mercredi 5 octobre 2016

Les règles générales de la responsabilité administrative

Le régime de la responsabilité pour faute est un régime dérogatoire, c'est-à-dire qu’il s’applique que dans des domaines particuliers, et lié à une activité administrative.
Mais dans certains cas la responsabilité sans faute est plus favorable aux victimes

SECTION 1 : L’autonomie du droit de la responsabilité administrative.

Plusieurs éléments ont conduit à reconnaitre la responsabilité de l’Etat. Il y a donc eu une évolution qui a conduit à une consécration de la responsabilité administrative, vis-à-vis des personnes publiques de façon générale.
Mais cette évolution, n’a pas empêché pour autant de maintenir un partage de compétence entre la responsabilité administrative devant le juge administratif, et devant le juge judiciaire.




1)      L’évolution et la consécration de la responsabilité administrative.

-  Jusqu'à l’Arrêt Blanco, c’est un principe d’irresponsabilité de l’Etat qui a dominé, compte tenu de la conception ancienne de la souveraineté.

- Il est évident que le développement de l’Etat providence, et les idées fondamentales du Contrat Social, ont conduit de plus en plus à souligner la responsabilité de l’Etat. Il y avait tout de même quelques exceptions limitées à ce principe d’irresponsabilité de l’Etat :
                  - En matière d’expropriation, il a toujours été reconnu que l’Etat devait indemniser la personne lésée.
                  - Dommage de travaux publics : Une responsabilité administrative, avec un régime de présomption de faute sur la personne publique, et vis-à-vis de l’usager de la loi publique : défaut de signalisation.

La consécration de la responsabilité administrative et donc pour l’Etat, s’est donc faite par l’arrêt Blanco du 8 février 1873, qui pose le principe même de la responsabilité administrative de l’Etat et qui pose l’autonomie de la responsabilité administrative par rapport à la responsabilité civile :
                  - La responsabilité qui peut incomber à l’Etat pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public, n’est ni générale, ni absolue. Elle a ses règles spéciales.

C’est ce qu’on appelle l’autonomie de la responsabilité administrative. Il s’agit donc de dégager des règles spéciales, qui tiennent compte de l’activité de service publiques, et des préjudices subies par la victime.

Les règles spéciales sont différentes des règles de droit privée, mais l’évolution jurisprudentielle va tout de même dans un sens de rapprochement surtout pour une notion liée à l’indemnisation du préjudice.

Préjudice spécial : individualisable.
Préjudice anormale : gravité suffisante avec des règles particulières devant le juge administratif.

Distinction entre la responsabilité administrative devant le juge administratif ou judiciaire.

2)      Les cas jurisprudentiels devant la responsabilité administrative qui reste au juge judiciaire, civil.

a)      Les cas jurisprudentiels


On peut retenir que de façon constante, les litiges causant préjudice :

                  -  l’utilisateur en matière de service industriel et commercial (usager des transports qui subit un dommage et qui a un préjudice) : le litige ne relève pas du juge administratif, mais reste confié au juge judiciaire.

Tout les litiges qui concernent les services publics industriels ou commerciaux : tout relève du juge judiciaire.

                  - En ce qui concerne les dommages causés par une voie de fait (atteinte grave à la propriété privée ou aux libertés individuelles) : la jurisprudence a toujours considéré que l’indemnisation des victimes relève du juge judiciaire.
                                  

b)     Les principaux cas de responsabilité administrative confiés au juge judiciaire

La loi du 5 avril 1937, qui prévoit la responsabilité de l’Etat, à raison des fautes commises par les membres de l’enseignement. Le législateur a lui-même prévu la compétence du juge judiciaire, pour faire condamner l’Etat et indemniser les victimes : TGI.

En pratique, cependant, il y a une distinction :
                  - Lorsqu’il s’agit d’un défaut de surveillance imputable à un enseignant, c’est le juge judiciaire qui reste compétent.
                  - Mais si la victime invoque une mauvaise organisation du service public de l’enseignement, ou bien encore un dommage aux travaux publics, la victime va invoquer un défaut d’entretien normal, et par conséquent c’est le juge administratif qui redevient compétent.

