mercredi 5 octobre 2016

LA CRISE DE LA NOTION DE PERSONNE PUBLIQUE

Cette crise est multiforme et affecte la substance même de la notion. Elle est multiforme car :
·         Elle tient à la multiplication des structures dotées de la personnalité morale de droit public (CT, GIP, EP, API, personnes publiques sui generis …).
·         De plus, les EP territoriaux qui sont à cheval sur deux types de personnes publiques : les CT et les EP (ex : la CUB est un EP, mais qui ressemble à une CT).
·         Enfin, c'est que la loi institue des personnes morales de droit privé pour gérer des services publics en lieu et place des personnes morales de droit public.

Section 1 : La personnalité morale de droit public : une technique juridique dépourvue d’utilité

·         Cette absence d’unité se caractérise de deux manières :

-          d’abord, la notion d’EP rend elle-même compte de réalités très variables. Il n’y a pas de véritable unité catégorielle. C’est une catégorie juridique où cohabitent diverses catégories sociologiques. Crise interne de la notion d’EP.

-          Le deuxième élément est la multiplicité des personnes publiques spéciales.

v  C’est donc à la fois une catégorie qui n’est pas fixée de l’intérieur et qui est concurrencée de l’extérieur.

§ 1 : Les disparités internes de l’EP

·         L’EP est un service public personnalisé. C’est en ce sens que la technique a d’abord été organisée.

·         Mais la réalité est plus complexe, au sens que l’exploitation d’un service public n’est pas la seule justification du recours à la formule d’EP. Cela est apparu très vite.

o   Déjà au début du XXe siècle, M. Hauriou faisait une distinction d’ordre sociologique au sein des EP. Il distinguait entre les EP fondatifs et les EP corporatifs.

-          L’EP fondatif correspond au service public personnalisé.

-          A côté existeraient des EP corporatifs, qui ne sont là que pour donner une certaine forme d’autonomie juridique à des groupes humains, des administrés qui partagent un certain nombres d’intérêts auxquels l’administration ne peut pas se désintéresser, car participant à l’intérêt général.

Ø  Hauriou prend pour exemple l’affaire du canal de Gignac. L’idée de le qualifier d’EP est pour rendre l’adhésion à cette association obligatoire et c’est surtout pour la perception d’une redevance obligatoire pour faire l’entretien des berges du canal. C’est là purement instrumental.
Il existe d’autres exemples : chambres de commerce et d’industrie, regroupent des commerçants, ont vocation à défendre leurs intérêts, chambres d’agriculture, chambres des métiers (artisans). C’est une manière de revenir sur les corporations interdites à la Révolution par la loi le Chapelier, tout en plaçant ces corporations sous le régime public. Les EP peuvent même obliger à certaines actions. C’est donc un modèle très différent des associations.

v  La distinction que nous propose Hauriou n’est toutefois pas aussi pertinente qu’il n’y paraît.

-          En effet, il peut y avoir des EP fondatifs ayant une dimension corporative : des EP pour gérer un service public, mais permet la représentation des agents, usagers… 

ð  exemple : les universités. Elles ont pour première mission d’assurer une mission de service public : dispenser le savoir ; en même temps, le mécanisme de l’EP permet la participation des agents et des usagers aux organes de direction de l’université.
ð  De même pour l’hôpital public.

-          A l’inverse, il existe des EP corporatifs qui ont pu se voir accordées de véritables missions de service public.

ð  Exemple : chambres de commerce et d’industrie à qui on confie l’organisation de foires, de salons, la gestion d’écoles de commerce, des aéroports régionaux (loi de 2005 prévoit la constitution de sociétés aéroportuaires au capital duquel participent les EP).

v  Cette distinction est intéressante, mais pas à survaloriser. Il montre la disparité.

o   On a des EP à qui on a confié historiquement des missions qui ne sont pas de prestation, au sens matériel des missions de service public. On leur a confié des missions de réglementation. Celle-ci est aussi une forme de service public, mais il y a une distinction en droit administratif entre la police et le service public en tant qu’activité de prestation. Des EP n’ont qu’une activité de réglementation.

ð  Dans les années 30, au moment où l’intervention de l’Etat battait son plein, sous le Front Populaire, on a constitué des offices d’intervention, notamment sur le marché agricole. Celles-ci avaient une seule mission : organiser le marché agricole, essentiellement par de la réglementation. Tous étaient des EP.

o   Il a pu exister à une époque des EP à qui on a confié des activités d’entreprise à la suite des nationalisations (36/45/82 : 3 vagues de nationalisation).
Un certain nombre de celles-ci étaient des EP (exemple : les charbonales de France), alors qu’il n’y avait aucune idée de service public derrière.

