontent au ministre, qui va motiver les décisions, faire une enquête. On passe alors au système du ministre juge, avec l’idée que le ministre peut être juge. C’est un peu étrange : le ministre est à la fois juge et partie, les administrateurs ne faisant qu’exécuter les circulaires des ministres.

o   C’est un système partial, mais qui va se développer un peu plus : les administrés, lorsqu’ils ne sont pas satisfaits des décisions du ministre, écrivent au chef de l’Etat (l’Empereur). Ce dernier, occupé à guerroyer ou autre, fait traiter par ses services, et notamment par une institution que la Constitution de l’an VIII (celle du Consulat) a rétabli dans toute sa puissance : le Conseil d’Etat, qui est chargé d’instruire les dossiers juridiques pour l’Empereur. Le Conseil d’Etat est chargé de régler les difficultés en matière administrative


o   Progressivement, le Conseil d’Etat va spécialement s’organiser pour traiter ces affaires, le faisant dès 1806, en instituant la commission du contentieux, qui va vite comprendre que pour statuer, il faut respecter un minimum de formalisme, de procédure. Elle va donc s’inspirer des règles applicables devant le juge judiciaire et le Code de la procédure civile.

o   En 1830, sous la Restauration, un certain nombre de textes organisent cette procédure : elle sera contradictoire (droit pour le plaignant de s’expliquer devant le juge), la possibilité de se faire assister d’un avocat, et l’audience publique.

o   De ce système, qui continue à exister (le ministre restant toujours un préalable), le juge administratif va commencer à créer le droit administratif. Ce système va perdurer jusqu’en 1871, il est appelé le système de la justice retenue. Ce n’est pas encore tout à fait de la justice, car la justice est retenue par le chef de l’Etat. En effet, la commission du contentieux ne rend qu’un avis, qui doit être confirmé par le chef de l’Etat qui signe l’arrêt de justice.


o   Au fil du temps, la justice retenue fait que les affaires deviennent de plus en plus complexes, et le chef de l’Etat signe mécaniquement. Sous le Second Empire, un seul avis du Conseil d’Etat n’a pas été signé par le chef de l’Etat, et il intéressait un contentieux autour des biens de la famille des Orléans, il s’agissait donc de raisons personnelles…

o   Ce système va finalement disparaître sous la IIIe République. Dès ses débuts, avec la loi du 24 mai 1872 qui institue le système de la justice déléguée. Depuis cette date, le Conseil d’Etat rend des arrêts qu’il prononce au nom du peuple souverain, et non du chef de l’Etat. D’où la formule au nom du peuple français au début des arrêts du Conseil d’Etat. Celui-ci devient donc une véritable juridiction, avec une spécificité toutefois : il n’a pas abandonné sa fonction de conseil auprès du gouvernement, il continue à être l’expert juridique du pouvoir. C’est ce que l’on appelle le dédoublement fonctionnel du Conseil d’Etat. Cette juridiction est née de l’administration, et elle conserve avec elle un certain nombre de liens.

2)      Le droit administratif, un droit forgé par le juge administratif

·         Le droit administratif, dans ce qu’il a de plus fondamental, n’a pas été élaboré par le législateur. Aucune loi générale de droit administratif n’a posé les concepts, fonctions, techniques. Pas d’équivalent du Code civil.

§  Pourquoi ?

Ø  Non pas parce que le droit administratif n’est pas une matière que l’on pourrait conceptualiser et dégager des qualifications juridiques. Longtemps, cela s’est dit, on refusait d’organiser des cours de droit administratif, on la considérait comme une matière dénuée d’intelligence. Le premier manuel de droit administratif (milieu XIXe siècle) donne aussi cette impression.
Ø  Le droit administratif ne peut aussi aller qu’avec un système démocratique, on n’en a pas besoin avec un système autoritaire. Il n’y a pas non plus d’héritage du droit romain.

Ø  De plus, le pouvoir n’avait aucune envie de limiter ce pouvoir de l’administration.

Ø  Le droit administratif tel qu’on le connait est donc celui de la jurisprudence, celle du Conseil d’Etat. Cette élaboration va prendre plus d’un siècle. Ce droit étant un système très sophistiqué.


Ø  Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de lois, mais elles ont toujours été ponctuelles, spéciales.
ð  Exemple : la loi du 28 Pluviose an VIII, qui traite essentiellement de la question des travaux publics. Il y a même aujourd’hui de plus en plus de lois.

Mais ces lois n’ont pas affecté la substance même du droit administratif. Cela reste toujours en principe des règles d’exception. Le principe est généralement jurisprudentiel, il est création prétorienne. Cela est peut être un peu moins vrai aujourd’hui (influence d’autres systèmes juridiques et inflation juridique).

§  La question qui se pose est celle de la légitimité de cette production normative.

o   Article 5 du Code civil : interdit les arrêts de règlement. En droit administratif, les arrêts de principe du Conseil d’Etat correspondent bien dans les faits à un arrêt de règlement, par une autorité du précédent. Le droit administratif se rapproche du droit anglo-saxon. Les Cours administratives d’appel et le Tribunal administratif suivent les arrêts du Conseil d’Etat avec beaucoup d’application.
Le juge gouverne, légifère en droit administratif. Le droit administratif n’est il qu’un droit de technocrates, construits dans le dos du peuple et de ses représentants ? Quelle est sa légitimité ?

o   Toutefois, il existe l’article 4, qui consiste en l’interdiction du déni de justice, qui oblige le juge à statuer, même dans le silence de la loi. Il est donc obligé de poser une règle, ne serait-ce que dans la prétention du plaignant.
Cet article, qui appartient à notre constitution juridique, vient donc légitimer l’œuvre normative du Conseil d’Etat.

o   De plus, cette construction du droit administratif s’est faite au grand jour, les arrêts du conseil d’Etat sont lus, et publiés dans le recueil Lebon ; et le législateur n’est revenu que de manière très exceptionnelle sur les décisions du juge, et « qui ne dit mot consent », le législateur n’a pas utilisé son droit de rescrit. Les textes spéciaux que prend le législateur s’appuient souvent sur le référentiel développé et élaboré par le Conseil d’Etat.
C’est donc un droit jurisprudentiel.

*      Le droit administratif tire des caractères de cette origine prétorienne. Ceux-ci font sa force, mais aussi sa faiblesse.

a)      La jurisprudence a fait la force du droit administratif

·         On peut penser que le droit administratif ne serait pas ce monument juridique s’il n’avait pas été élaboré par le juge, le Conseil d’Etat.

§  En effet, le droit administratif a profité de la puissance institutionnelle du Conseil d’Etat. Il s’agit d’une auto limitation du pouvoir. Et ce dernier l’a acceptée car il était développé par le Conseil d’Etat, expert juridique du pouvoir, référence absolue dans l’administration française.

§  Le fait que ce soit le juge qui l’élabore donne l’aspect d’un droit complexe mais élaboré, subtile, sophistiqué, cohérent. On voit bien lorsqu’on observe le droit civil, commercial ou pénal que ces droits subissent les sursauts de la vie politique, des groupes de pression, avec une instabilité des lois.

§  Dans le même temps, la jurisprudence a permis au Conseil d’Etat d’insister sur l’image libérale du droit administratif : très tôt, dès la Troisième République, le Conseil d’Etat n’a pas hésité à s’appuyer sur les grands principes de 1789 pour les imposer à l’administration. Et il l’a fait à une époque où la DDHC n’avait pas de force juridique (elle ne l’a que depuis la décision du 16 juillet 1971 « liberté d’association », Cc).


o   Le Conseil d’Etat va s’appuyer sur ce texte au travers de la technique des principes généraux du droit. C’est l’idée pour le Conseil d’Etat de dégager une norme non écrite qui va s’appliquer à l’administration, même s’il existe des textes réglementaires qui y sont contraires.

