mercredi 5 octobre 2016

LA NOTION DE PERSONNE MORALE DE DROIT PUBLIC


v  On les appelle parfois aussi personnes publiques.

·         Qu’est-ce que la personnalité morale ? C’est une technique juridique qui va permettre à un groupe humain mu par un intérêt collectif d’accéder à la vie juridique. C’est la loi qui met en œuvre cette technique, et qui permet de recourir à cette fiction juridique.

§  Le législateur est traditionnellement amené à reconnaître la personnalité morale à un certain nombre d’intérêts collectifs qu’il va juger dignes de protection par le droit (sociétés commercialesàassociation de marchands, associations, syndicats professionnels).
Dès lors que cette association d’intérêt se voit conférée la personnalité morale, il va y avoir des droits et des obligations spécifiques, distinctes des membres qui la composent. Cela signifie que la personnalité morale permet à cette association d’intérêt d’avoir un patrimoine propre, une autonomie de gestion, ainsi que le pouvoir de réaliser les actes juridiques nécessaires à sa participation à la vie collective.

§  La question qui se pose est celle de savoir si cette technique juridique peut être transposée aux organisations publiques et en particulier à l’Etat, qui est avant tout une organisation de nature politique.

o   La réponse est positive : la transposition a eu lieu. Du point de vue du droit administratif, l’Etat est une personne morale de droit publique.

o   Toutefois, cette transposition a été longtemps contestée.

-          D’abord au nom de l’idée que la notion de personnalité morale est un non sens qui n’a pas de réalité sociale.

-          Elle a été également contestée par Léon Duguit qui explique que le concept n’a pas sa place en droit public, parce que le droit public repose sur des conceptions qui depuis la Révolution française sont totalement distinctes des institutions qui valent en droit privée et que l’on ne peut pas transposer en droit public une technique qui ne vaut qu’en droit privé. Ce serait une forme de régression de la part du droit public. En effet, l’Etat n’a pas une volonté mais c’est d’abord une personne qui a des compétences que la loi lui attribue. Il y a là deux concepts totalement différents que l’on ne peut associer.


o   Ce débat doctrinal (Léon Duguit : je n’ai jamais déjeuné avec l’Etat) est resté vain dans la mesure où aujourd’hui tout le monde admet que la personnalité morale est une fiction, mais qui est nécessaire : on ne peut pas faire autrement, c’est le seul procédé technique qui permet en droit public comme en droit privé d’assurer la représentation des intérêts collectifs. Dès lors, toutes les structures administratives ou un grand nombre d’entre elles se sont vues accolée cette technique.


*      La difficulté est que cette technique n’est pas complètement adaptée à la réalité de notre système administratif ; elle reçoit donc des aménagements, et elle ne nous permet pas d’avoir une approche précise de la réalité juridique. 




Section 1 : Les caractéristiques de la personnalité juridique de droit public



·         Toutes les structures administratives n’ont pas la personnalité morale.

§  Par exemple, les AAI (organes de régulation chargés d’organiser un secteur de nature économique : CNIL, autorité de la concurrence…) sont un élément de la structure de l’Etat, un service de l’Etat au plan fonctionnel.

§  De la même manière, les services déconcentrés n’ont pas la personnalité juridique.

·         Distinction entre personnalité morale de droit privé et personnalité morale de droit public.
·         Distinction entre personne morale de droit public et autorité administrative.

§ 1 : La distinction entre personne morale de droit privé et personne morale de droit public

·         C’est une distinction fondamentale. Il existe des spécificités qui tiennent au fait qu’une personne morale de droit public exerce des activités d’une nature particulière, qui résident dans l’intérêt général.

·         A quoi tient la distinction ?

Elle repose sur un statut juridique différent, et un certain nombre de privilèges juridiques sont attachés à la personne morale de droit public.

A.    Un statut juridique différent

Différent car spécifique, et car ambivalent.

1)      Un statut spécifique

·         On peut recenser au moins trois différences.

§  La première tient dans le fait que la création des personnes morales de droit public n’est jamais le résultat d’une initiative privée, tandis que c’est toujours le cas en droit privé.

o   En droit public, la loi est nécessaire non pas pour borner les conditions de formation, mais pour créer la personne publique.
ð  Par exemple, le statut de la commune découle de la Constitution française et de la loi.

o   D’où une difficulté, qui consiste à distinguer entre les catégories de personnes morales de droit public et une personne morale de droit public. Création de catégorie/de personne.

ð  Exemple : projet de créer une nouvelle université. La question qui se pose est de savoir qui peut prendre la décision de créer l’université. Le gouvernement ou le législateur ? Cette question est organisée par l’article 34 de la constitution qui prévoit que le législateur est compétent pour créer des catégories nouvelles d’établissement public. Or ici, une université n’est pas une catégorie nouvelle : il en existe déjà. Dans ce cas de figure, le pouvoir réglementaire est habilité à créer une nouvelle université, car le genre université existe déjà.

o   Parfois, c’est de la volonté des personnes morales de droit public que naissent de nouvelles personnes morales de droit public.
ð  Exemple : création d’un groupement d’intérêt public (regroupement de collectivités territoriales) ; regroupement de communes pour créer un syndicat de commune.

§  autre différence : les administrés qui sont membres des collectivités publiques n’ont aucune liberté d’adhésion au groupement. Celle-ci est imposée par la loi, tandis qu’on est libre d’entrer dans une administration, de se syndiquer…
ð  exemple : on ne décide pas d’être contribuable d’une commune donnée. Cela découle de la domiciliation.
ð  Le fait d’exercer la profession de commerçant fait que l’on dépend d’une chambre de commerce.

o   C’est là un critère pertinent de distinction. Arrêt du tribunal des Conflits, 1899 association des propriétaires et riverains du canal de Gignac (GAJA). Il s’agit d’une association constituée de propriétaires dont les propriétés sont riveraines d’un canal. Cette association est constituée pour en entretenir les berges : chaque propriétaire versant une cotisation. La question qui s’est posée était de savoir si c’était une association de droit privée ou une association syndicale de propriétaires. Le Tribunal des conflits a jugé qu’il s’agissait d’un établissement public, car les adhérents étaient obligés d’adhérer. Voir commentaire GAJA.

§  la troisième différence : les buts assignés aux personnes morales de droit privé et de droit public sont différents.

o   En effet, les personnes morales de droit public sont régies par le principe de spécialité. Cela signifie qu’elles ne peuvent agir qu’en fonction des intérêts en vue desquels elles ont été créées. Tout cela n’est pas très loin de l’objet social consacré par le droit des sociétés…mais cette notion est plus large que le principe de spécialité, qui induit que ces personnes morales de droit public ne peuvent pas avoir d’activité annexe.

o   De plus, les buts sont toujours d’intérêt général, c'est-à-dire que l’action des personnes morales de droit public est toujours soumise au contrôle du juge qui va vérifier.

ð  Ce principe de spécialité a posé des difficultés, notamment à l’égard des EPIC : établissements publics à caractère industriel ou commercial.