Loi du 31 décembre 1957 : Le législateur a attribué la compétence au juge judiciaire à propos des accidents causés par tout véhicule (tout engin roulant), relève du juge judiciaire.
Il faudrait revenir sur cette jurisprudence………..avec un bloc de compétence pour le juge administratif, en matière de travaux publics.

Concernant les activités médicales, conséquences dommageables vis-à-vis des vaccinations obligatoires. Les lois du 1er juillet 1964, complétée celle du 26 mai 1975, le législateur a confié la responsabilité de l’Etat au juge judiciaire.

Même chose en ce qui concerne la protection des personnes physiques qui se prêtent à des expérimentations médicales.

La loi du 31 décembre 1991, loi HIV, créée un fond d’indemnisation

Section 2 : Les conditions générales ouvrant droit à réparation

Dans tout système de responsabilité, il faut remplir 3 conditions générales :
                  - Il faut montrer l’existence d’un préjudice. La jurisprudence par 5 caractères le préjudice.
                  - Le lien de causalité direct, (et non pas indirect) entre le fait dommageable et le préjudice subit par la victime.
                  - La victime doit déterminer elle-même la personne publique financièrement responsable.

1)      L’existence d’un préjudice démontré par la victime

Il y a 5 caractères pour le préjudice :
                  - Il doit être certain
                  - Spécial
                  - Anormal
                  - Atteinte à un intérêt légitime
                  - Evaluable en argent fixé par la victime.


Ø  Caractère Certain :

La jurisprudence souligne souvent que le préjudice est né et actuel. Cela montre qu’il a un préjudice certain.


Le juge administratif s’est inspiré du juge judiciaire en retenant et par extension le préjudice éventuel ou futur mais dont on est sur qu’il va se réaliser. (On est sur qu’il se produise) :

                  - La perte d’une chance sérieuse de réussir à un examen est un préjudice certain :
CE 1987 : LeGoff. Cependant comment chiffrer la perte d’une chance sérieuse ?

- Le CE a considéré que la réparation doit être mesurée à la chance perdue et non pas à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
CE section 5 janvier 2000 : Consort Telle

                  - Dans le domaine médical, la perte d’une chance sérieuse d’éviter une opération chirurgicale, est indemnisable, c’est un préjudice : CE 6 février 1974 : Gomez

                  - Préjudice certain, qui va s’aggraver dans le futur : possibilité de demander réparation :

CE 12 juin 1981 : Centre Hospitalier de Lisieux. Le juge retient que l’invalidité d’un enfant dont on sait avec certitude que cela va réduire sa capacité professionnelle dans le futur, ouvre droit à réparation.


Ø  Caractère spécial : Caractère individualisable

La victime doit avoir un préjudice propre, que n’ont pas les autres. Cette condition est sévèrement appréciée en matière de responsabilité sans faute, car ce régime est plus favorable pour la victime : pas besoin de montrer la faute.

Un préjudice commun à l’ensemble des citoyens ne serait pas indemnisable : Faillite bancaire nationale.

Jurisprudence : Arrêt d’Assemblée du CE du 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radioélectrique, Le juge relève l’absence du préjudice spécial, donc pas d’indemnisation. Il s’agissait d’un accord conclu entre la France et l’Allemagne, et qui visait à reporter l’indemnisation des radios qui avait été réquisitionné sous l’occupation.  Caractère non individualisable car toutes les radios étaient réquisitionnées.






Ø  Caractère anormal :

 La normalité concerne la gravité. Il faut que le préjudice soit d’une gravité suffisante, puisque la gravité se calculer au cas par cas, propre à la victime. Il faut que ce caractère se cumule avec le caractère spécial, ca caractère étant important pour la responsabilité sans faute :

Ø  L’atteinte à un intérêt légitime :

Cette notion vient du juge judiciaire, qui avait reconnu dès 1959 à propos des concubins. Le juge administratif s’est ouvert aux évolutions sociologiques, puisqu’il faudra attendre 1978, pour que le juge administratif reconnaisse le concubin, une atteinte légitime justifiant réparation.