Deux arrêts considérables :

-          un arrêt de 1944 Conseil d’Etat « Dame veuve Trompier-Gravier »  (la dame bénéficiait de l’autorisation de vendre des journaux dans un kiosque s’était vue retirer celle-ci, pour avoir voulu extorquer des fonds à son gérant. Cette faute était donc alléguée à l’encontre de l’intéressée ; décision attaquée prise dans des conditions irrégulières, entachée d’excès de pouvoiràannulée), qui au titre de la technique du PGD consacre le principe des droits de la défense : c’est l’obligation pour l’administration avant de prendre une sanction à l’égard d’un administré de lui exposer les raisons qui l’amène à envisager une sanction et lui laisser un délai utile pour présenter des observations en défense. C’est la traduction en droit français de la règle de l’habeas corpus consacrée par la grande charte anglaise du moyen-âge.

-          un arrêt de1948 : l’arrêt de demoiselle Pasteau sur la liberté de conscience, dans une affaire où un inspecteur d’académie reprochait à un instituteur d’avoir des croyances.

b)      Les inconvénients

·         Il y a deux inconvénients majeurs :

§  d’abord, le procès récurrent fait au juge d’être un juge qui gouverne. Cela affaiblit la position du Conseil d’Etat, d’autant que l’on conteste le droit administratif en disant que c’est un droit de technocrates fait par des technocrates, diffusant les valeurs de l’administration et de l’Etat dans la société. Or, celle-ci n’a pas très bonne presse depuis une trentaine d’années.

§  deux inconvénients techniques :

o   un droit jurisprudentiel est un droit difficilement accessible pour le citoyen. Le droit administratif ne se lit nulle part. Il faut toujours remettre la solution du juge dans l’espèce, et ce n’est que par extrapolation qu’on l’appliquera ailleurs. Le droit administratif est un droit d’initiés.

o   Le propre d’un droit jurisprudentiel c’est de dégager des décisions nouvelles à l’occasion d’une affaire. Par définition, une solution jurisprudentielle a un caractère rétroactif, ce qui est prohibé par l’article 2 du Code civil, et c’est ennuyeux pour la sécurité juridique.


Ø  Le Conseil d’Etat cherche aujourd’hui à corriger cette situation en pratiquant ce que l’on appelle la modulation des effets d’une jurisprudence. Il le fait depuis un arrêt du 16 juillet 2007 « Société Tropic Travaux Signalisation ». La solution adoptée par le juge est de dire que la solution qu’il dégage à l’occasion de cette affaire ne s’appliquera pas immédiatement mais à compter d’une date qu’il fixe lui-même. Cela veut dire que le juge se reconnait le pouvoir de reporter les effets d’une règle de droit. C’est donc bien pour le juge reconnaitre expressément qu’il crée du droit. C’est en finir avec l’artifice que l’on doit à Montesquieu que le juge ne serait que la bouche de la loi.







§2 : La place du droit administratif au sein de l’ordre juridique

·         A priori, c’est simple : le droit administratif relève de la distinction entre le droit privé et le droit public, et dans ce cadre on peut considérer que le droit administratif est une branche du droit public.
Ø  Le problème est que cette distinction est commode, mais plus idéologique qu’autre chose.

ð  Exemple : le droit pénal est du droit public, mais il est du droit privé en France.

§  Dans ce cadre, on présente généralement le droit administratif comme opposé au droit civil, en expliquant que le droit civil est une sorte de droit commun, et le droit administratif serait un droit dérogatoire, spécial.

o   Les choses sont plus compliquées que cela. On ne peut pas dire que le droit administratif serait un droit d’exception, car il y a des questions sur lesquelles le droit civil ne peut apporter de réponse. L’action administrative pose un certain nombre de questions que le droit civil est inapte à résoudre.

o   C’est un débat qui a travaillé la doctrine. A partir de la fin du XIXe, le Conseil d’Etat a développé une jurisprudence, et il y a eu un débat doctrinal pour savoir quelles étaient les relations entre ce droit et le droit civil. Il s’agit du débat sur l’autonomie du droit administratif. Toute branche du droit qui se singularise réfléchit sur les fondements de sa spécificité, ce qui a constitué un effort de la doctrine.

A.    Droit administratif et droit civil : l’autonomie du droit administratif en question

Il y a deux manières de présenter la question.

·         La première consiste à se placer du point de vue du droit privé. Le droit administratif est vu comme un ensemble de règles exorbitantes du droit commun, une sorte de droit dérogatoire.
Ø  C’est une fausse manière de présenter le problème : il le serait s’il existait un droit commun, or, le droit civil est inapte à répondre à toutes les questions.

·         La seconde consiste à se placer du point de vue des publicistes. Ici, tout l’effort de la doctrine va être de marteler l’idée d’une autonomie. Il y aura deux courants dans la doctrine de droit administratif : les idéalistes et les pragmatiques.

§  Les idéalistes disent que les questions posées par l’administration sont totalement spécifiques, n’ayant rien à voir avec les relations que les individus entretiennent entre eux. C’est un droit nouveau, on doit extraire de ce droit toute trace de droit civil.

o   Cette école de pensée a notamment été alimentée par un courant appelé Ecole de Bordeaux ou Ecole du service public. Elle a été fondée par le doyen Léon Duguit, qui est un des premiers à conceptualiser le droit public.
o   Gaston Jèze explique quant à lui que le seul mot d’ordre du droit administratif est le service public, et qu’il faut que le droit administratif se construise en totale ignorance du droit privé.

§  Les pragmatiques sont quant à eux surtout au sein du Conseil d’Etat. L’idée est que le juge administratif ne s’écarte du droit civil que lorsque c’est nécessaire. Non pas parce qu’il s’agit du droit commun, mais parce que c’est un modèle de pensée déjà perfectionné, bénéficiant de la tradition de l’héritage du droit romain et de l’ancien droit. Cela signifie que le droit applicable à l’administration peut être parfois fait d’emprunts au droit civil.

ð  Exemple : en matière de responsabilité, le droit administratif a des règles spécifiques (arrêt Blanco, 1973). Mais pour autant, quand le Conseil d’Etat a eu à répondre à ces contentieux en responsabilité, il n’a pas tout inventé : préjudice, lien de causalité ou encore faute sont des techniques qui sont utilisées par le juge administratif.

v  Pour autant, on ne peut pas discuter le fait que le droit administratif soit un droit autonome. Il repose sur des concepts que l’on ne retrouve pas en droit privé.

1)      Le constat de l’autonomie du droit administratif

·         Il sera fait tout au long de l’année : le droit des contrats obéit à des règles particulières, parfois inconcevables en droit civil
ð  exemple : la modification unilatérale des clauses du contratàrapport d’inégalité.

§  Ce rapport d’inégalité tient au fait que l’Etat est un acteur du commerce juridique, mais c’est plus que cela : l’administration est une institution du pouvoir d’Etat. Ce qui place la question du rapport au droit de manière tout à fait différente. En effet, cela tient à l’aspect obligatoire de la règle de droit. L’administration n’est quant à elle pas soumise par une puissance qui lui est extérieure. Le droit administratif s’impose la règle à lui-même.