2)      Un statut ambivalent

·         Ce statut est ambivalent dans la mesure où ces personnes morales ont en vérité une double casquette, étant à la fois personne morale et expression de la puissance publique.

§  Cette double dimension a immédiatement une réalité juridique concrète.

o   En tant que personne morale, la collectivité territoriale ou l’Etat a des droits attachés à cette qualité. C’est notamment la capacité juridique, qui se traduit par la possibilité de disposer d’un patrimoine, la capacité des contracter, celle d’agir en justice. C’est ce qui correspond au minimum de l’autonomie juridique.

o   De l’autre, la capacité juridique attachée à la personne morale s’exerce dans le cadre du droit public. La personne publique n’a donc pas les mêmes aptitudes juridiques que la personne morale de droit privé.

ð  Par exemple, elle n’a pas seulement une capacité à agir, elle a aussi des compétences qui lui sont dévolues par la loi.

§  La question qui se pose alors est celle du rapport entre la notion de compétence et celle de capacité. Certains auteurs expliquent qu’il s’agit de deux notions diamétralement opposées : l’une correspondrait au droit privé, l’autre au droit public.
La capacité, c’est une habilitation permanente à agir, à décider. C’est la règle, alors que l’incapacité (la compétence) est l’exception.
La compétence par définition est quant à elle l’exception : pour qu’une personne morale puisse décider, il faut qu’elle ait une habilitation législative.

o   En droit public, ces deux dimensions se combinent : une personne morale de droit public peut agir en justice, passer des contrats mais que dans les conditions autorisées. Toutefois, il lui est interdit de contracter en matière de police.

v  La fiction qu’est la personnalité juridique a eu des incidences historiques considérables. En effet, finalement, cet instrument a conduit à transposer en droit public un certain nombre de constructions juridiques que l’on pratique aussi en droit privé.

ð  Par exemple, concernant la responsabilité, on admet plus facilement que l’Etat est responsable car il a un patrimoine etc…

ð  De même pour la propriété de l’Etat : on admet aujourd’hui que les collectivités publiques sont propriétaires de leurs biens.

B.     Les privilèges attachés au statut de personne morale de droit public

·         Le premier privilège est celui de relever d’un régime de droit administratif et d’être soumis à la compétence du juge administratif.

§  Le problème est que ce critère organique n’est jamais suffisant. C’est pour d’autres raisons que l’activité sera soumise au droit public (exercice de la puissance publique, service public). Ce rôle n’est pas déterminant, mais nécessaire. C’est une condition préalable. Son rôle est non négligeable, mais doit être complété par des critères matériels.
Cela rejoint la controverse doctrinale entre Hauriou et Duguit.
ð  Exemple : il ne suffit pas qu’une partie au contrat soit publique pour que le contrat soit administratif ; mais il aura moins de chance de l’être si aucune des parties ne l’est.

·         Des règles de fond bénéficient aux personnes publiques.

§  le principe d’insaisissabilité des biens des personnes publiques. On ne peut pas demander la saisie des biens d’une personne publique. On traduit cette réalité en disant que les voies d’exécution du droit commun sont impraticables contre les personnes publiques. On ne peut saisir les biens des personnes publiques, car elles sont affectées au service public.

§  interdiction du recours à l’arbitrage pour les personnes publiques. L’arbitrage, c’est la possibilité de faire régler ses litiges avec un tiers par un autre qu’un juge. Les personnes publiques n’ont en principe pas cette possibilité.

§  impossibilité pour un établissement public de faire l’objet d’une procédure collective de redressement/liquidation judiciaire.

·         Deux autres privilèges d’importance sont à noter :

§  la déchéance quadriennale : c’est le fait que les dettes de l’Etat et des collectivités publiques s’éteignent passé un délai de quatre ans. Les prescriptions en droit civil sont beaucoup plus longues…

§  la technique de l’Etat exécutoire : elle permet aux collectivités publiques de recourir aux services du Trésor  Public pour recouvrer les créances (sans avoir donc à passer par le juge).

·         Pour le reste, les spécificités sont peu nombreuses.

§  La notion d’acte administratif unilatéral : on pourrait imaginer que seul l’Etat peut prendre des actes administratifs.
Le Conseil d’Etat en 1942 dans l’arrêt Monpeurt (GAJA) a admis que certains organismes de droit privé pouvaient aussi prendre des actes administratifs parce qu’ils sont en charge de service public.

§  De la même manière, les travaux publics (travaux en vue de la réalisation d’un équipement public) sont régis par un régime spécial, et sont dotés de privilèges. On a admis que des travaux lancés par des opérateurs privés pouvaient être qualifiés de travaux publics : Conseil d’Etat, 1955, Effinieff (GAJA).

§  Enfin, on pourrait imaginer que la possibilité de bénéficier d’une expropriation pour cause d’utilité publique n’appartienne qu’aux personnes morales de droit public, mais le Conseil d’Etat a jugé contraire : 1935, société des établissements Vezia ; à propos d’un organisme de sécurité sociale qui avait besoin de créer un équipement d’intérêt général.


v  Les privilèges attachés aux personnes morales de droit public existent, mais sont peu importants : distinction fondée, mais pas à valoriser. Le critère organique a un rôle sesondaire en droit public.

§ 2 : La distinction des personnes publiques et des autorités administratives

·         C’est une distinction nécessaire à avoir en tête. L’autorité administrative, c’est l’organe qui agit au nom de la personne publique.

ð  Exemple : la commune est la personne morale de droit public, l’autorité administrative sont le maire et le conseil municipal.

ð  De même, l’université est la personne morale de droit public, celui qui décide est le président de l’université et le conseil d’administration.

·         Parfois, cette distinction amène à des confusions. Notamment quand on utilise le terme de compétence. En effet, il faut faire attention à la signification qu’on donne à ce terme.

§  On peut parler des compétences de la commune. Il s’agit là de considérations matérielles (gestion des établissements primaires…). Toutefois, pour mettre en œuvre ces compétences, il y a la notion de compétence au sens formel de savoir qui est compétent pour décider. La décision peut-elle être prise par le maire ou le conseil municipal ?
On devrait retenir la compétence formelle de l’autorité qui agit au nom de l’autorité publique.

§  Cette distinction est également obscurcie par une innovation législative récente que l’on appelle les autorités publiques indépendantes. Cette autorité n’a pas le même statut que les autorités administratives indépendantes.
Ces deux types d’autorité ont un pouvoir de décision. On les appelle à ce titre des organes régulateurs.
Le législateur a été dire que les API étaient dotées de la personnalité morale de droit public, alors que les AAI sont des autorités agissant au nom de l’Etat. Cela crée beaucoup de confusions et de difficultés.
Le législateur comprend le droit comme une boîte à outil, laissant aux praticiens se débrouiller avec cette complexité nouvelle.