Arrêt CE, section du 3 mars 1978 : Dame Müsser : Il s’agissait de la concubine d’un sapeur pompier bénévole décédé au cours d’une opération. Le CE relève le préjudice subit, avec une veuve avec deux 2 enfants. Donc atteinte à l’intérêt légitime, liée à un préjudice.

La jurisprudence en revanche n’a pas admis l’intérêt légitime du fait de la naissance non désirée d’un enfant survenue après l’échec d’une IVG : CE / Assemblée 2 juillet 1982, Demoiselle R.

La jurisprudence a précisé par la suite : A moins que cette mère, ne puisse invoquer des circonstances ou une situation particulière. Le CE a reconnu des circonstances particulières dans l’arrêt du 27 septembre 1989 : Karl : Grave infirmité de l’enfant due à un traumatisme causé au fœtus.

Ø  Evaluable en argent

Logique, puisque la réparation conduit à une indemnisation en capital. La victime va devoir chiffrer son préjudice.

Il faut souligner que la jurisprudence est allée dans un sens plus favorable aux victimes en accordant ce que le juge appelle une réparation intégrale, c'est-à-dire pour tous les préjudices indemnisables.

- Avant 1961, le juge administratif refusait d’indemniser le préjudice moral, car les larmes ne se monnaient pas.
- Mais avec l’arrêt d’assemblée du 24 novembre 1961 : Consorts Le Tisserand, le juge est revenu pour accorder l’indemnisation d’un préjudice moral et à partir de là n’a cessé d’étendre la notion de préjudice moral.
Le juge a reconnu l’atteinte à la réputation : Décembre 2000 Treyssac : Rapport administratif non fondé qui porte atteinte à la réputation d’un fonctionnaire : Préjudice moral indemnisable.

Il faut enfin un préjudice d’une certaine importance pour permettre une indemnisation. Le juge est lié par les conclusions chiffrées de la victime.

2)      Le lien de causalité entre le fait dommageable et le préjudice subi.

Quelque soit le régime de responsabilité, il faut toujours démontrer au juge les liens de causalité entre les faits dommageables et le préjudice subi en tant que victime.

Il faut donc montrer une relation de cause à effet entre l’activité d’intérêt générale et le préjudice subi par la victime. La jurisprudence administrative exige un lien de causalité direct et non pas indirect.

Cela a été montré pour la 1ère fois à contrario (donc indirect) dans l’arrêt du CE du 14 octobre 1966 : Le mauvais état d’une chaussée ne peut pas être considéré comme la cause directe de la détérioration d’un moteur dès lors que le camion a été mal examiné.

Retenons que cette condition a montré une divergence de jurisprudence entre le CE et la Cour de Cassation en matière de responsabilité médicale.
                  - Direct pour le CE
                  - Indirect pour la Cassation.

CE, arrêt de principe du 14 février 1997 : CHR de Nice contre Epoux Quarez : Naissance d’un enfant trisomique.
Le CE a jugé que l’insuffisance d’information fautive, l’information donnée aux parents quant aux risques qu’elle ne pouvaient pas s’exposer, est la cause directe, du préjudice résultant de cette naissance pour les parents seulement.
Mais au contraire, il n’y a pas de lien de causalité directe entre la faute de l’hôpital (défaut d’information) et l’infirmité de l’enfant lui-même, qui est inhérente à son patrimoine génétique, et par suite préexistante aux examens médicaux.
La responsabilité de l’hôpital est engagée vis-à-vis des parents mais pas vis-à-vis de l’enfant.


Arrêt Perruche : 2000. La Cours de Cassation a retenu le principe selon lequel l’enfant né avec un handicap doit être indemnisé dès lors qu’en raison d’une faute médicale, sa mère a été privée de la possibilité d’avorter (lien indirect).
Le préjudice de l’enfant est donc né de son handicap.

L’article 1 de la loi de 2004 : Nul ne peut se prévaloir du préjudice du seul fait de sa naissance.