§  Les allemands parlent à ce propos de l’autolimitation de l’Etat. C’est une image : l’Etat n’a pas de volonté propre, mais cela fait référence à la souveraineté du peuple. Cela explique qu’il y a dans un certain nombre d’hypothèses des lacunes dans la soumission de l’Etat au droit.


Ø  On peut prendre des exemples, qui s’atténuent sous l’effet du droit extérieur.

ð  La question des injonctions adressées à l’administration (injonction = commandement adressé par un juge lui ordonnant sous peine de sanctions, d’astreintes pour exécuter l’exécution des décisions qu’il a prises ; cela relève de l’imperium du pouvoir du juge, le glaive) : pendant très longtemps, le juge administratif pensait qu’il ne pouvait pas adresser des injonctions à l’administration. Il ne l’a admis que depuis une loi de 1995, et dans des hypothèses particulières. Son pouvoir d’injonction est plus réduit que celui du juge judiciaire.

ð  La théorie des mesures d’ordre intérieur. Ce sont des mesures qui sont prises par l’administration à l’égard d’un certain type de population, qui sont placées sous l’autorité hiérarchique de l’administration. Exemples : collégiens et lycéens, placés dans une institution scolaire, placés sous l’autorité du chef d’établissement ; les militaires ; les détenus.

Pendant longtemps, au nom de cette théorie, le juge expliquait que ce qui se passait dans ces établissements ne le regardait pas, du fait du besoin disciplinaire. Il s’agissait de zones de non droit.
On est ensuite revenus sur cette approche notamment sous l’influence du droit européen, avec les arrêts Hardouin et Marie du 17 février 1995 (par les arrêts Hardouin et Marie , l’Assemblée du contentieux a opéré un revirement de jurisprudence qui réduit considérablement l’étendue de la catégorie des mesures d’ordre intérieur. En effet, en vertu d’une jurisprudence ancienne et réaffirmée encore peu de temps auparavant (27 janvier 1984, C…, n°31985, p. 29), le Conseil d’État considérait que les sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre des détenus et des militaires constituaient des mesures d’ordre intérieur qui ne pouvaient être discutées devant le juge administratif. Cette jurisprudence se fondait à la fois sur le souci du juge de ne pas fragiliser l’autorité nécessaire au respect de la discipline dans les institutions en cause et sur le caractère souvent bénin des sanctions infligées. Elle était toutefois contestée car elle écartait toute possibilité de recours, même dans le cas de sanctions particulièrement lourdes.
Dans l’affaire Hardouin , le Conseil d’État a admis la recevabilité de la requête d’un marin dirigée contre la sanction de dix jours d’arrêts qui lui avait été infligée au motif que, rejoignant l’unité navale sur laquelle il servait, il avait manifesté des signes d’ébriété et avait refusé de se soumettre à l’alcootest. Il a cependant rejeté la requête au fond, estimant que les faits reprochés à l’intéressé étaient de nature à justifier une sanction.
M. Marie contestait pour sa part le bien-fondé d’une sanction de huit jours de cellule de punition avec sursis qui lui avait été infligée par le directeur de la maison d’arrêt pour avoir formé une réclamation jugée injustifiée à l’encontre du fonctionnement du service médical de l’établissement. Dans cette affaire, le Conseil d’État a considéré que la réclamation formée par le détenu, qui ne parvenait pas à se faire donner les soins nécessaires, ne comportait ni outrage, ni menace, ni imputation calomnieuse et ne correspondait pas à un cas de multiplication de réclamations injustifiées, hypothèses dans lesquelles, en vertu de l’article D. 262 du code de procédure pénale, les détenus encourent une sanction disciplinaire. Il en a déduit que les faits reprochés à M. Marie n’étaient pas de nature à justifier une sanction et a annulé la décision attaquée.
Par ces deux décisions, le Conseil d’État n’a toutefois pas entendu abandonner entièrement la notion de mesure d’ordre intérieur. Celle-ci continue de s’appliquer à certaines mesures qui ne présentent pas de caractère disciplinaire et demeure pertinente, en matière disciplinaire, pour les sanctions les moins graves. L’Assemblée du contentieux n’a en effet admis de connaître des sanctions prises à l’encontre des détenus que si elles emportaient, “eu égard à [leur] nature et à [leur] gravité”, des effets sensibles sur la situation des intéressés.)

ð  La question du pouvoir discrétionnaire de l’administration : c’est la marge de liberté qu’ont les autorités administratives quand elles ont affaire à un texte général à un cas particulier. Cette marge de liberté est plus ou moins grande selon que le texte est plus ou moins vague (le juge est parfois lié, il a parfois un pouvoir d’appréciation). Le juge a longtemps refusé de contrôler ce pouvoir d’appréciation, ou dans le cas d’une erreur manifeste.

v  Cette liste est non exhaustive. L’administration est la puissance publique, elle a aussi des missions particulières : les missions d’intérêt général ; d’où la liberté qui lui est laissée.

·         La question est de savoir ce qui justifie cette spécialité du droit administratif.

Deux explications se sont affrontées :

§  D’un côté, l’école de Bordeaux avec Léon Duguit : le droit administratif est spécial car il s’applique à des activités particulières, les activités de service public. Il s’agit d’activités prises en charge par la collectivité pour satisfaire les besoins collectifs, et donc l’intérêt général.

§  De l’autre, Maurice Hauriou, de l’école de Toulouse s’insurge contre l’émergence de ce droit spécial. Cela sert à justifier l’action de l’administration, pour dire que l’administration est au service des citoyens, mais dire que le droit administratif repose sur le service public est de la folie : le rôle de l’Etat peut s’étendre à l’infini, et le droit administratif aussi.

Pour lui, il énonce la théorie de la puissance publique : il n’y a de droit administratif, de compétence de la juridiction administrative en cas de litige que dans la mesure où celle-ci met en œuvre des prérogatives de puissance publique, exorbitantes du droit commun (décision, acte). Et en dehors de cela, on ne peut pas parler de droit administratif. C’est une vision plus ramassée.

Ø  Pour Duguit, on ne peut expliquer un droit démocratique en faisant référence à une notion de type autoritaire : la puissance publique.

v  La discussion est sans fin, car ils ne parlent pas de la même chose :

-          L’un essaie d’expliquer quelle est la finalité du droit administratif (Duguit)

-          L’autre (Hauriou) s’intéresse aux moyens, aux instruments

·         Ce débat n’a pas eu de prise sur la jurisprudence.

Ø  En 1910, le Conseil d’Etat rend l’arrêt Therrond dans lequel il dit qu’il s’agissait d’un contrat administratif parce qu’il avait pour visée le service public. C’est le triomphe de la thèse de Duguit. 

Ø  En janvier 1912 est rendu l’arrêt Société des granites porphyroïdes des Vosges, où le Conseil d’Etat nous dit qu’il faut regarder les clauses du contrat et si cette clause donne des privilèges à l’administration alors il s’agit d’un contrat administratif. C’est là le triomphe des idées de Maurice Hauriou.

Ø  Puis plus tard est rendu l’arrêt  Pubertin, en 1960, qui fera la synthèse des deux. 

La jurisprudence n’a donc pas tranché. La querelle doctrinale s’est donc un peu éteinte : les deux conceptions se complètent, sont indissociables.

·         Pour autant, les auteurs n’ont pas cessé de s’interroger sur cette question existentielle pour le droit administratif. La controverse a repris dans les années 1950, à partir des évolutions jurisprudentielles.