Section 2 : L’Etat, personne morale publique prééminente


·         La France est un pays de tradition centralisatrice. L’organisation administrative française a longtemps été le modèle de l’Etat unitaire centralisé. Cela signifie que par tradition, les missions administratives sont prises en charge par les services de l’Etat dans le cadre d’une organisation hiérarchique et pyramidale.

·         Les sommets de l’administration se confondant avec le gouvernement puisque les services administratifs de l’Etat, qu’ils soient déconcentrés ou centraux, sont placés sous l’autorité directe d’un ministre ; qui est à la fois chef d’une administration et membre du gouvernement.

·         L’administration française est d’abord une administration étatique, qui à ses sommets confond une dimension administrative et politique. Il ya tout de même des cas de dissociation entre ces deux dimensions.

ð  Exemple : les AAI ont un statut qui garantit une certaine indépendance ; elles ne relèvent de l’autorité d’aucun ministre, ni du chef de l’Etat ou du gouvernement.

·         On touche là une des premières difficultés qui consiste à étudier l’Etat. Ce n’est pas simplement une collection de services qui ont en charge l’administration du pays, c’est surtout et d’abord une réalité politique et constitutionnelle. La constitution, qui est notre texte fondamental, traite bien de l’Etat en tant qu’organisation politique, elle distribue les pouvoirs en son sein, en affirme la souveraineté, mais à aucun moment il n’est fait état de la personnalité morale de l’Etat. C’est donc une première difficulté : le texte qui institue l’Etat est d’abord un texte à vocation politique.

o   C’est là une des premières spécificités de l’Etat. Normalement, la personnalité morale de droit public découle toujours d’un texte. Dans le cas présent, aucun texte n’attribue la personnalité juridique à l’Etat ; d’où la difficulté de penser cette personnalité juridique de l’Etat.

-          C’est quelque chose qui est venu progressivement, et des auteurs (Léon Duguit) ont toujours refusé cette idée. Celle-ci va cheminer progressivement au cours du XIXe siècle.

-          On en trouve quelques traces sous l’Ancien régime, avec la formule de Louis XIV : l’Etat, c’est moi. Il y a là une personnification de l’Etat dans la personne du roi. Mais ce n’est pas exactement cette approche qu’ont les légistes royaux. Ceux-ci énoncent la théorie des deux corps du roi : le roi est la personne physique Louis XIV, mais aussi la personnification d’autre chose, l’intérêt commun du royaume. C’est un début d’institutionnalisation juridique de l’Etat au-delà de la personne du roi.

-          Après la Révolution, il n’y a plus de roi : cette théorie est abandonnée. Il s’agit d’énoncer une nouvelle théorie qui consisterait à dire que l’Etat est aussi dans le commerce juridique et non pas seulement au-dessus. En effet, si on considère que l’Etat n’est que puissance politique, on ne peut réparer les dommages qu’il aurait causés.  Le propre de la souveraineté est de s’imposer à tous sans compensation. Mais à partir du moment où il intègre le commerce juridique, il faut le juridiciser. Une des manières de le faire est de lui accorder la personnalité juridique, ce qui le met dans le commerce juridique. Il serait à la fois au-dessus (l’Etat fait la loi) et dans le système juridique.

Le problème est que cette information est indémontrable, c’est une technique juridique. Dès lors qu’on accole la personnalité juridique à l’Etat, ce n’est pas une personnalité juridique comme les autres. Elle présente trois caractéristiques :

v  C’est une personne morale de droit public :
-          Souveraine
-          Universelle (pas de principe de spécialité)
-          Emprunte d’une idée d’unité de la personnalité juridique de l’Etat

§ 1 : L’Etat, personne morale de droit public souveraine

·         L’Etat est souverain car il n’a de comptes à rendre à aucune autre structure juridique.

o   Dans l’ordre international, l’Etat dispose d’un monopole, d’une exclusivité d’action qui n’est pas reconnue aux autres collectivités publiques, aux collectivités territoriales ou aux établissements publics. L’Etat est le seul habilité à exercer la fonction diplomatique (nouer des relations internationales, signer traités et accords internationaux).

ü  Celle-ci est rappelée par la loi : avec la réforme de la décentralisation se sont développés des mécanismes de coopération transfrontalière ou décentralisée, mis en place par une loi du 6 février 1992. Cette loi autorise les collectivités territoriales à développer des relations avec des collectivités publiques étrangères ; mais la loi rappelle qu’aucune convention de quelque nature que ce soit ne peut être passée entre une collectivité territoriale et un Etat étranger.
Aujourd’hui, les mécanismes de coopération transfrontalière sont encouragés notamment par l’Union européenne. Des structures existent : les GERCT pour faciliter cette coopération.

o   Dans l’ordre interne, l’Etat est la seule personne publique qui peut librement fixer ses pouvoirs et ses attributions. Il a  la compétence de sa competence (G. Jellinek).

ü  C’est une différence très nette avec les collectivités territoriales, puisqu’elles n’ont pour compétence que ce que l’Etat décide de leur attribuer ou de leur transférer. C’est là tout l’enjeu des discussions de chaque réforme des collectivités territoriales (réforme actuelle : représentants des collectivités territoriales remontés : transfert de compétence sans compensation financière) : la relation n’est pas égalitaire.
D’où une distinction importante qui est celle entre loi ordinaire et loi constitutionnelle. La première est votée par la majorité parlementaire, la seconde appelle une sorte de consensus politique. Tout l’enjeu du développement de la décentralisation est d’offrir des garanties aux collectivités territoriales dans la Constitution elle-même, pour les mettre à l’abri de la loi, qui n’est autre que l’expression de la volonté politique du moment.

ü  Une personne morale de droit public a la compétence de décider ce que seront les autres, et c’est pour cette raison qu’en 2003, la Constitution française a été modifiée par la loi constitutionnelle du 18 mars qui a inscrit dans la Constitution un certain nombre de principes décentralisateurs qui se trouvaient jusqu’alors dans la loi.
ð  Exemple : on a inscrit le principe de subsidiarité (une compétence administrative doit être exercée au niveau de proximité le plus pertinent), celui d’autonomie financière.

ü  Cela vaut aussi pour les établissements publics : c’est la loi (ou le pouvoir réglementaire : Premier ministre pour ceux de l’Etat, conseiller municipal pour les communaux) qui les crée, mais c’est encadré par l’article 34 de la Constitution. Catégorie existante = règlement. Nouvelle = loi.


§ 2 : L’Etat, personne morale de droit public universelle

·         Universelle : cela signifie que les compétences de l’Etat ne sont pas a priori matériellement limitées. Cette universalité des compétences de l’Etat est territoriale et fonctionnelle.

o   Territoriale : cela signifie que les compétences de l’Etat s’exercent sur l’intégralité du territoire national, alors que les compétences des collectivités territoriales ne s’exercent que sur une portion du territoire national.

ü  Cela signifie que la compétence de l’Etat territorialement se superpose sur la compétence des collectivités territoriales. Cela signifie que l’aptitude qu’ont les autorités locales à traiter des questions locales (le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune = clause générale de compétence) s’arrête aux questions qui ne sont pas locales mais nationales, alors même que ces questions nationales ont des applications locales.