De la même manière, on a aujourd’hui une entreprise d’Etat à but exclusivement lucratif : la fdj, dont le Conseil d’Etat s’est toujours refusé à dire que c’était un service public en expliquant qu’il n’y avait pas là une mission de service public (certains ont parlé à son propos de futilité publique.)

o   Il y a aussi des EP qui sont aussi d’une nature particulière, placés ainsi par la jurisprudence ou la loi.

o   Distinction entre EP administratifs et EP à caractère industriel ou commercial. C’est une distinction tout à fait importante puisque les EPIC sont soumis par principe aux règles de droit privé, et exceptionnellement à l’application de règles de droit public : une personne morale de droit public est soumise au droit privé.

On distingue ainsi les EPIC des EPA, et même la catégorie d’EPA fait l’objet aujourd’hui d’un traitement pathologique par le législateur, puisqu’au sein des EPA, le législateur nous dit qu’il existe des EP à caractère scientifique, culturel et professionnel (universités), sans que l’on sache très bien ce que signifie cette qualification. Le législateur nous dit que ce n’est pas un EPA, mais c’est un EPA au sein de de la jurisprudence car on ne sait pas distinguer. C’est là un effet de marketing politique, EPA est péjoratif, c’est renier l’autonomie de l’université.

v  Il y a donc une grande hétérogénéité juridique qui ne correspond pas à la sociologie.

Faible densité juridique des EP illustrée par la société nationale des chemins de fer. « Société nationale » car elle est la résultante de la nationalisation des chemins de fer en 36 : depuis le XIXe, l’Etat aidait les sociétés privées en les subventionnant, d’où la création de la SNCF. Société d’économie mixte (privé = 1%) en 82, avec l’alternance politique, on transforme la SNCF en EPIC, mais on l’appelle toujours SCNF. Cette transformation n’a eu aucune incidence sur ses modalités de fonctionnement. Il y a là une sorte d’artifice juridique.

§ 2 : La multiplicité des personnes publiques spéciales

Compte tenu de la plasticité de la notion d’EP, on pourrait penser que le législateur aurait pu s’arrêter là. Mais celui-ci a institué d’autres formes de personnes morales de droit public spéciales. Il y a deux catégories : les GIP, et les autres. Ces dernières sont appelées personnes publiques suis generis.



A.    Les GIP

·         C’est un nouveau type de personnes morales qui permet à plusieurs institutions, notamment publiques, de s’associer par convention, (son support institutionnel est donc le contrat) pour une durée provisoire parfois même avec des personnes morales de droit privé pour mettre en commun des moyens afin de faire quelque chose ensemble ; ce quelque chose étant nécessairement une activité d’intérêt général.

o   La première fois que la loi a prévu ce type de GIP, c’est en 1982, loi sur le développement des activités scientifiques, puis la loi de 1984 sur l’enseignement supérieur. C’était pour permettre à des laboratoires d’université de s’associer notamment avec des industriels pour développer un projet (c’est de la RD).

o   Il peut s’agir d’opérations ponctuelles, par exemple pour organiser le cinquantennaire du débarquement de 1949 : on a créé un GIP (Etat, collectivité territoriale, associations d’anciens combattants se sont regroupés).

o   Normalement, le GIP est provisoire, il est là pour faire un activité ponctuelle. C’est déjà là un problème aujourd’hui : certains GIP durent, s’installent. C’est une structure molle qui dure, pour en vérité gérer des activités qui puisqu’elles durent ressemblent à des services publics.

Ø  Exemples :

ð  GIP relatifs aux questions d’habitat et de logement pour les sans abris. Ce n’est pas un problème ponctuel…

ð  Pire, le législateur utilise parfois la structure du GIP pour créer des réalités institutionnelles. Par exemple, le code de la santé prévoyait les agences régionales d’hospitalisation, remplacées aujourd’hui par les agences régionales de la santé. Elles sont constituées de manière obligatoire par la loi, sans durée. De même pour l’Etat et les caisses de sécurité sociale pour gérer les crédits à affecter aux hôpitaux.

o   Le TC a été amené à se prononcer sur ce qu’est un GIP juridiquement, dans un arrêt du 14 février 2000 : GIP habitat et intervention sociale pour les mal logés et les sans abris, qui nous dit deux choses :

-          Confirmant un avis du Conseil d’Etat : les GIP sont des personnes morales de droit public. Difficulté : on peut admettre en leur sein des personnes morales de droit privé.