§  Le premier à aller dans ce sens est Georges Vedel avec la théorie des bases constitutionnelles du droit administratif. L’idée est de dire que le fondement du droit administratif se trouve dans le concept de pouvoir exécutif qui se trouve dans toutes les constitutions. Pour Vedel, ce qui explique en dernière analyse la décision du juge est que l’administration est le pouvoir exécutif, et ce droit existe pour tenir compte de cette spécificité.
Pour cela, il s’appuie sur trois arrêts importants : Heyriès, 1918, Labonne 1919, Dehaene, 1950. Dans ces trois affaires, le Conseil d’Etat va reconnaitre à l’administration des pouvoirs de décision qui ne sont pas prévus ni dans la loi ni dans la constitution.
ð  L’arrêt Heyriès, du 28 juin 1918 (par l’arrêt Heyriès , le Conseil d’État admet qu’en période de crise, voire, comme dans le cas de l’espèce, en période de guerre, la puissance publique dispose de pouvoirs exceptionnellement étendus afin d’assurer la continuité des services publics. C’est de cette théorie des circonstances exceptionnelles que s’inspirera l’article 16 de la Constitution de 1958.
Par un décret du 10 septembre 1914, le Gouvernement avait suspendu l’application aux fonctionnaires civils de l’État de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 qui exige la communication à l’agent de son dossier avant toute mesure disciplinaire prise à son encontre, afin de pouvoir procéder sans délai aux déplacements et aux nominations qui s’imposaient selon lui. M. Heyriès, qui avait été révoqué sans que son dossier ne lui ait été préalablement communiqué, attaqua cette mesure en excipant de l’illégalité du décret du 10 septembre 1914. En temps normal, le Conseil d’État aurait donné raison au requérant dès lors qu’il est constant qu’un décret, acte du pouvoir réglementaire, ne peut suspendre l’application de dispositions législatives. Mais le Conseil d’État, en l’espèce, lui donna tort. Il jugea en effet que, en vertu de la Constitution, en l’espèce l’article 3 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, il incombe aux pouvoirs publics “de veiller à ce que, à toute époque, les services publics institués par les lois et règlements soient en état de fonctionner, et à ce que les difficultés résultant de la guerre n’en paralysent pas la marche”.) consacre la théorie des circonstances exceptionnelles. En temps de guerre, il avait suspendu une loi qui portait sur les militaires.
ð  Dans l’affaire Labonne du 8 août 1919 (par l’arrêt Labonne , le Conseil d’État a jugé que l’autorité titulaire du pouvoir réglementaire général disposait, en l’absence de toute habilitation législative, d’une compétence pour édicter des mesures de police à caractère général et s’appliquant sur l’ensemble du territoire. Le Président de la République, titulaire, sous la IIIe République, du pouvoir réglementaire général, avait pris, le 10 mars 1899, un décret réglementant la circulation automobile en la soumettant notamment à la possession d’un “certificat de capacité pour la conduite des voitures automobiles”, sans y avoir été expressément habilité par une loi. Sur la base de ce décret, des arrêtés préfectoraux étaient intervenus dans chaque département, sur le fondement desquels des mesures individuelles furent prises. C’est en vertu de cette réglementation que le “certificat de capacité” de M. Labonne lui fut retiré. Il attaqua cette mesure en excipant de l’illégalité des textes en cause au motif que leurs auteurs auraient été incompétents, faute d’une habilitation législative initiale. Le Conseil d’État rejeta sa requête en jugeant “qu’il appartient au chef de l’État en dehors de toute habilitation législative et en vertu de ses pouvoirs propres, de déterminer celles des mesures de police qui doivent, en tout état de cause, être appliquées dans l’ensemble du territoire”) on reconnait au président de la République un pouvoir de police générale sur l’ensemble du territoire quand un problème se pose. Un usager de la route s’est fait retiré le permis de conduire, mais il a contesté en disant que cela lui a été donné par une institution incompétente : le président de la République.

ð  Dans l’arrêt Dehaene du 7 juillet1950 (par la décision Dehaene, le Conseil d’État juge qu’en l’absence de loi applicable, il appartient aux chefs de service de réglementer le droit de grève des fonctionnaires. Pendant une longue période, les fonctionnaires n’eurent pas le droit de faire grève. Ce n’est pas que la loi l’interdisait expressément, mais cela semblait incompatible avec les nécessités du service public et la sauvegarde de l’ordre public et de l’autorité de l’État (cf. CE, 7 août 1909, Winkell, n°373317, p. 826). Le Préambule de la Constitution de 1946 avait toutefois modifié les données juridiques de cette question lorsque le Conseil d’État fut amené à se prononcer sur le blâme infligé au sieur Dehaene, chef de bureau dans une préfecture, en raison de sa participation à une grève à laquelle le ministre de l’intérieur avait interdit aux agents d’autorité de participer. Ce Préambule prévoit en effet que “le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent”. Mais, s’agissant des fonctionnaires, deux lois seulement étaient intervenues, toutes deux relatives à certains personnels chargés de la sécurité intérieure) : Constitution de 1946 : consacre le droit de grève, un agent prétend qu’on ne peut lui limiter son droit de grève, conformément au texte, mais le Conseil d’Etat s’appuiera sur le principe de continuité du service public.

Ø  Dans les trois arrêts, le Conseil d’Etat nous dit que l’administration a agit en l’absence de fondement légal, mais le Conseil d’Etat n’annule pas, car le chef de l’Etat règle des questions compliquées, qui mettent en péril la nation. Le Conseil d’Etat dit alors que l’administration peut intervenir car ce qui menace l’ordre public doit pouvoir mener à des pouvoirs de régler ces affaires en dehors même de ce que prévoit la loi. L’exécutif dispose de pouvoirs implicites.

·         Georges Vedel nous dit que le fondement du droit administratif est donc l’exécutif, et on peut reconstruire tout le droit administratif autour de ce fondement. Lorsqu’il dit ça, Vedel est plutôt du côté des thèses d’Hauriou.

§  Le deuxième auteur est R. Chapus. Il veut savoir quels sont les fondements du droit administratif. Il part de la jurisprudence du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation. Il arrive à la conclusion selon laquelle il faut dissocier la question du droit applicable de celle de la compétence du juge. Il explique que l’on a mélangé les deux questions jusque là.

o   Il énonce la théorie du service public industriel et commercial, qui sont des missions de service public qui sont à gestion privée, et pour qui le Tribunal des Conflits a jugé le 22 janvier 1921 que cela relève de la compétence du juge judiciaire.

o   Il s’appuie aussi sur un autre arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 1956, l’arrêt Giry. Est en cause une activité de police judiciaire, qui est l’activité de police menée avant un procès pénal. Un passant prend une balle perdue dans la poitrine, fait un procès. Il s’agit normalement d’un contentieux judiciaire, mais la Cour de cassation a jugé que l’on ne pouvait pas faire application des règles du droit civil, mais des principes dégagés par la jurisprudence administrative. Cependant, elle maintient la compétence pour juger l’affaire dans l’ordre judiciaire.

Ø  De ces affaires, Chapus fait la distinction : il dit que le droit administratif est le droit des services publics. Par contre, le droit de la puissance publique est le critère de la compétence de la juridiction administrative.

ð  Le problème est l’affaire Giry : la police judiciaire relève de la puissance publique mais la compétence est celle du juge judiciaire. C’est une exception, car elle est proche du procès pénal.