ð  Exemple : on décide de la création d’une LGV pour relier Paris à une ville de province. Pour la créer, on est amené à traverser des communes. Si celles-ci protestent en invitant la population locale à se prononcer par référendum…en droit, la délibération du conseil municipal est nulle, et la consultation des électeurs par référendum est impossible car c’est de la compétence de l’Etat. L’intérêt local n’existe que s’il n’interfère pas avec le droit national.

o   Fonctionnelle : l’Etat peut prendre en charge n’importe quel type d’activité : culturelle, économique, sociale…

ü  Cette aptitude à prendre en charge toute question correspond au modèle étatique français : l’Etat français, par tradition est un Etat interventionniste (au-delà des clivages politiques : Colbert, Charles de Gaulle, hommes de droite qui ont fait intervenir l’Etat).

ü  C’est ce qui distingue profondément l’Etat d’un établissement public. Ce dernier est soumis au principe de spécialité. Ce dernier n’est jamais opposable à l’Etat.

ü  Aujourd’hui, il y a tout de même une tendance d’inspiration néolibérale portée par le droit communautaire qui consiste à dire que des activités n’ont pas à être prises en charge par l’Etat. Même dans ce cas de figure, l’Etat ne peut pas se voir opposé le principe de spécialité.


ð  Exemple : Conseil d’Etat, 1970, société Unipain. Elle a été une entreprise de boulangerie. Elle voulait vendre du pain aux établissements pénitentiaires. Elle s’aperçoit que ce dernier ne fait pas appel à ses services mais se sert auprès des boulangeries militaires. Elle fait donc un recours devant le juge administratif en invoquant une concurrence déloyale de la part de l’Etat. Le Conseil d’Etat rejette cet argument en rappelant que l’Etat n’est pas soumis au principe de spécialité, pouvant produire ce dont il a besoin pour ses propres services, et en plus de cela, il y a un principe d’unité de la personnalité juridique de l’Etat (le service du ministère de la justice et des armées est la même personne juridique).

v  Il faut ajouter que les fonctions de l’Etat ne sont pas simplement administratives : l’Etat est dans un système unitaire comme la France la seule entité de droit public qui peut exercer des fonctions de nature politique (l’Etat fait la loi) et des fonctions de nature juridictionnelle (l’Etat rend la justice). Ce n’est pas le cas dans tous les systèmes juridiques.

ð  Exemple : les Etats fédérés des Etats-Unis peuvent adopter leurs propres lois et ont aussi leur propre justice.

v  C’est si vrai, que l’exercice par l’Etat de sa fonction législative et de sa fonction juridictionnelle est susceptible d’engager la responsabilité juridique de l’Etat (exemple : violation du droit communautaire ; prescription article 6 de la CEDH). Dans ces cas de figure, l’Etat est poursuivi devant les juridictions administratives.

§ 3 : L’unité de la personnalité juridique de l’Etat

·         Cette unité trouve à s’exprimer de trois manières :

o   Aucune administration de l’Etat, aucun service de l’Etat ne dispose de la personnalité juridique. Ils sont partie intégrante de l’Etat.
En cas de faute commise par une préfecture donnée, ce n’est pas le service de préfecture qui est traduit devant les tribunaux, mais l’Etat, personne morale au nom duquel ils agissent.

§  Les API ont quant à elles la personnalité morale. A celle-ci est attachée une autonomie budgétaire et la possibilité de recevoir des taxes pour les sanctions qu’elles donnent (c’est une disposition pratique).
La régulation est ici confiée à quelque chose qui est à côté de l’Etat, mais cela sert quelques avantages de fonctionnement.

o   L’autre expression de l’unité juridique de l’Etat consiste en son unité budgétaire.

§  Celui-ci a un budget unique. Un budget est un acte de prévision : l’Etat, lorsqu’il adopte la loi de finance, prévoit pour l’année à venir ce que seront ses recettes et ses dépenses. Dans le même temps, c’est un acte d’autorisation : la loi de finance autorise les services de l’Etat à dépenser.

§  Ce budget est unique, et cette unité financière de l’Etat est au plan organique illustrée par l’administration du Trésor.

o   Au plan contentieux, une autorité d’Etat ne peut attaquer une décision prise par une autre autorité de l’Etat.


Section 3 : Décentralisation et émergence des personnes publiques secondaires


·         Dans un Etat unitaire, il existe plusieurs manières de concevoir l’organisation de l’appareil administratif.

§  Le système qui a été historiquement pratiqué est celui de la centralisation : l’essentiel des compétences formelles est alors dans les mains du gouvernement et de l’administration centrale. Les ordres sont ensuite répercutés dans l’administration hiérarchisée.

o   Ce système n’est plus pertinent : les sociétés contemporaines sont complexes, elles appellent une diversification des interventions publiques, besoin de rapprocher le lieu de décision de ses implications. La centralisation administrative n’est donc pas le bon modèle de fonctionnement.

§  On a donc cherché à mettre en œuvre d’autres dispositifs.

o   Un premier tempérament à la centralisation est la déconcentration : le pouvoir de décision, qui reste dans l’administration d’Etat est transféré aux autorités étatiques situées géographiquement sur l’ensemble du territoire. La déconcentration annonce généralement une organisation de nature différente, qui repose sur une conception autre des relations entre le centre et les territoires.

o   Cette conception là, c’est la décentralisation, qui consiste alors à confier le pouvoir de décision à des collectivités distinctes juridiquement, et politiquement (conseils élus) de l’Etat. Elles possèdent la personnalité morale de droit public. C’est la décentralisation politique reposant sur des conseils élus.

o   Cette distinction entre décentralisation et déconcentration est obscurcie par une technique qui emprunte aux deux logiques : c’est la décentralisation technique, ou fonctionnelle. C’est quelque chose qui joue sur les deux dimensions, et qui consiste notamment à créer des établissements publics (université).
On reprend dans le détail cette double distinction.

§ 1 : Décentralisation et déconcentration

·         La déconcentration consiste en une redistribution du pouvoir de décision au sein de l’organisation de l’Etat avec transfert de ce pouvoir de décision de l’autorité centrale vers des autorités étatiques réparties sur l’ensemble du territoire.
La déconcentration en tant que mode d’organisation repose sur le principe juridique hiérarchique. Celui-ci reconnaît un certain nombre de pouvoirs au profit de l’autorité centrale (ministérielle) sur les autorités déconcentrées. Le pouvoir hiérarchique correspond à trois types de pouvoirs.

§  C’est un pouvoir d’instruction : l’administration centrale délivre des instructions  (circulaires) où elle explique aux autorités déconcentrées comment elles doivent agir, comprendre la loi à mettre en application. Le souci étant d’éviter que l’on ait une application différente de la loi dans chaque préfecture.

o   Ce pouvoir hiérarchique est un principe général du droit : il n’a pas besoin qu’un texte le prévoit et existe au profit de toute autorité supérieure dès lors qu’il y a eu déconcentration des pouvoirs de décision.