-          Est-ce-que ce sont des EP pour autant ? la question est importante : si oui, le régime de l’EP s’applique aux GIP, et en particulier les règles de création, la question de la tutelle, de la spécialité. Sur ce point, le TC nous dit que ce sont des personnes publiques, mais ce ne sont pas des EP, dans la mesure où le fonctionnement souhaité n’est pas le même. Cela a des implications claires : les règles de tutelle qui valent pour les EP ne valent par pour les GIP.
Seule réserve : ce ne sont pas des EP sous réserve de l’application de l’article 34 de la constitution sur les catégories d’EP, donc sur les catégories de GIP. Réserve pour limiter la création des GIP et rendre nécessaire l’intervention du législateur pour créer un type de GIP.


B.     Les personnes publiques sui generis


·         A côté de ces GIP, il existe les personnes publiques sui generis, et en particulier la Banque de France.

Ø  A propos de la Banque de France, on a un arrêt du Tribunal des conflits de 1997, société la fontaine de mars.
Problème important : la Banque de France a des missions régaliennes, qui consistent en la conduite de la politique monétaire, en lien avec la BCE. Il s’agit aussi d’une activité d’intérêt public, avec des prérogatives de puissance publique, des dirigeants nommés par l’Etat (son président est  nommé par le PDR). Mais le problème est qu’à l’origine, créée sous l’Empire, la Banque de France est qualifiée par la loi de société par action. Le Tribunal des Conflits et le Conseil d’Etat ont dit que c’était une personne morale de droit public, mais dont on ne connaît pas la natureà personne morale de droit public sui generis.

Le législateur lui-même a utilisé une qualification douteuse en 1990 à propos d’une loi sur La Poste et France télécom en les qualifiant d’exploitants de droit public.
Qu’est-ce ? un EP ? un GIP, du sui generis ? on ne le sait pas…

Il faudrait rajouter à cette liste les API.

§ 3 : L’ambigüité des EP territoriaux

·         La technique de l’EP est utilisée pour faire un peu de tout et en partie pour développer des politiques de regroupement entre communes. C’est aujourd’hui une nécéssité que de chercher à lutter contre l’émiettement communal (36 000 communes : chiffre qui vient de notre histoire nationale : Révolution).

o   Il y a toute une politique de réorganisation du territoire de manière à ce que les communes atteignent un périmètre pertinent pour mener des actions publiques. Cette politique passe par la technique de l’EP qui permet de doter le regroupement communal d’une autonomie, d’abord juridique, qui lui permet d’avoir des organes dirigeants, et également d’un certain nombre de compétences que vont transférérer les communes membres, ainsi que de disposer d’un budget découlant soit de transferts financiers des communes membres, soit de l’impôt.

o   Le problème est qu’il y a une variété d’EP territoriaux. Il ne faut pas les confondre avec les EP locaux.

-          Les EP territoriaux visent les EP d’intervention intercommunale.

-          Les EP locaux sont rattachés à une commune/à un département.

§  Il existe aujourd’hui une palette d’EP intercommunaux qui sont différents les uns des autres avec des formes très intégrées, et qui sont susceptibles d’élalobrer un véritable projet commun : communautés urbaines, communautés d’agglomération, communautés de communes. L’EP a de véritables compétences et de véritables moyens.

ð  En matière d’urbanisme, le plan local d’urbanisme est commun à l’ensemble des communes de la CUB, élaboré par le conseil des communes.

§  A côté de ces EP de projet, il y a l’intercommunalité de serviceplusieurs communes se regroupent pour régir un même service public (distribution d’eau, ramassage scolaire, des ordures ménagères…). Elle s’appuie sur une structure qui est soit le syndicat intercommunal à vocation unique ou le syndicat intercommunal à vocation et objet multiple.

v  Le problème, est que ces EP, et notamment les communautés urbaines, d’agglomération, de communes se substituent aux collectivités territoriales, puisqu’elles en exercent les compétences. Le problème est que quand on parle de la CUB, les élus de la CUB sont des élus considérés comme locaux. Mais ce ne sont pas des collectivités territoriales pour deux raisons :

-          Les conseils communautaires ne sont pas élus au suffrage universel : ils ne représentent pas les citoyens de l’agglomération. Il sont simplement des délégués des communes. Le suffrage universel est donc très indirect. Or, la constituion parle de conseils élus. Ce n’est pas le cas ici, il est l’émanation des conseils municipaux des communes membres.