Dans un arrêt de la Cours administrative d’appel de Bordeaux qui se prononce le 27 juin 2006 : Mr et Mme Erick M. Ils sont revenu sur le lien de causalité direct : L’hôpital public a été tenu responsable de la naissance d’un enfant handicapé, en raison d’une erreur commise lors d’une grossesse précédente, et ayant eu des conséquences sur les grossesses ultérieures. Il s’agissait d’une anomalie du groupe sanguin.


L’Administration peut invoquer des causes exonératoires pour diminuer totalement ou partiellement sa responsabilité :
            - La force majeure :

Se défini comme une cause extérieure mais connue, totalement imprévisible et irrésistible dans ses effets.
CE 17 avril 1942, Syndicat des digues du Reyran : rupture d’une digue provoquée par un cru exceptionnel exonérant le syndicat connu.

                  - Le cas fortuit :

Cause extérieure mais inconnue, et bien sur irrésistible dans ses effets et imprévisible. Il ne peut pas être invoqué en matière de responsabilité sans faute.

                  - La faute de la victime :

Le comportement de la victime a provoqué le fait dommageable ou l’a aggravé. L’administration invoque souvent l’imprudence de la victime.

                  - Le fait d’un tiers.

C'est-à-dire lorsque l’administration entend se retourner vers une autre personne publique ou privée, pour un partage de responsabilité, pour se décharger d’une partie des responsabilités sur un tiers. Comme pour le cas fortuit, le fait du tiers n’est invocable que dans le régime de responsabilité pour faute.

3)      L’imputabilité en matière de responsabilité administrative

La victime ne peut pas dire que le dommage est imputable à l’administration, cela ne suffit pas. La victime doit imputer le fait dommageable à une ou plusieurs personnes publiques désignées. L’action de la victime doit donc être dirigée devant l’Etat, commune, région, établissement public.

Il peut y avoir quelques difficultés, comme lorsqu’une autorité de tutelle intervient en se substituant à une collectivité défaillante.

Lorsqu’une autorité de tutelle agit au nom d’une autorité, l’autorité reste responsable. (Etat substitue la commune)

La victime peut rechercher une responsabilité administrative substituée, c'est-à-dire lorsque la commune avait confié la gestion à une personne privée. Dommage par une personne privée, mais irréparable.

La victime peut imputer le fait dommageable à l’autorité qui a confié le travail à la personne privée : Chayette : Responsabilité de la Ville de Paris en tant que autorité concédante, à raison de l’insolvabilité de la société privée.

Section 3 : La réparation intégrale du préjudice

1)       Les règles d’évaluation

L’évaluation doit d’abord être en argent, et chiffrée de la victime. Le juge va retenir une évaluation subjective, c'est-à-dire au cas par cas. Le juge utilise un barème officieux. Il y a donc une appréciation subjective du juge.

Jusqu’en 1947, la date d’évaluation était fixée au jour de la survenance du dommage, ce qui n’était pas favorable aux victimes, car le préjudice pouvait s’aggraver.


Dans plus arrêts d’Assemblées : 21 mars 1947, le CE a décidé de faire une distinction selon qu’il s’agit :
                  - De dommages causés aux biens : immeubles : Il faut garder la date d’évaluation au jour du fait dommageable, car l’étendue du dommage est connue.

                  - Ou aux personnes physiques : On considère qu’il fallait retenir la date et donc l’évaluation au jour du jugement, et non pas au jour du fait dommageable.

2)                  Le calcul de l’indemnité réparatrice

a)      L’indemnité principale

L’indemnisation est en capital, mais lorsque l’enfant est mineur il peut être décidé d’être accordé une rentre jusqu’à la majorité de l’enfant.
Si la victime n’est pas d’accord elle pourra contester.

b)     Les indemnités accessoires

Il y a la possibilité sur demande, du versement d’intérêts moratoires, pour réparer le temps entre le préjudice subit et le jugement.

La demande d’intérêt moratoire doit être faite dès la demande d’indemnisation devant l’administration, puisque le calcul se fait dès la 1ère demande.


La loi du 10 juillet 1991, le législateur a instauré un droit à compensions des frais dits irrépétibles (avocat, expertise). La partie perdante va supporter cela, mais le juge peut apprécier le partage. 

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