Ø  C’est ce qu’a jugé le Conseil d’Etat dans un arrêt Quéralt de 1950, dans une affaire où un administré avait saisi le ministre de ce que l’on appelle un recours hiérarchique lui demandant de réformer une décision prise par une autorité déconcentrée. Le ministre avait refusé. Le Conseil d’Etat avait annulé la décision de rejet du ministre en disant que le principe de pouvoir hiérarchique suppose trois pouvoirs (instruction, annulation, réformation), et dans ces conditions le ministre devait au moins accepter de regarder le dossier.

·         Dans la décentralisation, c’est autre chose : elle consiste au contraire à transférer des compétences à des entités juridiques distinctes de l’Etat et auxquelles la loi confère une autonomie statutaire (la collectivité décentralisée a sa propre organisation : assemblée délibérante, exécutif).
·         La décentralisation repose aussi sur une autonomie budgétaire : budget propre, qu’elle gère de manière autonome,
·         et d’une autonomie fonctionnelle exercée par des compétences à exécuter.
·         Il y a aussi des moyens attachés à ces compétences : un patrimoine et des agents qui lui sont propres (les agents de la fonction publique territoriale).
·         Cette autonomie n’est permise en droit que par le procédé de la personnalité morale de droit public. C’est le seul moyen en droit pour lui assurer cette autonomie.

§  La décentralisation induit entre l’Etat et les collectivités territoriales un rapport inégalitaire, qui n’est pas un rapport de type hiérarchique. Pour déterminer cette relation particulière, les juristes utilisent le terme de tutelle exercée par l’Etat sur les collectivités. Il s’agit d’un contenant plus qu’un contenu.

o   Dans un Etat unitaire, il y a toujours une tutelle exercée par l’Etat. Mais celle-ci peut varier dans son contenu en fonction de l’autonomie que l’Etat entend laisser aux collectivités territoriales.

-          Avant 1982 (loi du 2 mars sur les droits des collectivités territoriales), il existait des collectivités territoriales. Quand J. Lang était ministre de la culture, il expliquait que l’on était passé du jour aux ténèbres. Mais avant cela, il y avait déjà des communes, mais les pouvoirs de tutelle étaient conçus de manière extrêmement forte.

-          Aujourd’hui, on n’a pas supprimé la tutelle, mais on l’a reconfigurée.

-          La tutelle n’est donc pas nécessairement moins exigeante que le contrôle hiérarchique. Elle peut prévoir un pouvoir d’annulation de la même manière que l’aurait une autorité hiérarchique, mais aussi des pouvoirs que n’a pas l’autorité hiérarchique. Encore aujourd’hui, le préfet a des pouvoirs sur les autorités locales qu’un ministre n’a pas sur un préfet, notamment le pouvoir de substitution d’action qui permet pour l’autorité de tutelle d’agir à la place de l’autorité décentralisée si elle n’agit pas. Le préfet peut mettre en demeure le maire de prendre un arrêté de police contre une manifestation, et se substituer à lui s’il ne le fait pas.


o   Les pouvoirs de tutelle n’existent pas de plein droit à la différence des pouvoirs relevant de la hiérarchie. D’où l’adage : Pas de tutelle sans texte, pas de tutelle au-delà des textes.

v  La déconcentration est donc d’une autre nature que la décentralisation (approche politique).
Cette dimension politique est reconnue dans la Constitution française depuis la révision du 18 mars 2003 qui a modifié l’article 2 de la constitution : la République française est une et indivisible, son organisation est décentralisée.

Le problème, c’est qu’à côté de la décentralisation politique, il existe la décentralisation technique. Or, ce n’est pas la même chose.

§ 2 : Décentralisation politique et décentralisation fonctionnelle ou technique

·         La décentralisation technique est à différencier de la décentralisation politique.

§  La décentralisation politique consiste à permettre à des populations d’être gérées par des conseils qu’elles élisent. D’ailleurs, l’article 72 définit ainsi le principe de libre administration.

§  Quant à la décentralisation fonctionnelle, elle consiste simplement en la dotation d’un service (de l’Etat ou d’une collectivité territoriale), d’une autonomie juridique et financière (exemple : un jour, il a été décidé que ce n’était plus le ministère de l’Education nationale qui gérait l’enseignement supérieur, mais les universités).


o   Cela consiste donc en la création d’établissements publics.

v  On voit ici deux structures totalement différentes : d’un côté l’université, de l’autre une collectivité territoriale ; qui en droit ont le même habillage juridique, ayant deux personnes morales de droit public.
Finalement cette notion de personnalité morale de droit public n’a que peu d’incidence et de valeur explicative sur ce qu’est réellement l’institution en cause ; tandis que les personnes morales de droit privé ont des choses en commun. On a là deux instruments différents.

On va voir cela en deux points :


A.    Les collectivités locales, cadre de la décentralisation politique
(non traitée ici, voir dokeos, ce n’est pas au programme…)

B.     Les établissements publics, instruments de la décentralisation fonctionnelle

Séance de TD : établissements publics/collectivités territoriales : lire les développements du A) (ne suffit pas).
Voir dokeos 2e séance corrigée + approfondissement du cours + plan.

A.     Les collectivités territoriales, cadres de la décentralisation politique

Collectivités locales et collectivités territoriales. Les deux termes sont régulièrement utilisés l’un pour l’autre et tenus pour synonymes. La Constitution et la loi (CGCT) retiennent désormais le terme de CT. Si elle assoit la légitimité politique des institutions locales, la formule a l’inconvénient en droit de ne pas être suffisamment significative dès lors que l’Etat aussi est une collectivité territoriale. Les collectivités locales ont longtemps été réputées n’être que des personnes publiques de « seconde zone ». Elles ont ainsi longtemps été maintenues dans une situation de totale dépendance à l’égard du pouvoir d’Etat qui n’a été remis en cause qu’à partir de la loi du 2 mars 1982 laquelle vient concrétiser le principe de libre administration inscrit dans la Constitution depuis pourtant 1958 (1946 ?)

1 La Décentralisation sans la libre administration des collectivités locales

Le modèle républicain d’administration territoriale est resté marqué par la tradition
révolutionnaire. Il reste un modèle jacobin qui caractérise par l’ambiguïté du statut
des administrations locales.
Les deux grandes chartes républicaines du 10 août 1871 pour le département et
du 5 avril 1884 pour la commune n’organisent qu’une décentralisation en trompe
l’oeil.

Certes ces textes disposaient que : les collectivités locales s’administrent par des
conseils élus et qu’il appartient à ces conseils de régler par leurs délibérations les
affaires d’intérêt local. Mais d’une part, les compétences effectivement exercées par les collectivités locales sont peu nombreuses (voir toutefois à propos de la création des services publics locaux). Aucun texte n’est ainsi venu organiser des transferts de compétences significatives : l’urbanisme reste une affaire d’Etat tout comme l’action sociale ou économique.