-          Les collectivités territoriales disposent de la clause générale de compétence : les communes ont vocation à se saisir de l’ensemble des questions susceptibles d’intéresser la population locale sous réserve des questions qui relevent de l’intérêt national. Au contraire, un EP n’a pas de clause générale de compétence. Il a des compétences spéciales. C’est le principe de spécialité.

Existe-t-il toujours quand on parle de la CUB par exemple (transport, logement, urbanisme, éducation…) ? Ce n’est pas une collectivité territoriale, mais ce n’est pas non plus un EP : c’est une sorte de trans genre.

Le problème est aussi politique : si on prend le cas de la CUB, les anciennes compétences administratives, qui ont une véritable incidence sur les habitants de la CUB. Les compétences administratives sont exercées au niveau de la CUB, mais le choix des électeurs se fait pourtant au niveau de la municipalité. Cela pose un problème démocratique.

v  Il y actuellement un projet de réforme territoriale en fin de parcours législatif  qui prévoit un flechage lors des élections municipales : sur la liste des candidiats, certains seront soulignés, si la liste l’emporte, ce seront les premiers de la liste qui siégeront au conseil communal. C’est une manière indirecte de les élire. C’est un biais, parce qu’on ne veut pas les transformer en collectivité territoriale.
Il suffirait pour cela deux choses : leur attribuer la clause générale et le suffrage universel. On ne le veut pas parce que ça ferait disparaître les communes, qui font l’objet d’un consensus politique ; et parce qu’il n’est pas dit que la population locale accepte.

*      Ces EP ne sont plus tout à fait des EP, ce sont des collectivités territoriales qui n’ont pas encore émergé, l’opinion n’étant peut-être pas encore prête…

Section 2 : La personnalité morale de droit public, une technique juridique privée d’identité fonctionnelle


·         Cela signifie que les EP ont été créés pour gérer les activités de service public. Or, il se trouve que notre système juridique permet parfois même depuis longtemps qu’un service public puisse être géré par des organismes de droit privé. Ici, on a des organismes de droit privé qui sont institués par la loi pour gérer des services publics.

o   Quand on parle de personne morale de droit privé qui gère des services publics, on ne parle pas des EPIC (ces personnes morales sont de droit public).

o   Quand on parle des ces institutions créés par la loi, on ne fait pas allusion non plus à la délégation contractuelle du service public. Il s’agit d’une personne morale de droit public qui est chargée d’une mission de service public, mais qui demande à une entreprise privée d’exercer une mission pour elle, sous son contrôle.

ð  Exemple : la CUB est chargée du service public des transports urbains, mais elle délègue l’exécution des tâches matérielles de cette compétence à une entreprise privée par laquelle elle est liée par contrat : à Keolis. Il ne faut pas confondre institution de droit privé créée par la loi et délégation par la collectivité territoriale.

v  Depuis les années 30, et surtout par  l’arrêt de 1938 : caisse primaire aide et protection, du Conseil d’Etat, à propos de l’institution des premières allocations sociales et familiales, le service public de sécurité sociale est confié à une institution de droit privé.
v  De manière plus nouvelle, l’EPIC apparaît comme une structure inadéquate pour gérer des services publics marchands ou industriels et on tend à les remplacer par des sociétés commerciales, qui restent parfois publiques.

§ 1 : La transformation des EPIC en sociétés commerciales

·         Traditionnellement, au moins depuis 1945, l’EPIC était la forme d’organisation privilégiée par les pouvoirs publics pour gérer ce qu’on appelait les grands services publics nationaux, qui étaient généralement issus des lois de nationalisation : chemin de fer…à caractère industriel et commercial et qui bénéficiait en plus d’un monopole public.

·         Le problème, c’est que le droit communautaire a remis en cause ce mode d’organisation. Il a commencé à interdire le monopole public sur ce type de service public (transport aérien, ferrovière…). Il les a donc ouvertes à la concurrence (téléphones, gaz, électricité, La Poste, transport ferrovière) dans un cadre juridique contraignant.

o   Le droit communautaire a expliqué que puisque les activités étaient concurrentielles, le statut d’EP conférait des avantages aux entreprises qui en bénéficiaient et que l’on appelait opérateurs historiques. Notamment, l’idée qu’un EP ne peut jamais faire faillite, ayant une garantie de l’Etat. D’où un avantage dans la compétition économique.

o   La Commission a invité les Etats membres à modifier le statut des EP. Ainsi, nos grands opérateurs nationaux ont perdu le statut d’EP et ont été transformés en sociétés commerciales à capitaux  publics majoritaires, la deuxième étape étant la privatisation du capital de ces grands opérateurs (c’est déjà le cas dans France télécom : l’Etat n’a plus qu’une minorité de blocage).