§  Le Conseil constitutionnel est lui aussi entré dans la controverse en 1987, se prononçant sur le fait de savoir si le contentieux d’une autorité administrative (le Conseil de la concurrence) pouvait être transféré par la loi devant le juge judiciaire. Il a dû se prononcer sur la valeur constitutionnelle de la séparation des autorités administratives et judiciaires. Il ne lui reconnait pas cette valeur, et nous dit que ce qui a valeur constitutionnelle est un PFRLR qui dit que la juridiction administrative est compétente quand elle a à connaitre des actes du pouvoir exécutif pris dans le cadre de l’exercice de prérogatives de puissance publique. Le Conseil constitutionnel a alimenté à la fois la thèse de Chapus et la thèse de Vedel. Et ce n’est pas un hasard : Georges Vedel siégeait au Conseil constitutionnel.



2) Quel est le degré d’autonomie du droit administratif ?

·         Il est difficile de donner une réponse, car le juge administratif a développé des règles propres, mais n’a jamais répudié en bloc le droit civil.

§  De manière ponctuelle, la jurisprudence administrative fait des emprunts au droit privé.
ð  Les collectivités publiques peuvent conclure des contrats de droit privé, il existe des services publics industriels et commerciaux à gestion privée, et le juge administratif utilise des théories du droit civil, comme en matière contractuelle, avec la théorie des vices du consentement. En matière de droit des biens, on a admis que l’administration était propriétaire de ses biens. Même remarque pour la responsabilité : notions de faute, préjudice, lien de causalité, dommage, fait générateur.

§  Toutefois, ces emprunts sont passés à la lessiveuse du droit administratif : quand le juge administratif emprunte une technique au droit civil, il en fait une règle de droit public ; bien qu’il l’utilise quand même parfois tel quel (règle des intérêts moratoires). Mais il recycle les principes, allant chercher dans le droit privé des règles à appliquer à l’administration.
ð  Exemple : l’arrêt dame Peynet de 1973, sur l’interdiction de licencier une femme enceinte. Cette règle est posée par le Code du travail. Pour les contractuels de l’administration, il n’y avait aucune protection. Le Conseil d’Etat a pris la règle du Code du travail, en en faisant un PGD pour l’appliquer au droit public.

Tout s’entrecroise donc : le droit administratif est général, mais ne répudie pas complètement le droit civil.





B.     Droit administratif et construction d’un espace juridique commun

·         Se développe une sorte de mouvement transversal qui veut qu’un corps de règles nouveau lié à un mouvement appelé de diversification des sources du droit s’applique aussi à l’administration ; et c’est le juge administratif qui les applique à l’administration parce que ces règles s’imposent à lui.

o   Le droit administratif cesse, depuis environ trente ans, d’être un droit spécialement élaboré par le juge administratif. Celui-ci intègre de plus en plus des règles juridiques venues d’ailleurs (droit international, communautaire) mais aussi d’en haut (droit constitutionnel, à partir des années 1970 et avec notamment la décision de 1971).

o   C’est un phénomène important pour connaitre les évolutions du droit administratif. Le juge administratif a perdu la maitrise des règles qui s’appliquent à l’administration. Quand il aborde un principe communautaire ou constitutionnel, il ne peut pas ignorer la jurisprudence des juridictions.

v  Cela change la nature du droit administratif : c’était un droit fait par et pour l’administration, focalisé sur les exigences de l’action publique. Aujourd’hui, le juge administratif intègre d’autres exigences (droit communautaire : libre concurrence, libre circulation des marchandises…).

1)      L’influence de la Constitution sur le droit administratif

·         Cette influence a d’abord été nulle ou presque, parce que :

o   Pendant longtemps, la Constitution n’a contenu que des dispositions qui intéressait les relations entre l’exécutif et le pouvoir législatif (lois constitutionnelles de 1875) ; de sorte que les points de rencontre avec le droit administratif étaient peu nombreux, même s’il y en avait pour ce qui concernait le pouvoir exécutif (commun aux administrativistes et aux constitutionnalistes).

o   Surtout, il n’y avait aucune juridiction constitutionnelle susceptible de livrer une interprétation de la Constitution, de sorte que pendant longtemps, le juge constitutionnel était le juge administratif. Pour cela, il suffit qu’un requérant invoque devant lui un moyen fondé sur une violation de la Constitution, et le juge administratif est alors amené à vérifier le droit administratif au regard des règles constitutionnelles.

·         Les choses vont changer à partir des années 1960-1970, avec deux bouleversements majeurs :

o   L’institution d’une juridiction constitutionnelle (juridiction par la pratique, en dépit d’une organisation un peu déficiente, cf. la manière dont sont nommés ses membres) susceptible de livrer sa propre interprétation de la Constitution.
D’autant plus que d’après l’article 62 impose à son alinéa 3 : Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.  Ainsi, quand le Conseil invalide une loi en raison d’une violation de la Constitution, le Conseil d’Etat est obligé d’en tenir compte.

o   La décision du 16 juillet 1971 « Liberté d’association » est importante car elle change le contenu de la Constitution.
Avant, la Constitution était un texte essentiellement politique, où l’on traitait essentiellement de la procédure législative. Avec la décision de 1971, la Constitution devient un texte de droits substantiels ; et ces dispositions intéressent pour l’essentiel les droits fondamentaux, les libertés individuelles. Connaître le cheminement et les textes (validation constitutionnelle par cascade) du bloc de constitutionnalité : on y voit deux chartes : préambule de 1946 (droits sociaux) et DDHC (d’inspiration, libérale, droits de l’individu).

On est passé d’une étape où le droit administratif prévalait sur le droit constitutionnel à la constitutionnalisation du droit administratif.



a)      La prévalence historique du droit administratif sur le droit constitutionnel

·         Cette prévalence s’explique par plusieurs raisons citées plus haut et une autre : le droit constitutionnel du XIXe et du XXe siècle est soit du pauvre droit, soit du droit instable (23 Constituions successives).
En face, on a une forte stabilité du droit administratif incarné par le Conseil d’Etat qui survit à tous les régimes juridiques et qui développe sa jurisprudence avec patience.

o   Ainsi, quand le Conseil d’Etat est saisi de questions fondées sur la violation de la Constitution, il va développer une conception qui consiste à soumettre au droit administratif les autorités constitutionnelles.

ð  Cette conception peut être illustrée par un arrêt du Conseil d’Etat du 6 décembre 1907 chemin de fer de l’est. Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat estime que les actes du chef de l’Etat (du président de la République) émanent d’une autorité administrative et à ce titre peuvent être soumis au contrôle du Conseil d’Etat. C’est l’idée que les autorités investies du pouvoir exécutif par la Constitution ne sont pas d’une nature spéciale, pas seulement des autorités politiques, mais quand elles prennent les actes nécessaires à l’exécution des lois, elles agissent comme des autorités administratives.
C’est considérable.
L’affaire de 1907 est intéressante : le président de la République avait pris un règlement d’administration publique. Ceux-ci étaient des décrets d’un genre un peu particulier, qui étaient pris sur habilitation du législateur et par lesquels le législateur donnait une très large marge de manœuvre au président de la République pour exécuter les dispositions de la loi. C’était des lois dites « cadres » à l’intérieur duquel cadre l’exécutif disposait d’une assez grande liberté.
Toute une doctrine expliquait que les règlements d’administration publique étaient des actes de législation déléguée. On expliquait que c’était des actes de nature législative, pris sur habilitation de la loi. Cette doctrine s’inspirait des solutions qui prévalaient au Royaume-Uni. Cette doctrine, si elle avait prévalu, consistait à dire que les actes formellement administratifs mais matériellement législatifs ne pouvaient pas être contrôlés par l’administration.
C’est précisément cette analyse que rejette le Conseil d’Etat en 1907, en faisant prévaloir, conformément à la tradition juridique française, une approche de type organique et non pas matérielle.

o   Ce principe n’a jamais été remis en cause, même au début de la Ve République. La volonté du constituant en 1958 était de renforcer la place de l’exécutif, en le dotant de pouvoirs nouveaux, voire interdits sous les Constitutions antérieures : pouvoir réglementaire autonome, possibilité de légiférer par ordonnance (articles 37 et 38 de la Constitution). Dans les deux cas de figure, on a soutenu que le gouvernement exerçait une fonction de même nature que la fonction législative.
Mais même sous la pression du pouvoir constituant, le Conseil d’Etat a maintenu la jurisprudence de 1907. Deux arrêts illustrent le maintien de cette jurisprudence :

ü  un arrêt de 1959 « syndicat général des ingénieurs conseil » et

ü  un arrêt de 1961 (à propos des ordonnances) « fédération nationale des syndicats de police ».