D’autre part, ces textes retiennent une conception maximale de la tutelle qui revient à doter l’Etat de pouvoirs équivalents à ceux qu’il détient sur ces propres services Les communes étaient assujetties aux contrôles a priori qu’exerçait le préfet : le plus lourd à accepter quoique progressivement réduit à six catégories d’actes (mais les plus importants étant l’approbation préalable à laquelle demeuraient subordonnée la force exécutoire des principales délibérations du Conseil Municipal. Notamment le budget.

D’autre part, le préfet représentant de l’Etat dans le département était aussi par la grâce du dédoublement fonctionnel l’autorité exécutive de cette collectivité. C’est lui notamment qui préparait et exécutait les principales décisions du Conseil général (dont le budget) lui qui assurait la gestion des personnels et du patrimoine départemental A celà s’ajoutaient comme autres marques du centralisme administratif:

L’uniformité des statuts locaux décidé par l’Etat (une même organisation pour toutes les communes qu’il s’agisse d’un petit bourg rural ou une grande ville de province

L’émiettement des structures : la France compte ainsi plus de 36000 communes dont les deux tiers ont moins de 500 habitants et près de 90 % moins de 2000. Auxquelles s’ajoutent 95 départements. Ce qui prive la plupart des collectivités locales des moyens d’action nécessaires et qui accentuent leur dépendance à l’égard de l’Etat. La situation juridique des collectivités locales s’inscrit dans une continuité historique héritée de la Révolution.

Pour ne prendre qu’un exemple, le statut des collectivités locales était telle qu’au
début du XXe siècle l’idée prévalait encore que les communes ou les
départements n’exerçaient en règle générale au contraire de l’Etat et à l’image
des personnes privées que de simples activités de gestion relevant du droit privé
et de la compétence du juge judiciaire. Il faudra attendre les arrêts Terrier de
1903 (contrat) et Feutry de 1908 (en matière de responsabilité) pour que le
Conseil d’Etat se fondant sur la notion de service public transpose au contentieux
des collectivités locales les règles de compétence appliquées à l’Etat depuis
l’arrêt Blanco.




2. La libre administration des collectivités locales, fondement de la nouvelle décentralisation

C’est sur une conception très différente de la décentralisation que repose l’organisation administrativecontemporaine de la France. Fondée depuis 1982 sur la mise en oeuvre effective du principe de libre administration, elle s’attache à offrir aux collectivités locales les garanties de leur autonomie juridique dans le texte même de la Constitution.

A.     La loi du 2 mars 1982, une réforme systémique

En matière de décentralisation, le tournant politique date de la loi du 2 mars 1982 laquelle a
renversé nombre de principes du centralisme administratif.

La tutelle préalable du préfet sur les actes des collectivités locales est totalement
refondue; la loi lui substitue un contrôle a posteriori confié au juge administratif
: les actes des collectivités locales deviennent exécutoires de plein droit (dès leur
transmission au préfet pour les plus importants) à charge pour le préfet en cas de
désaccord sur leur légalité de saisir le juge.

Il est mis fin au dédoublement fonctionnel : l’exécutif du département est
transféré au Président du conseil général c’est à dire à un élu.

Il est crée un troisième niveau d’administration locale décentralisée : la Région
dont l’assiette territoriale doit permettre de mener des actions administraitives
d’envergure.

Des compétences significatives et non plus supplétives sont transférées aux
collectivités locales. Par exemple, l’urbanisme à la Commune, l’action sanitaire
et sociale au Département, l’action économique aux Régions. Il reste qu’en dépit
de ce transfert par bloc de compétence, l’Etat a conservé d’importantes
prérogatives de sorte que c’est plutôt un système de coadministration qui se met
en place notamment par le biais des financements croisées.

Enfin, des lois ultérieures s’efforceront de promouvoir le regroupement des
communes dont en particulier la loi chevennement de 1999 après une première
tentative en 1992 et d’assurer la participation directe des citoyens à la décision
locale (loi 2002 Démocratie de proximité et 1992).

b.  La loi constitutionnelle du 28 mars 2003, la consécration dans la Constitution de la
décentralisation

La loi du 2 mars 1982 a été adoptée à droit constitutionnel constant.
C’est dire qu’en dépit d’une jurisprudence constructive du Conseil constitutionnel, la Constitution ne rendait pas compte de l’évolution de notre système d’administration territoriale laissant l’effectivité du principe de libre administration à la merci d’évolutions législatives ultérieures comme allait le montrer à la fin des années 1990 l’adoption de textes plus restrictifs non censurés par le Conseil constitutionnel.

Les principes de 1982 ont été pour l’essentiel repris et consolidés dans le texte constitutionnel plaçant désormais les collectivités locales à l’abri d’éventuelles remises en cause décidées par le pouvoir politique.

La loi constitutionnelle poursuit plusieurs objectifs :

-          Affirmer la vocation prioritaire des collectivités locales à se saisir des questions
de nature administratives susceptibles d’être mieux réglés au niveau local (C’est
le principe de subsidiarité : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre
les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises
en oeuvre à leur échelon », art 72 C.),

La réforme a été immédiatement suivie par la loi du 13 août 2004 qui organise de
substantiels transferts de compétencesconsacrer l’existence d’un pouvoir réglementaire localouvrir aux autorités locales des possibilités d’expérimentation,
consacrer l’existence de la région, garantir l’autonomie financière des collectivités territoriale au travers du principe de compensation des charges transférées.
C) La loi de 2010, une réforme des structures territoriales

Section 3 : Les établissements publics, instruments de la décentralisation fonctionnelle


·         L’établissement public a été conçue au départ comme une structure indépendante, autonome ayant vocation à assurer la gestion d’une activité de service public de l’Etat ou d’une collectivité territoriale.

Ø  Pour caractériser cette situation, Léon Duguit parlait de service public personnalisé.

Ø  D’autes auteurs de service public patrimonialisé.

§  Dans la plupart des cas, il résulte de la transformation d’un service interne à l’Etat ou à la collectivité territoriale en établissement public (ayant la personnalité morale).

§  La conséquence est qu’aujourd’hui, compte tenu de l’extrême dispersion des activités de l’Etat, on a une grande disparité des établissements publics (EP).

o   Le Conseil d’Etat dans son rapport 2010 sur les établissements publics, a chiffré à à peu près à 800 le nombre d’EP nationaux. Il n’y en a pas 800 sortes, mais il y a 800 unités contenues dans des séries.

Si on se tourne vers les EP locaux (rattachés à une CT), on en dénombre près de 8000 (on ajoute collèges, lycées et EPCI qui sont au nombre de 2 500). On en crée tous les jours.

ð  Exemples :

-          la cité nationale de l’histoire de l’immigration est un EP
-          la ferme de Rambouillet créée en 1783 par Louis XVI est aussi un EP

v  Quel est l’intérêt de créer un EP ?
Quel est le régime de l’EP (comment le crée-t-on ?) ?
Rapport entre EP et CT, qui a la légitimité politique ?

§ 1 : Les enjeux de la personnalisation publique du service : pourquoi un service géré en régime direct devient un EP ?