§2 : L’institution d’organismes publics dotés de la personnalité juridique de droit privé

·         Ce titre appelle une précision : sens fonctionnel, sociologique de ces organismes publics : à qui l’on confie des missions qui sont celles habituellement des autorités publics. Mais au plan juridique, ce sont des personnes morales de droit privé.

C’est là une évolution marquante, mais aussi préoccupante dans la mesure où elle bouleverse les repères juridiques, est source de confusion juridique.

o   C’est sans doute cette évolution qui caractérise le mieux ce que l’on a appelé la crise de l’EP. En effet, on a vu qu’ils étaient une structure créée pour gérer un service public, et c’est pourquoi la structure qui va gérer cette activité a une nature de droit public. Mais depuis les années 30, on a vu apparaitre à l’initiative le plus souvent du législateur des structures qui ont en charge une mission de service public mais dont le statut est de droit privé.
ð  L’exemple le plus typique de cette réalité sociologique sont les caisses de sécurité sociale.

v  L’EP est donc une forme juridique concurrencée, le droit privé pouvant faire aussi bien que le droit public.

·         2e précision : ce mouvement qui consiste à instituer par la loi, le règlement des structures de droit privé pour gérer un service public ne doit pas etre confondu avec une autre pratique de l’administration publique qui consiste par contrat (on parle de délégation de service public) à confier sous son contrôle une mission de service public. Dans le second cas, l’administrtation garde la repsonsabilité du service public. Seulement, elle fait appel aux services d’une entreprise privée pour exécuter ce service. Exemple : CUB-Keolis.
Dans le cas présent, on confie aussi la responsabilité du service. Il n’est pas seulement délégué, il est attribué par la loi pour le gérer, l’organiser.
·         3e remarque : la situation que nous allons étudier n’est pas comparable aux services publics à caractère industriel ou commercial. Matériellement, ce service est de droit privé, parce que son activité est comparable à celle d’une entreprise.

    1. LA PERSONNALITÉ MORALE DE DROIT PRIVÉ, FORME ALTERNATIVE D'ADMINISTRATION PUBLIQUE

Aujourd'hui, de très nombreuses de structures privées peuvent être chargées de gérer des SP : caisses de sécurité sociale, associations, structures ayant la forme de sociétés commerciales (société d'économie mixte SEM, notamment SEML L : locale).
Quelles sont les raisons qui amènent les pouvoirs publics à faire appel à ces organismes de droit privé ? Ces raisons sont en vérité très variées :
  • D'abord des raisons techniques qui tiennent au caractère rigide de la structure de l'EP. La rigidité de l'EP entraine l'application d'une certain nombre de règles de droit public (agents publics, marchés publics, comptabilité publique …). Parfois, on peut préférer une structure de droit privé qui sera plus souple.
  • Il peut aussi y avoir des raisons plus politiques, notamment en ce qui concerne les caisses dé sécurité sociale. La structure de droit privé marque un moindre degré d’étatisation, notamment parce que le système de sécurité sociale est paritaire (géré par les syndicats et la patronat, l'État n'a qu'une petite place). La structure privé permet la représentation d'intérêts plus large et atténue l'étatisation de la structure (avec EP : tutelle, rattachement, structure de droit public).
  • Il peut aussi y avoir des raisons sociétales qui tiennent à l'existence du monde associatif. Il y a un fort esprit associatif en France. Indépendamment de l'État, les citoyens peuvent faire quelque chose (bienfaisance, solidarité, don …). Il se peut parfois que les pouvoirs publics profitent de ce phénomène sociétal pour venir se greffer dessus et demander à une fédération d'association de gérer un SP. C'est classique dans le domaine du loisir (fédérations de pêche, de chasse, de sport …).