ü  Le Conseil d’Etat a même été plus loin dans un arrêt qui a fait scandale : l’arrêt Canal, pris en 1962 (intéressant les évènements d’Algérie : sur la base d’une loi référendaire, le président de la République avait pris une ordonnance en instituant un tribunal d’exception pour juger de manière expéditive des crimes commis en Algérie. Celui-ci avait condamné à mort le dénommé Canal, terroriste de l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète, favorable au maintien de l’Algérie française). Avant d’être exécuté, Canal fait un recours devant le Conseil d’Etat, où il conteste les conditions de fonctionnement de cette justice militaire, expliquant notamment que l’ordonnance est contraire à des PGD du droit pénal. Le Conseil d’Etat va faire droit à son recours, Canal va sauver sa tête ; l’annulation de l’ordonnance ayant valeur rétroactive.

o   Le Conseil d’Etat a donc continué à appliquer sa jurisprudence de 1907, même sur habilitation référendaire, les actes du président de la République restent administratifs. Cette décision a provoqué un tollé : le président de la République, qui bénéficiait d’un certain prestige, a piqué une colère en faisant passer une note : le Conseil d’Etat a dépassé ses attributions. Il y a eu dans les semaines qui suivent l’idée de réformer le Conseil d’Etat, ce qui ne s’est pas fait, car les sphères gouvernementales étaient noyautées par le Conseil d’Etat (M. Debré, Premier ministre était conseiller d’Etat).

·         Il y a une exception, que l’on retrouve dans la théorie des actes de gouvernement : arrêt Prince Napoléon, 1875 : abandon de la théorie du mobile politique, mais pas de la théorie des actes de gouvernement. Il y a l’idée que certains actes politiques pris par les autorités de l’Etat ne sont pas des actes administratifs donc ils doivent demeurer injusticiables devant le Conseil d’Etat.

ð  Exemples :
-la décision de dissoudre l’Assemblée nationale

-la décision du président de la République de recourir à l’article 11 de la Constitution         

·         On le voit, le Conseil d’Etat n’hésite pas à interpréter les dispositions constitutionnelles.

§  Il est par exemple juge constitutionnel dans des affaires où est contestée la compétence du président de la République ou du Premier ministre au regard des dispositions de la Constitution.

o   A cet égard, la Constitution de la Ve République a généré un contentieux important, parce qu’il y a deux articles dont il faut assurer la conciliation : l’article 21 de la Constitution (reconnait le pouvoir de décision du Premier ministre, chef de l’administration, qui dispose du pouvoir réglementaire) et l’article 13 de la Constitution qui nous dit que le président de la République préside le Conseil des ministres, donc il est amené à signer les textes discutés en Conseil des ministres ; et que le président de la République nomme à certains emplois civils et militaires.
Il y a donc souvent à discuter de la question de qui fait quoi entre les deux têtes de l’exécutif. Et le Conseil d’Etat a été amené à interpréter la Constitution pour répartir les rôles.

ð  Il l’a fait dans deux arrêts :

-Sicard, 1962

-Meyet, 1992

L’interprétation qu’a donné le Conseil d’Etat de la Constitution  tient largement compte de la pratique politique, et notamment de ce que l’on appelle le gouvernement présidentiel.

o   Dans les textes, la Constitution de la Ve est parlementaire : le Premier ministre est le chef de l’exécutif, et le président de la République a plutôt un rôle d’arbitre.

o   Mais cela a changé, notamment depuis 1962. Depuis cette date, le président de la République revendique des compétences, notamment en Conseil des ministres. La question était de savoir si l’on pouvait l’admettre au regard de la Constitution. Le Conseil d’Etat valide cette pratique : il est ainsi juge constitutionnel.

·         Dernier élément expliquant la prévalence historique : théorie des PGD : CE, dame veuve Trompier- Gravier, 1944. Elle illustre la prévalence du Conseil d’Etat car par cette théorie, le Conseil d’Etat donne force normative à des dispositions, notamment celle de la DDHC qui à l’époque n’avait pas de force juridique car elle n’était contenue dans aucun texte constitutionnel (pas de préambule pour les lois constitutionnelles de 1875). C’est par le biais du droit administratif que ces principes, qui sont le cœur de notre démocratie et de notre système juridique, vont s’appliquer à nouveau.

·         Dernier exemple de la suprématie du droit administratif sur le droit constitutionnel : la théorie de la loi écran, consacrée par l’arrêt du Conseil d’Etat de 1936 : Arrighi.

Situation : est contesté devant le Conseil d’Etat un acte administratif au motif que cet acte administratif met en application une loi contraire à la Constitution, ce qui fait de cet acte un acte inconstitutionnel, c’est pourquoi il doit être annulé. Dans le cas de la théorie de la loi écran, le Conseil d’Etat va refuser de faire droit à ce type de recours en expliquant que la loi fait écran entre lui et la constitution, et que son rôle est de contrôler le respect actes administratifs par rapport à la loi, mais pas la loi par rapport à la constitution. Il décide que c’est irrecevable, et valide l’acte administratif c’est là une marque de l’ignorance de la suprématie constitutionnelle.

b)      La constitutionnalisation du droit administratif

·         A partir des années 1970 (essentiellement depuis la décision de 1971), les relations entre le droit administratif et le droit constitutionnel vont se transformer, et ce en raison du fait qu’il y ait une jurisprudence du Conseil constitutionnel, et que le Conseil d’Etat est amené à la prendre en compte.    
Le renouvellement des rapports est dû à plusieurs raisons :

§  Le périmètre du droit constitutionnel s’étend :

o   Le droit constitutionnel n’est plus seulement en haut, il est partout. Des pans entiers de l’autorité administrative sont soumis à l’incidence du Conseil constitutionnel. En effet, le Conseil constitutionnel est appelé régulièrement à se prononcer sur des lois qui intéressent l’activité administrative

ü  Exemple : la semaine dernière a été adoptée par le Parlement la loi portant réforme des collectivités territoriales. Elle est déférée au Conseil constitutionnel. La jurisprudence du Conseil constitutionnel va être amenée à interpréter la Constitution sur les éléments de l’organisation administrative du territoire, dégageant des principes, des directives.

o   De plus, les requérants ont tendance à multiplier les références à la Constitution devant les juridictions administratives, faisant même référence à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ils le font car ils ont l’impression de donner une force à leur argumentation, renforçant sa légitimité. De plus, dans la jurisprudence constitutionnelle, ils peuvent éventuellement trouver des éléments nouveaux, non pris en compte par le juge administratif jusqu’à présent, des éléments décalés qui vont amener le juge administratif à modifier son interprétation.