·         On dénombre plusieurs raisons : un EP présente de nombreux avantages qui tiennent à la plasticité de la formule.

§  L’EP permet d’abord de conférer une autonomie de gestion à une activité, notamment

o   dans des champs de compétence de l’Etat où l’indépendance est consubstantielle à la mission exercée.

ð  exemple : les universités appellent une forme d’indépendance, puisque les professeurs sont régis par le principe constitutionnel d’indépendance. De même : le CNRS, les grandes écoles, les hôpitaux. Dans certains cas, cela favorise aussi des legs, notamment en matière culturelle (musées).

o   La création d’un EP tient aussi compte du fait que l’on a des missions spécifiques au sein de l’administration, que l’on peut matériellement isoler du reste de l’activité de la collectivité.

ð  Exemple : un théâtre municipal. Cela présente des avantages en termes de gestion : la discussion quant au fonctionnement du théâtre n’est pas gérée par l’organe délibérant de la collectivité territoriale. D’où l’existence des centres communaux touchant aux affaires culturelles.

o   L’EP permet aussi d’associer à la gestion de l’EP les usagers du service et les agents du service.

ð  Exemple : université gouvernée par un Conseil d’administration.

o   On crée presque spontanément un EP quand l’activité de service public est une activité de prestation, par exemple de nature industrielle et commerciale.
ð  Exemple : au niveau local, les régies locales de distribution d’eau/d’électricité.

o   Parfois quand même, des motifs plus obscurs justifient la création d’un EP. En effet, il permet d’échapper à des contraintes du droit public général.

ð  Exemple : pour échapper aux rigueurs du droit budgétaire, il peut être tentant d’en instituer un. En effet, le droit budgétaire est dominé par le principe de non affectation des recettes publiques : quand un service dégage des recettes, celles-ci ne lui sont pas affectées automatiquement. Précisément, la création d’un EP permet d’y faire obstacle : les recettes générées par le service pourront être réaffectées au service, puisqu’il n’y a qu’un seul service.

ð  Les recours à l’EP peut aussi parfois permettre d’échapper aux règles de la gestion des personnels de droit public : normalement, tous les agents de l’Etat sont des agents publics à qui on applique le droit de la fonction publique, emprunt de formalisme et de contraintes juridiques. Si l’on crée un EP à caractère industriel ou commercial, le personnel peut être de droit privé.

ð  On peut aussi déroger aux règles de la comptabilité publique : s’ils y sont soumis normalement, un simple décret va permettre d’y échapper.

Avantages pour avoir une souplesse de gestion.

§ 2 : Le régime juridique de l’établissement public

La création d’un EP est soumis à des principes destinés à garantir une certaine cohérence de l’appareil administratif : il faut éviter que l’on en crée pour n’importe quel type d’activité, éviter leur dispersion totale. Il faut édicter des règles communes, faire en sorte que le rattachement à une collectivité territoriale soit effectif.

A.    La création des EP


·         L’enjeu de la question consiste à savoir qui de la loi ou du règlement détient le pouvoir de doter un service de la personnalité morale. Si c’est un service local, le pouvoir réglementaire pourrait être celui du conseil municipal.

§  Pendant longtemps, le législateur a bénéficié d’une compétence très large, ayant un monopole de compétence pour les établissements publics de l’Etat, ce jusqu’à la IVe République.

§  La constitution de 58 a modifié la règle du jeu. L’article 34 de la constitution nous dit : la loi fixe les règles concernant la création de catégories d’établissements publics.

Toute la question juridique est de savoir ce à quoi correspond cette catégorie.

Ø  Si l’EP ne ressemble à rien de ce qui existe déjà, la loi devra le créer, puisqu’il constitue en lui-même une catégorie.

Ø  Au contraire, si l’EP ressemble à des EP déjà existant, l’intervention du législateur n’est pas nécessaire, et le pouvoir réglementaire peut décider de sa création.

o   Reste à savoir à quoi on reconnaît une ressemblance, et il faut pour cela un critère fiable. La jurisprudence constitutionnelle est à peu près fixée depuis 1979, décision du 25 juillet, agence nationale pour l’emploi . Il nous dit :  relèvent d’une même catégorie au sens de l’article 34 les EP dont l’activité  s’exerce territorialement sous une même tutelle administrative et dont la spécialité est analogue.
A l’origine, au début des années 60, la jurisprudence avait posé un 3e critère. L’activité devait être de même nature : soit administrative, soit industrielle et commerciale. Critère abandonné à juste titre, car la distinction entre les deux est contingent dans la jurisprudence.

Il y a deux critères :
-          L’exigence d’un rattachement territorial identique : il y a d’un côté les EP d’Etat, et de l’autre les EP locaux.
La question qui peut se poser est de savoir ce qu’il faut entendre par EP  local  : faut-il spécifier chaque rattachement à une collectivité territoriale donnée (commune, département, région) ?
A priori, à travers l’exemple des offices publics de l’habitat, il semble que la jurisprudence administrative s’en tienne à la distinction binaire entre EP d’Etat et EP locaux. En l’espèce, les OPA peuvent être communaux, interdépartementaux…critère non exigeant.

-          Le critère d’une spécialité analogue : la jurisprudence administrative (le Conseil d’Etat, dans son activité consultative, car il est normalement consulté sur un projet de décret) l’a précisé.

Ø  Des exemples d’EP qui ont été jugés comme nouveaux et ne se rattachant pas à une catégorie existante.

ð  Le CNRS, arrêt contentieux du Conseil d’Etat 17 juin 1985  syndicat national des chercheurs scientifiques  correspond à une catégorie en soi.

ð  Autre exemple : EDF et GDF : dans un avis de 1996, le Conseil d’Etat a jugé qu’ils constituent à eux seuls une catégorie d’EP, eu égard à la nature et à l’ampleur des missions qui lui sont assignées ; car d’autres structures sont chargées de produire de l’énergie.
ð  A l’inverse, la question s’est posée pour météo France : le Conseil d’Etat a jugé que ce n’était pas une nouvelle catégorie (il ne démontre pas les catégories analogues).

Ø  La tendance actuelle est à limiter la compétence du pouvoir réglementaire, c'est-à-dire à interpréter strictement la notion de catégorie préexistante.
Exemples :

ð  le Conseil d’Etat a exigé en 2005 que l’agence nationale de l’habitat dont le rôle est d’attribuer des aides pour financer des projets de reconstruction était une nouvelle catégorie, alors qu’il y a toujours eu des organismes publics chargés de ce type de mission.

ð  Autre exemple, à propos de l’agence nationale d’accueil des étrangers et de l’immigration. Objet : verser des aides aux étrangers et migrants. La question s’est d’autant plus posée de l’analogie qu’il existe déjà l’agence nationale pour la cohésion nationale et l’égalité des chances, dont le rôle est d’accorder des aides à des publics défavorisés. Le Conseil d’Etat a expliqué qu’il n’y avait pas d’analogie parce que ce n’était pas le même public, ni le même type d’aide, d’après un avis de 2005.