La question est de savoir si l'administration a le choix pour choisir le mode de gestion : peut-on mettre sur le même pied les structures de droit public et les structures de droit privé ?
Le CE a répondu dans un arrêt CE, Ville d'Aix-en-Provence, 2007. Le CE fait un obiter dictum (c'est-à-dire "soit dit en passant"). Le CE dit qu'il existe plusieurs formes institutionnelles pour gérer un SP et que les CT ont toute latitude pour choisir telle forme ou une autre. Le CE dit que les CT peuvent recourir tant à des formes de gestion directe et indirecte et il fait la liste : le SP peut être géré en régie, sous la forme d'un EP, peut faire l’objet d'une délégation à un opérateur privée sous deux formes (délégation unilatérale (par loi ou règlement. Ex : caisses de sécurité sociale) ou par voie conventionnelle (convention de délégation de SP. Ex de Keolis)).
  • Les faits : Aix-en Provence organisait un festival et confiait l'organisation de ce festival à une association. La question était de savoir si les subventions allant à cette association pouvait y aller de plein droit ou s’elles pouvaient être attribuées à une autre structure qui se disait intéressée pour organiser le festival. Aurait-on du mettre en concurrence les deux structures ? Le CE dit que l’association qui gère le festival est une sorte de démembrement de la commune puisqu'on est dans la situation d'une reconnaissance après coup du caractère d'intérêt publique de l'activité gérée par une association de droit privée. Le CE dit que toutes les formes de gestion se valent, il n'y en a pas une qui serait prioritaire. => banalisation du fait qu'une structure de droit privé peut se voir reconnaître la gestion d'une activité de SP, soit par délégation (unilatérale ou conventionnelle), soit par reconnaissance après coup de l'intérêt public de l'activité qu'elle gère.
Pourquoi le CE admet aussi largement la multiplication des modèles de gestion du SP ? Il ne fait que consacrer et accompagner une situation de fait qui s'est développée d'abord à l'insu de sa jurisprudence et ensuite avec l'accord de sa jurisprudence.
L'interventionnisme publique amène la puissance publique à s'intéresser à de multiples domaines. Et pour que cet interventionnisme soit supportable, il faut en quelque sorte diversifier, nuancer les formes d'intervention. Si l'État prenait en forme toutes les activités de SP, on serait dans un régime de dictature. Le CE l'a très tôt compris et la jurisprudence a été très tôt orienté vers cette orientation.
  • Le premier arrêt est l'arrêt Société des établissements Vezia, CE, 1935. Il s'agit d'une société de prévoyance qui entend agrandir ses locaux. Elle se tourne vers l'administration et demande au préfet de bénéficier d'une expropriation pou cause d'utilité public. Le préfet fait droit à cette demande et l'affaire est portée devant le juge car les sociétés Vezia contestent la possibilité d'engager la procédure d'expropriation pour cause d'utilité au bénéfice d'une personne privée. Le CE va écarter le recours de la Société Vézia et admet que la procédure d'expropriation peut être engagée au profit d'une société de droit privé en raison de l'intérêt public qui s’attache à ses missions. Ainsi, des prérogatives de puissance publique peuvent être utilisées au service d'organismes de droit privé, dès lors qu'elle a des missions d'utilité publique.
  • Un pas décisif est franchi : Caisse primaire Aide et Protection, CE, 1938. Ici, le CE a à connaître d'une affaire intéressant le droit applicable à une caisse d'assurance sociale qui est constituée sous la forme d'un organisme de droit privé. La question est de savoir si les règles applicables à certaines services publics s'appliquent à cet organisme. Le CE répond: la caisse d'assurance sociale est chargée d'une mission de service publique, alors même que c'est un organisme de droit privé.
L'intérêt de cette jurisprudence est d'accompagner une évolution sociale qui voit des organismes de droit privé de missions d'intérêt général. Le CE a refusé de mettre fin à ce mouvement et a donc validé cette évolution. Mais il l’a aussi validée pour maintenir ce type d'organismes sous son contrôle, ou dans le périmètre de son contrôle, l'idée que ce n'est pas parce que ce sont des organismes de droit privé que le CE ne peut pas les contrôler. Le CE doit les contrôler car leur activité est une mission de SP et que tout ce touche le SP l'intéresse.
Cette politique jurisprudentielle va trouver sa consécration dans deux arrêts qui bouleversent la théorie générale du droit administratif : arrêt Monpeurt, 1942 et Magnier 1961. Certaines actes pris par ces organismes de droit privé sont des actes administratifs, c'est-à-dire des actes qui peuvent être contestés devant le CE. C'est une révolution : l'idée qu'un acte administratif puisse être pris par quelqu'un d'autre qu'une autorité administrative. Cela signe la mort du critère organique du droit administratif.
Question : tous les actes pris par les organismes de droit privé sont-ils tous des AA ? Réponse : non. Le CE dit que ces organismes de droit privé prennent des AA dans le cadre des missions que la loi leur reconnaît dès lors que prenant ces actes, ils mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique.
Par exemple dans l'affaire Magnier, 1961 : la question touche à un organisme qui a pour mission de lutter contre les maladies et parasites dans le domaine agricole. L'une des questions qui se pose tient au fait que les agriculteurs sont tenus d'adhérer à cette association et donc de payer une cotisation. La question de savoir quand est-ce que le JA est compétent, c'est à chaque fois que l'association met en œuvre une prérogatives de puissance publique, par exemple, quand elle oblige un agriculteur à payer. Ici, ce type de décision peut être contestée devant le JA.
Magnier confirme explicitement ce que Monpeurt avait suggéré implicitement.
v  Le problème est que si cette jurisprudence consacre une évolution de nature économique et sociale, cette évolution entraine toute une série de difficultés juridiques. C'est une confusion des repères et a posé plus de problèmes au droit privé, qu'elle n'en a résolu d'autres.

                             B.            LES PERSONNES ADMINISTRATIVES DE DROIT PRIVÉ, SOURCES DE CONFUSIONS JURIDIQUES
Admettre qu'une structure de droit privé soit instituée pour gérer un SP est source d'un certain nombre de confusions. Ces confusions sont à la fois d'ordre général (remise en cause des catégories juridiques qui fondent la distinction du droit privé et droit public) mais aussi d'ordre particulier (notamment pour les associations transparentes).
      1. La question particulière des associations transparentes
C'est une association constituée par une collectivité publique pour prendre en charge une activité qui relève normalement des mission de la collectivité publique.
Exemple type : les associations para municipales. La question qui se pose en droit est de savoir dans quelle mesure cette association est une réalité juridique (organes propres, financement dont elle a la maitrise) ou au contraire, cette association est transparente c'est-à-dire qu'elle n'est qu'un intermédiaire factice, une structure écran qui permet à la collectivité publique de continuer à gérer en direct ses missions par d'autres moyens (ici privés) ?
En quoi cette notion de transparence est habituellement importante ? Elle permet au juge de remonter jusqu'à la collectivité publique et ne pas s'en tenir à l'apparence. S'il y a association transparence, il n'y a pas autonomie juridique, et il faut donc traiter l'association comme la collectivité publique elle-même.
  • Ça vaut pour le juge financier : considère, lorsqu'il est en face d'une association transparente, que les fonds utilisés par l'association ne sont pas des fonds privés mais des fonds publics et on applique les règles de la comptabilité publique.
  • Le JA reproduit cette théorie des associations transparentes qui lui permet de remonter jusqu'à la personne publique.
      • Dans un arrêt de 2005 Département de la Dordogne, le CE a dû se prononcer dans une affaire où une association avait causé des dommages à des tiers dans le cadre de son activité. Dans la mesure où l'association était transparente, c'est-à-dire qu'elle n'avait aucune autonomie par rapport au département, le département de la Dordogne pouvait être amené à réparer le dommage pour des faits causés par l'association.
      • De la même manière, dans un arrêt Commune de Boulogne-Billancourt CE, 2007, le CE était saisi d'un contentieux de nature contractuelle qui opposait une association paramunicipale à un tiers (donc a priori, contentieux de droit privé). Le CE a considéré que dans la mesure où l'association était transparente, le contrat avait en fait été signé par la commune de Boulogne-Billancourt, qu'il s'agissait donc d'un contrat de droit administratif et que le litige devait se résoudre selon les règles de droit public (voir chapitre sur les contrats).