§  La deuxième raison de la constitutionnalisation du droit administratif est la jurisprudence constitutionnelle, qui est extrêmement fournie, et dont l’article 62 de la constitution dit que les décisions du Conseil constitutionnel ont autorité de chose jugée devant les autorités administratives et juridictionnelles.

o   L’une des questions est de savoir ce qu’il faut entendre par cette autorité. Débat doctrinal : uniquement autorité de chose jugée ou autorité de chose interprétée par le Conseil ?

ü  La différence réside dans le fait que l’autorité de chose jugée vaut lorsque le Conseil constitutionnel statue sur une loi qui a déjà été contrôlée par le Conseil constitutionnel, il est tenu par les réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel.

ü   L’autorité de chose interprétée : la question est de savoir si elle existe. Mais certains auteurs expliquent que quand une disposition de la Constitution a été interprétée par le Conseil constitutionnel, son interprétation s’impose au juge administratif. De fait, même quand le Conseil d’Etat est appelé à faire l’interprétation d’une loi qui n’a pas été contrôlée par le Conseil constitutionnel.

§  La troisième raison : elle tient à la révision constitutionnelle de 2008. C’est donc une situation nouvelle. La révision de 2008 a institué la Question prioritaire de constitutionnalité qui est un mécanisme destiné à faire échec à la théorie de la loi écran.
C’est l’idée que lorsqu’un requérant soulève par voie d’exception un moyen d’inconstitutionnalité devant le Conseil d’Etat, dans ce cas là, le juge administratif ne peut plus rejeter le moyen. Il est tenu de l’examiner, et à ce moment là, il y a trois situations possibles :

o   Le juge administratif dit que le moyen n’est pas sérieux, dilatoire. Il le rejette alors. S’il s’agit d’un moyen sérieux, le juge administratif remonte alors l’affaire en Conseil d’Etat, de manière prioritaire, et il sursoit à statuer.
o   Le Conseil d’Etat joue alors le rôle de filtre : il décide s’il y a matière à saisir le Cc.
o   Il remonte l’affaire au Conseil constitutionnel et le Conseil constitutionnel dit si le moyen est ou non  fondé. Si tel est le cas, la loi est jugée inapplicable.

Aujourd’hui, on ne cesse de poser des questions prioritaires. En effet, des lois datent d’avant le Conseil constitutionnel, des lois adoptées n’ont jamais été jugées par le Conseil constitutionnel.

v  On assiste du coup à une constitutionnalisation du droit administratif : le juge administratif est de plus en plus souvent amené à confronter les actes administratifs à la constitution.

v  Remarque : la décision du 16 juillet 1971 n’est pas tant une innovation : le Conseil d’Etat l’avait déjà dit en 1960 dans un arrêt société Eky, mais cela n’avait pas la même force que l’autre décision.

v  Ne pas confondre la constitutionnalisation du droit administratif avec la théorie des bases constitutionnelles du droit administratif de Georges Vedel ; même s’il y a une aspiration commune : la constitution est la mère de tous les droits, elle doit aussi l’être du droit administratif.


2)      L’influence du droit international et du droit européen sur le droit administratif

Cette question sera développée au second semestre.

·         Le droit international regroupe les traités auxquels la France est partie.
·         D’après l’article 55 de la constitution, les traités ont force de loi.
·         Le juge administratif a été amené à se prononcer sur la violation des traités, notamment en 1953 dans l’arrêt dame Kirkwood.

§  Pendant longtemps, cette supériorité des traités n’a eu qu’une incidence occasionnelle :

o   La France signait peu de traités, ou alors ils étaient diplomatiques, sans grande incidence sur les relations entre l’administration et les citoyens.

o   L’autre élément qui rendait cette influence occasionnelle est le fait que le Conseil d’Etat considérait qu’à l’égard des traités, il existait une variante de la théorie de la loi écran de sorte que la loi prévalait de fait sur les traités (le Conseil d’Etat considérant qu’il n’avait pas à contrôler la loi).

§  Les choses vont être profondément modifiées :

o   Depuis 50 ans, la coopération entre Etats s’est développée, notamment à l’échelle du continent européen :

ü  On a adopté des traités qui n’ont rien de commun avec les traités d’autrefois.
C’est le cas du traité des CEE, du traité sur l’UE qui créent un ensemble politique intégré, ou encore du traité concernant Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Ces deux textes européens changent tout : car ils ont un contenu substantiel, c'est-à-dire que les stipulations de ces traités sont susceptibles d’intéresser les relations entre les administrations nationales et les citoyens.
Le traité de l’UE contient notamment la proclamation de libertés économiques qui s’imposent aux Etats membres et que les entreprises nationales ou européennes peuvent opposer aux administrations d’Etat.

Toute notre réglementation économique d’aujourd’hui est communautaire : 80% des lois votées par le Parlement sont dictées par le droit communautaire.

Même chose pour la Convention européenne des droits de l’homme : elle reconnaît des droits fondamentaux aux citoyens, qui valent pour les étrangers, mais aussi pour les ressortissants français.

ü  Il existe aussi des facteurs aggravants de l’incidence. Si l’on prend le cas du droit communautaire, il n’est pas fait que de traités, mais aussi du droit dérivé, c'est-à-dire des actes dressés par les institutions communautaires (règlements, directives…).

ü  Un autre facteur aggravant est que ces deux traités ont organisé leur propre mécanisme juridictionnel de sanction. Il y a une Cour de justice de l’Union européenne (Luxembourg), une Cour européenne des droits de l’homme (Strasbourg). Ces traités européens sont donc du droit vivant : quand le Conseil d’Etat applique un texte européen, il ne peut pas en faire sa propre interprétation, mais il est tenu de se conformer à ce qu’a jugé ces juridictions. Il ne maîtrise donc plus la situation.

·         Le juge administratif a donc perdu la maîtrise des normes qu’il applique à l’administration (en partie en tout cas).

o   Ce droit européen, qu’il soit communautaire ou conventionnel, repose sur une conception différente de l’Etat et de la puissance publique, une conception désacralisée. C’est un Etat qui doit composer plus qu’avant avec les libertés fondamentales des citoyens, des entreprises.

o   Le droit administratif est un droit d’équilibre entre les intérêts de l’Etat et ceux des administrés. Le droit européen en est aussi un, mais l’équilibre ne se situe pas au même niveau : le côté protection de l’Etat pèse le plus en droit administratif national, alors que le plateau de la balance est plutôt de l’autre côté en droit européen. Ce sont deux visions qui s’entrechoquent.

3°. Droit administratif et nouvelles sources à vocation transversale législatives

Parallèlement au droit communautaire, il existe aujourd’hui en jurisprudence un mouvement qui tend à l’indifférenciation des règles de droit applicables tant à l’administration qu’ aux opérateurs privés.

Le juge oppose ainsi le droit pénal à l’administration : CE
1997 Lambda (est illégale la décision administrative qui place
un fonctionnaire en situation de violer la règle de droit pénal)

·Ainsi que le droit de la concurrence : CE 1997 Million et
Marais : est illégale la décision administrative qui place une
entreprise en situation de violer la concurrence. Voir aussi et
CE 1999 soc. Eda à propos des conditions d’attribution d’une
autorisation d’occupation à des fins commerciales du domaine
public aéroportuaire

· Ou encore le droit de la consommation : CE 22 nov 2000 Sté
L et P Publicité.