Ø  Pendant longtemps, l’analogie de la spécialité exigeait que l’activité soit de même nature, et que l’on intervienne dans le même domaine. Progressivement, la jurisprudence paraît avoir abandonné ce critère supplémentaire.
Exemples :

ð  La question s’est posée de savoir ce qu’il en était des cercles et des foyers militaires : y avait-il analogie ? le Conseil d’Etat a répondu favorablement, parce qu’il existe les Crous. L’analogie n’est ici pas évidente.

ð  Autre exemple : l’EP national destiné à promouvoir le sport et la pratique sportive. Le Conseil d’Etat a jugé que cet EP avait des semblables déjà existants, et ceux-ci sont le centre national de la cinématographie, le centre national du livre, et le centre national de la chanson des variétés et du jazz. Là non plus, l’analogie n’est pas évidente.

B.     La fixation des règles constitutives de l’EP

·         Là encore, la fixation de ces règles relève de la compétence du législateur. Cela signifie que chaque fois que l’on va modifier une des règles constitutives d’une catégorie d’EP, on touche à la catégorie elle-même, et donc il faut que ce soit la loi qui en décide. Que sont ces règles constitutives de la catégorie ?

§  Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat nous disent que ce sont les règles qui fixent le cadre général de son organisation et de son fonctionnement : 1964, radiodiffusion-télévision française, Conseil constitutionnel.

o   Le problème, c’est que la jurisprudence consacre le règne de la casuistique.

-          Relèvent de la loi : la spécialité de l’établissement,  la définition des règles de tutelle (relation établissement-collectivité territoriale ou Etat : mécanismes de contrat d’établissement). De la même manière, la détermination des organes de direction, leur composition et voir même le mode de désignation ; les ressources et la nature des ressources dont peut bénéficier l’établissement (: droits d’inscription dans les universités).

-          A l’inverse, relèvent du pouvoir réglementaire des choses importantes mais non décisives : choix du nom de l’établissement, désignation des ministres qui vont siéger dans les conseil d’administration vont exercer la tutelle, les conditions d’éligibilité des membres des conseils d’administration, la détermination du caractère administratif ou industriel et commercial de l’établissement (on verra qu’il y a toutefois des risques de requalification par le juge). Enfin, le transfert des activités par une partie vers un autre Etat ou retour vers un ministère.


v  Problème : de nombreuses questions ne peuvent être réglées que par la loi : facteur de rigidité absolue qui peut pénaliser la souplesse de fonctionnement des services.

(souplesse = élément transversal en matière d’EP ?)

C.    Tutelle et protection de l’autonomie attachée à la personnalité juridique

·         La tutelle, c’est le rapport juridique entre l’EP et la collectivité territoriale auquel il est rattaché. C’est une enveloppe, non un contenu. Principe : pas de tutelle sans texte, pas de tutelle au-delà des textes. Le rattachement est indiqué normalement par les textes constitutifs de l’EP.

§  Le Conseil d’Etat a pu rattacher en aval selon le principe que tout EP doit être techniquement rattaché à une collectivité territoriale. A ce rattachement correspond la tutelle.

o   Elle implique notamment que les autorités de l’Etat disposent du pouvoir de nomination des dirigeants, que les représentants de l’Etat siègent dans les instances dirigeantes et puissent intervenir dans la gestion, enfin que l’autorité de tutelle ait la possibilité de contrôler les actes de l’établissement (qu’ils leur soient transmis).


o   Comme la tutelle est une enveloppe, son contenu peut varier fortement d’un EP à l’autre. On a des cas où la tutelle est très proche, avec de vrais pouvoirs d’intervention et d’autres cas où elle est totalement relachée. Les rapports du Conseil d’Etat dénoncent cette situation : on est à la limite du rattachement à l’appareil étatique ; devant qui vont-ils rendre compte de leur gestion ?
ð  De là des catastrophes, dont celle du crédit lyonnais dans les années 90 : la tutelle n’a pas joué son rôle.

§  La jurisprudence intervient essentiellement pour protéger pleinement l’autonomie des EP, elle fait en sorte que la tutelle soit une limite à l’autonomie et non la négation de celle-ci. Le juge est donc parfois amené à intervenir pour faire respecter ce principe.
Exemples :

ð  le Conseil d’Etat veille à ce que ce soit le directeur général de l’EP qui dispose du pouvoir réglementaire d’organisation du service.  Ce pouvoir ne doit pas relever de la tutelle : Conseil d’Etat, 1976, centre psychothérapeutique de Thuir.

ð  Autre exemple : pour protéger l’autonomie des EP, le Conseil d’Etat va censurer les décisions des ministres qui empiètent sur les compétences des organismes des EP. C’est ce qui s’est produit quand un Premier ministre (E. Cresson) avait engagé des délocalisations autoritaires. Annulation du Conseil d’Etat : la décision relève des organes directeurs des EP : CE, 4 juin 1993, association des anciens élèves de l’ENA.

§  Le Conseil d’Etat prend donc des arrêts pour protéger l’autonomie de gestion, d’où une fois que l’Etat a créé un EP, il faut qu’il soit cohérent avec ce choix, laissant aux organes directeurs des EP une certaine liberté d’appréciation dans la conduite du projet de l’EP.
Exemples :

ð  avis du Conseil d’Etat de 2006 sur les personnels de bibliothèque de l’enseignement supérieur. Le décret prévoyait que l’administration centrale ait un véritable pouvoir hiérarchique sur les dirigeants des bibliothèques. Le Conseil d’Etat a estimé que le décret ne peut être adopté tel quel car le pouvoir de tutelle exclut tout pouvoir de type hiérarchique.

ð  Autre exemple : la Cour des comptes a jugé en 1992 que l’autonomie des EP empêche au gouvernement d’imposer à l’EP des dépenses étrangères à son objet.

D. Le principe de spécialité

·         Celui-ci correspond à l’activité/ aux missions que les textes institutifs attribuent à l’EP. Il peut exister des EP sans activité de service public personnalisé.

ð  Exemple : arrêt du Tribunal des conflits 1889, propriétaires du Canal de Gignac.

·         La spécialité signifie que l’EP ne peut pas avoir comme sphère d’activité autre chose que ce qui lui a été assigné par l’Etat.

o   Toutefois, l’activité assignée peut en regrouper plusieurs, ce qui peut poser des difficultés. La spécialité est normalement une limite, bien que cela puisse servir pour étendre les compétences.

o   C’est aussi ce qui distingue l’EP de la collectivité territoriale (qui détient une clause générale de compétence). La spécialité peut déborder, notamment lorsqu’on a affaire à un EPIC, qui peut être tenté de développer des activités connexes. Que fait-on alors ?

Conseil d’Etat, 1994, à propos de la diversification de GDF l’a admis en montrant le lien entre activités connexes et activités principale.

v  Les EPIC soulèvent de manière assez générale de vraies difficultés, qui participent de la crise de la notion de la personne morale de droit public.




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