La jurisprudence financière et administrative traite donc avec méfiance ces associations transparentes. Ces associations introduisent une part de mensonge dans l'organisation administrative. On peut considérer que le droit a pour vocation d'entraver le développement de ce type d'association.
Et bien pas du tout. Le CE a admis dans Aix-en-Provence, 2007 que ce type d'association était une modalité légale de gestion d'un SP. Ce qui était en cause était le financement du festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence. Dans cette affaire, la question était de savoir si le financement était libre ou pas.
  • Arguments contre la liberté de financement :
      • Droit communautaire qui règlemente le régime des aides publiques et qui limite la possibilité pour une administration de délivrer des subventions à des opérateurs économiques. Dans ce cadre là, les subventions ne sont pas possibles et le festival d'Aix-en-Provence ne répondait pas aux conditions possibles.
      • Droit sur les délégations de SP. La loi Sapin dit qu'on ne peut pas librement choisir son délégataire, il faut mettre, organiser une procédure de mise en concurrence. Or, ici, la ville d'Aix-en-Provence avait confié l'organisation du festival à une association, alors que le festival est une mission de SP, et subventionnait clairement cette association.
On pouvait donc s’interroger sur la légalité de cette pratique au regard de ces deux arguments.
  • Réponse du CE : Le CE écarte ces 2 arguments en expliquant que l'association qui gère le festival est une association transparente, qui n'a pas d'autonomie par rapport à ville d'Aix-en-Provence laquelle exerce sur elle un contrôle analogue à celle qu'elle exerce sur ses propres services, et que l'association qui gère l'organisation du festival a un objet social exclusif (le festival) qui correspond précisément à la prestation que lui demande la ville.
Pour le CE, on a affaire à une régie privée (régie : la collectivité publique gère par ses propres services le SP) c'est-à-dire que c'est la ville qui gère par ses propres services le festival, mais ses propres services ont un caractère privé. Donc il admet qu'il y a des services de la ville d'Aix-en-Provence qui sont privés. S'appuie sur jurisprudence communautaire de l'exceptions dit "In House".
Cet arrêt a pour objet de sauver le financement du festival d'Aix-en-Provence, et il fallait trouver un raisonnement d'État pour contrer les arguments du régime communautaire des aides publiques et du droit des délégations de SP.

                                                      2.            Le brouillage généralisé des repères juridiques
On est ici sur un problème juridique simple : les qualifications juridiques, pour fonctionner, ont besoin de reposer sur des critères sûrs et stables. Le critère le plus sûr, le plus stable est a priori le critère organique. Or, la difficulté est que ce critère se trouve aujourd'hui totalement disqualifié car un organisme de droit privé peut prendre un acte administratif (Monpeurt et Magnier).
Donc, pour faire les distinctions, on a recours systématiquement aujourd'hui à des identifiants d'ordre matériel. Or, un critère matériel est d'une définition incertaine, difficile à manier juridiquement : qu'est-ce qu'une activité de SP ? Une prérogative de puissance publique ?
Plusieurs difficultés qui se posent :
  • Les textes instituent des organismes particuliers pour gérer une mission de SP. Dans certains cas, le texte (loi, règlement) reste silencieux sur la nature juridique de l'organisme. Il ne nous dit pas s'il s'agit d'un organisme de droit privé ou de droit public. Comment le juge fait-il ? Le CE recourt à la méthode du faisceau d'indices. Il cherche des indices de la volonté implicite du législateur.
  • Premier indice : est-ce que l'organisme a été créé ou non à l'initiative de la puissance publique ?
  • Deuxième indice : est-ce que l'activité est-elle une activité d'intérêt général ? Ne se réduit-elle pas à une activité purement marchande ou commerciale ?
  • Troisième indice : Y a t-il des liens institutionnels entre l'administration et cet organisme ?
  • Quatrième indice : est-ce que cet organisme est investi de prérogatives de puissance publique ?
C'est à la condition que ces quatre indices convergent que le JA va plutôt dire que l'activité est de service public. Le problème est que cette méthode est assez peu opérationnelle. Pourquoi ? Parce que c'est la même méthode qu'a utilisé le TC dans l'affaire de 1899 dans l'affaire Canal de Gignac. De ces indices là, il en avait déduit qu'on avait affaire à un EP. Magnier, CE, 1961 et Centre régional de lutte contre le Cancer "Eugène Marquis", TC, 1961. Dans ces deux arrêts le juge utilise les mêmes critères mais pour aboutir à des qualifications différentes : Magnier dit que c'est un EP et centre de lutte contre le Cancer, TC dit que c'est un établissement de droit privé).
En définitive, la qualification juridique est affaire d'opportunité. Tout dépendra des règles que le juge veut appliquer à cet organisme.

La confusion juridique est aussi entretenue par un arrêt APREI, CE, 2007. Depuis 1963 et un arrêt Narci, CE, 1963, on croyait que pour qu'un organisme de droit privé soit en charge d'une mission de SP, il fallait qu'il soit investi par la loi de PPP. APREI dit que ce n'est pas nécessaire. Même en l'absence de PPP, on peut estimer qu'un organisme privé puisse être chargé de missions de service public.
v  D'une manière générale, il y a un flou, d'autant plus fort que les conséquences juridiques de la qualification sont importantes. Un EP est pour l'essentiel soumis au droit public (sauf EPIC). Mais à l'inverse, un organisme de droit privé est soumis pour l'essentiel au droit privé (sauf pour ce qui touche à l'organisation de missions de SP). Cette différence du régime s'appuie sur une distinction qui est floue dans la jurisprudence.


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