Pour aller plus loin (passage non vu en cours qui sera repris au Semestre 4)
En conclusion, ces évolutions concernant le contenu des règles applicables à l’activité administrative impliquent de s’interroger sur ce qui fonde la compétence du juge administratif à se saisir d’une affaire.
Historiquement en effet, la doctrine expliquait la compétence de la juridiction par le principe selon lequel la compétence suit le fond. Autrement dit dès lors que l’activité administrative en cause est régie par des règles spéciales, le juge judiciaire est techniquement incompétent et c’est au juge administratif qu’il revient de juger l’affaire, et réciproquement.

Compte tenu des conditions d’élaboration des règles de droit administratif,
cette présentation n’a jamais été pas sans faiblesses
René Chapus le souligne bien (Droit administratif général, Montchrestien,
tome 1, n° 977), le côté approximatif de la formule est acceptable car elle se vérifie généralement dans la pratique.
Mais aujourd’hui elle ne constitue plus véritablement un repère fiable
On vient de la voir le juge administratif applique aujourd’hui directement et
intégralement à l’administration des règles venues du droit privé ainsi que du droit de
la concurrence et la compétence du juge administratif dans ce cas de figure a été fermement rappelée par le TC (TC 1989 Ville de Pamiers et TC 1999 ADP)

· Dès lors comment expliquer la compétence du JA dans ce cas de figure et de manière générale ?
Une explication probante est donnée par Jean-François Lachaume selon lequel désormais la compétence suit … la notion AJDA 2002 Chroniques p. 77
C'est parce que dans un litige donné se trouve en cause une notion clef du droit
administratif : agent public, acte administratif unilatéral, contrat administratif,
domaine public, ouvrage public, faute de service, responsabilité d'une personne
publique, service public administratif, etc., que le juge administratif est compétent,
Cette approche a trouvé une illustration récente dans un arrêt (CE, 19 déc. 2007, n° 268918, 269280,
269293, Sté Campenon-Bernard et a. : JurisData n° 2007-072854 ; Contrats - Marchés publ. 2008,
Titre 1 :Les cadres institutionnels de l’administration publique

·         On va s’intéresser aux structures qui font ce qu’est l’administration publique aujourd’hui. Celles-ci sont extrêmement diverses. Ce n’est pas un ensemble monolithique. Il s’agit d’un ensemble complexe aux diverses institutions :

§  L’Etat, avec ses services (ministères, administrations centrales, services déconcentrés…)

§  Les collectivités territoriales (communes, départements, régions, collectivités d’outre mer, collectivités territoriales à statuts spéciaux : Paris, Lyon, Marseille)


§  Une collection d’établissements publics : les universités, le centre hospitalier universitaire, les centres communaux d’action sociale

§  Une série d’organismes spécialisés : les AAI, les autorités publiques indépendantes (API), les ordres professionnels, les chambres des métiers…


§  Des organismes de droit privé (structurés sous des formes organisées par le droit privée : association, société) qui sont en charge de missions de service public que la loi leur a confié. Exemple : la sécurité sociale.

·         Cette diversité pose un problème difficile à résoudre : à quoi reconnaît-on qu’un organisme relève de l’administration publique et de ce fait intéresse le droit administratif ? On peut utiliser plusieurs critères : organique, formel, matériel.

§  Le critère organique n’est ici d’aucune utilité : on range dans l’administration publique des organes extrêmement divers.

§  Il faut donc rechercher un critère d’ordre matériel : relèvent de l’administration publique toutes les organismes exerçant une fonction de nature administrative. Comment définir celle-ci ? Plusieurs manières sont envisageables.

o   La doctrine dominante explique que l’administration publique est ce qui relève du pouvoir exécutif. Les organes de l’administration sont alors ceux à qui la loi a confié une mission de mise en œuvre de la loi. Cette explication est d’abord partielle, mais aussi imprécise.

Ø  Elle est partielle, parce que la notion d’exécution des lois est entendue au sens large. Elle recouvre toute une série d’intervention de missions, de prestations. Quand l’administration prend des actes réglementaires, elle participe à l’exécution des lois. Mais l’exécution des lois ne se limite pas à cela.

ð  Exemple : quand le préfet prend des mesures destinées à garantir l’ordre public, il exécute aussi la loi ; de même lorsqu’on est chargé d’une mission (transport).

-          C’est ainsi que le Conseil d’Etat dans l’arrêt Labonne de 1919 a défini l’exécution des lois. Autrement dit, cette définition de l’administration publique est quasiment inservable, parce qu’elle ne permet pas de déterminer ce qui relève de l’administration : il suffit que la loi accorde une nouvelle compétence pour que la matière administrative gonfle. On ne peut définir à l’avance ce qui relève des missions de l’administration. Elles varient dans le temps en fonction de la conception politique de l’Etat (Providence, Gendarme, Régulateur).

-          Quant au juriste, il doit faire un travail de qualification face à une situation juridique. Il appliquera ensuite un régime juridique. Le juriste, pour qualifier a besoin de critères objectifs. Il s’agit donc d’une approche qui ne nous aide pas.

Ø  Cette définition de la fonction administrative a un deuxième inconvénient : elle n’est pas tout à fait exacte. La fonction administrative peut déborder du pouvoir exécutif, et le pouvoir exécutif peut faire autre chose qu’exercer une fonction administrative.

-          Concernant le premier élément, le Conseil d’Etat a jugé en 1999 dans un arrêt président de l’Assemblée Nationale que les autorités parlementaires pouvaient exercer une fonction de nature administrative, notamment le président de l’Assemblée nationale lorsqu’il prend des décisions concernant le fonctionnement matériel du Parlement.
Dans cette affaire, l’Assemblée nationale voulait s’équiper en matériel de vidéo protection. Pour ce faire, il lui fallait recourir aux services d’entreprise. La question qui s’est posée était de savoir si les services de l’Assemblée nationale pouvaient librement recourir au service de n’importe quelle entreprise ou les mettre en concurrence comme l’impose le droit des marchés publics. Et en cas de contentieux, le Conseil d’Etat pouvait-il être saisi ? L’affaire revient devant le Conseil d’Etat, qui doit se prononcer sur l’activité d’un organe législatif. Le Conseil d’Etat aurait pu se déclarer incompétent. Mais le Conseil d’Etat considère que les organes législatifs exercent plusieurs types de fonction, dont leur fonction interne qui est de nature administrative, donc le Conseil d’Etat pouvait en connaître.

-          Concernant le deuxième élément, c’est la théorie des actes de gouvernement. Elle veut qu’un certain nombre des actes de l’exécutif, donc du Premier ministre, du président de la République échappe au contrôle du juge car il relève d’une sanction de nature politique et pas de nature administrative.
C’est notamment les relations entre l’exécutif et le Parlement (décision de dissoudre l’Assemblée) ou entre l’exécutif et ce qui touche aux relations internationales (décision de signer un traité international).
Sur ce point, arrêt prince Napoléon de 1875 qui requalifie les actes de gouvernement.

·         Les deux notions ne correspondent donc pas exactement (acte administratif-exécutif). Il est donc difficile de donner d’un point de vue matériel une définition du service public.
D’où la nécessité de revenir à une approche de type organique ne serait-ce que pour appréhender le système administratif au travers des structures qui le composent.

Ici, les instruments juridiques à notre disposition nous obligent à faire référence à la notion de personne morale de droit publique, car l’instrument, la forme que revêtent pour l’essentiel les organes administratifs est celle de personne morale de droit public. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire