mercredi 5 octobre 2016

LE PARTAGE DU CONTENTIEUX DE L’ADMINISTRATION ENTRE LES DEUX ORDRES JURIDICTIONNELS


·        Ce partage obéit à des règles de rare complexité en dépit des textes qui fondent la juridiction administrative. Exemple du décret du 16 fructidor an III : défense itérative est faite aux tribunaux de connaître des actes d’administration de quelque manière que ce soit. Ce texte n’a jamais été compris de cette manière là.

o   Dès la Révolution, on va admettre que les tribunaux judiciaires peuvent être compétents dans certaines matières administratives et que des actes d’administration peuvent relever du JJ (Par exemple, les actes d’état civil ; les impôts indirects ; sous l’empire, on va admettre que les actes d’expropriation pour cause d’utilité publique soient soumis au JJ). L’idée que les actes pris par l’administration échappent aux tribunaux judiciaires n’a jamais été organisée dans notre système juridique.
o   Le problème est qu’il n’existe ni dans le Code civil, ni dans une loi, une disposition qui fixerait une clause générale de distribution des compétences entre les deux ordres juridictionnels. Les règles de répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction résultent de 2 types de disposition :

-      D’abord des lois spéciales qui peuvent attribuer une compétence au JJ en matière administrative

-      Et sinon à défaut de lois spéciales, elles vont résulter de règles jurisprudentielles qui découlent du conseil d’Etat et de la cour de cassation avec l’institution d’un organisme régulateur qui est le tribunal des conflits.
Le problème c’est que la jurisprudence du TC, CE, et Ccass est extrêmement complexe ; elle repose sur de multiples variables étant entendu que depuis toujours, on a refusé d’appliquer strictement un critère organique de répartition des compétences.
On est obligé donc de jongler avec d’autres critères comme des critères matériels (notion de SP, d’IG). Mais en vérité ce critère matériel n’est pas non plus pertinent car il existe des SPA mais aussi des SPIC.

section 1 : la necessite d’un organe régulateur : le tribunal des conflits


Le TC est appelé à trancher des conflits de compétence entre deux ordres juridictionnels, donc la mission du TC n’est pas de régler la question juridique au fond mais simplement de nous dire l’ordre juridictionnel compétent pour régler cette question.

paragraphe 1 : la composition du tribunal des conflits


-      Le tribunal des conflits est un organe ad hoc : il n’est pas une institution permanente, il se réunit chaque fois qu’on a besoin de le réunir pour trancher un conflit de compétence, il n’a pas de service administratif ;

-      mixte : il est composé de membres de la Ccass et du CE et


-      paritaire : il est composé à parts égales de membres du CE et de la Ccass (4 de chaque côté).

-      La présidence du TC est assurée par le ministre de la justice mais la tradition veut que le ministre de la justice ne siège jamais ou que de manière exceptionnelle, notamment pour permettre un départage des membres du TC. Ces cas de départage sont rares : depuis environ 40 ans, on en compte une dizaine mais ce sont sur des affaires à enjeux, importantes. Par exemple, l’arrêt Blanco a été rendu à la suite d’un partage de voix et donc rendu suite au départage du ministre de la justice.
Ø  Le rôle du ministre de la justice est régulièrement contesté. Dans une affaire relative au contentieux des étrangers, les membres du TC n’avaient pas pu se mettre d’accord sur le juge compétent. Le problème était de savoir si le JA avait les pouvoirs pour régler ce genre de question et à l’évidence la réponse était non. En dépit de cela, le TC après intervention du ministre de la justice avait conclu à la compétence du JA. Un membre du TC avait fait une chronique assassine dans un grand journal du soir.
Le problème est qu’il faudrait alors imaginer un autre mécanisme pour le départage mais cela n’a jamais été fait.

paragraphe 2 : les cas d’intervention du tribunal des conflits


Ces cas sont au nombre de 4 :
-      Le conflit positif
La situation consiste dans l’hypothèse où un tribunal judiciaire saisi par un justiciable d’une affaire intéressant l’administration, se dit compétent de cette affaire. Dans ce cas, il appartient au préfet de saisir le tribunal judiciaire, de lui adresser un déclinatoire de compétence et dans l’hypothèse où le tribunal de grande instance écarte ce déclinatoire de compétence et rend un jugement, il appartient au préfet de prendre un arrêté de conflit, on dit qu’il élève le conflit, qui consiste à porter l’affaire devant le TC.
-      Le conflit négatif
Sur une affaire donnée, les deux ordres juridictionnels ont été saisis et dans les deux cas, ils s’estiment incompétents pour régler l’affaire au fond. Dans ce cas, le TC est saisi par le tribunal qui se déclare incompétent en dernier, ou par le justiciable qui a essuyé un double refus.
Le problème est qu’en pratique, cela ralentit les délais de procédure.
-      Le mécanisme préventif
Il faut attendre qu’un tribunal rejette le recours d’où le législateur est intervenu pour prévoir un 3ème cas d’intervention du TC et qui est un mécanisme préventif qui permet à un tribunal de signaler à sa cour suprême, une difficulté particulière et qui permet à la Cour de cassation ou au Conseil d’Etat de saisir le TC pour régler cette difficulté.
-      4ème cas
Loi de 1932 qui fait suite à l’affaire Rosay. Hypothèse où le TC va être amené à juger au fond l’affaire. On est dans une situation où les juridictions administratives et judiciaires se sont toutes les deux affirmées compétentes mais la manière dont les deux ordres juridictionnels ont tranché l’affaire aboutit à des résultats contradictoires et un déni de justice.
Monsieur Rosay avait été victime d’un accident de la route alors qu’il était passager d’un véhicule privé qui était rentré en collision avec un véhicule de l’administration. Monsieur Rosay avait d’abord engagé une action devant le juge civil sur le fondement de l’article 1382 et le juge civil l’avait débouté au fond en expliquant que dans les circonstances de l’affaire, le véhicule responsable était le véhicule de l’administration. M. Rosay saisit alors le CE qui se dit compétent mais écarte sa demande au motif que dans les circonstances de l’espèce, il apparait que le véhicule entrainant l’accident est le véhicule privé. Il se voit alors refuser toute indemnisation.
Cette affaire a fait un scandale et le législateur a alors décidé de voter un dispositif nouveau permettant dans ce type de situations au justiciable de saisir directement le Tribunal des Conflits afin que celui-ci tranche directement l’affaire au fond. Pour faire bonne mesure, le parlement a décidé que la loi était rétroactive. Le TC a jugé que les torts étaient partagés.

section 2 : la competence de principe du juge administratif a l’egard des affaires mettant en cause la gestion publique


·        Il s’agit de faire la liste des solutions admises par la jurisprudence qui président la répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions.

§  Depuis l’arrêt Blanco, on sait que le contentieux des activités de l’administration relève des autorités administratives chaque fois qu’il faut leur appliquer un régime de droit public. Cette affirmation est expliquée par l’adage « la compétence suit le fond ».

v Mais cela n’est que d’un secours limité : il ne permet pas de régler lui-même la question du partage des compétences, il ne fait que repousser la question plus loin. Il revient à se demander quelles sont les règles de droit dont il va falloir faire application ?

v En outre, l’application de cet adage aboutit à une conception extensive de la compétence de la juridiction administrative, conception qui déborde la réserve des compétences administratives telle qu’elle découle de la jurisprudence du conseil constitutionnel.

paragraphe 1 : l’absence d’un critere unique de competence


L’adage (la compétence suit le fond) est d’une utilisation limitée. On ne fait que repousser le problème.
La détermination du droit applicable repose sur un jeu très complexe de critères qui vont montrer qu’en l’espèce on applique le droit administratif à l’administration parce que son activité relève d’un contexte lié à la gestion publique.
On arrive à cette conclusion par le jeu de plusieurs critères.
A) L’échec historique d’un critère unique
·        Au 19ème, la doctrine et la jurisprudence avaient donné une explication, une interprétation de la notion d’acte de l’administration telle qu’elle découle du décret du 16 fructidor an III, au travers de l’opposition entre les actes d’autorité et les actes de gestion.

o   Les actes d’autorité relevait du DA, donc au JA et donc à l’inverse, tout ce qui ne touchait pas aux activités régaliennes de l’administration, relevait de la notion d’acte de gestion et donc dépendant de l’application du droit privé et de la compétence du JJ.
Ø  On avait une conception très large de la compétence du JJ à l’égard des actes de l’administration à commencer par les contrats. Le problème c’est que dès le 19ème, on perçoit que cette clef de distribution est trop favorable aux juridictions judiciaires et qu’il y a des affaires qui sans soulever des questions de souveraineté méritent d’être traitées par un JA.

v Entre acte de gestion et acte d’autorité, va se développer soit des textes spéciaux qui dérogent, soit des théories jurisprudentielles qui en limitent la portée.
-     Les actes spéciaux qui dérogent
Tout ce qui relève des travaux publics, relève de la JA. Mais d’autres lois sont venues dire que le contentieux des contrats de l’Etat était un contentieux administratif.

-     Les théories jurisprudentielles
o   Elles ont diminué la portée de la distinction en développant la théorie de l’Etat débiteur. C’est l’idée que chaque fois qu’une action en justice peut se traduire par la condamnation de l’Etat à payer une somme d’argent, c’est le juge administratif qui doit être compétent.

·        C’est la situation du 19ème siècle qui va être bouleversée par l’arrêt Blanco de 1873. C’est un événement considérable puisque le tribunal des conflits nous dit que ce qui compte n’est pas la distinction acte de gestion/ acte d’autorité mais si l’activité a été rendue dans le cadre de l’exécution d’une mission de SP ou pas. On voit émerger un nouveau critère du SP qui se substitut à l’ancienne distinction.
A la suite de l’arrêt Blanco, il y a un effort de la jurisprudence pour nous dire que tout ce qui touche à l’organisation et au fonctionnement des SP constitue une opération administrative et relève de la compétence du juge administratif.
La décision a un double intérêt :
-      Elle place le contentieux des collectivités locales et le contentieux des établissements sous l’emprise du juge administratif car dans le cadre de l’ancienne distinction, ils étaient sous l’emprise du droit privé et du juge judiciaire.

-      Elle propose un critère unifiant.
·        Le problème est que cette présentation doctrinale n’a pas vraiment correspondu à la réalité de la jurisprudence administrative et qu’elle va être très rapidement démentie par le juge au travers de deux affaires : arrêt de 1912 Société des granits porphyroïdes des Vosges » et 2ème affaire : Bac d’Eloka, Société Commerciale de l’Ouest Africain.

-      Puis il y eut l’arrêt Epoux Bertin en 1956.

-      L’année d’avant dans un arrêt Effinief, le TC nous dit que quand des travaux sont réalisés pour le compte d’une association mais dans le cadre d’une mission de service public, ces travaux sont des travaux publics, donc c’est la compétence du JA.

-      Enfin dans l’arrêt Berkani, le TC nous dit que quand un agent est recruté quelque soit sa mission, c’est nécessairement un agent de droit public et donc le contentieux est nécessairement administratif.


·        Mais en parallèle, la jurisprudence du CE nous dit que cette notion de SP doit être complétée avec la notion de prérogative de puissance publique, avec l’arrêt Monpeurt de 1942.

-      Puis l’affaire des Epoux Barbier qui concerne un règlement de la compagnie air France qui interdit aux hôtesses de se marier. La compagnie air France est une société privée ; c’est un service public industriel et commercial et pourtant le juge compétent est le JA car le règlement concerne l’organisation du SP donc PPP.

-      A l’inverse, l’arrêt de 2007, CE, Liepiedz, à propos d’un litige opposant à la SNCF les familles de déportés. Le CE nous dit que le service du transport ferroviaire ne met pas en œuvre de prérogative de puissance publique dès lors le juge compétent ne peut être que le juge judiciaire. On voit à travers ce rappel qu’il y a aujourd’hui plusieurs variables pour déterminer la compétence du juge administratif.
B) Le partage des compétences repose sur un jeu complexe de critères
·        Le problème est que la démarche du juge est essentiellement casuistique, empirique. Tout dépend de l’affaire elle-même et des éléments qui vont composer l’affaire.

o   La répartition des compétences va dépendre à l’évidence de la nature du service. Est-ce que c’est un SPA, un SPIC ?

o   Puis on se demandera si le SPA ou le SPIC met en œuvre ou non des PPP. La question se posera de savoir si le service est géré par une personne morale de droit privé ou une personne morale de droit public.


o   Ensuite, la question que se posera le juge est de savoir avec qui le service est en conflit (agent, usager du service public, tiers ?).

v L’une des difficultés aujourd’hui est que cette répartition des compétences ne correspond pas à la réserve constitutionnelle de compétence reconnue à la juridiction administrative. Cette répartition des compétences est susceptible à tout moment d’être remise en cause par le législateur car le Conseil constitutionnel n’a constitutionnalisé qu’une partie beaucoup plus réduite des compétences.

paragraphe 2 : la reserve constitutionnelle de competence


·        Le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la possibilité offerte au législateur d’intervenir en matière de répartition des compétences entre les ordres juridictionnels et administratifs.

-      Cette possibilité existe depuis toujours, il y a de très nombreuses lois qui ont décidé de transférer du contentieux de l’administration vers la juridiction judiciaire : Par exemple, la loi du 31 décembre 1957 transfère aux JJ la totalité du contentieux de la responsabilité liée aux accidents de la circulation, y compris quand le véhicule est un véhicule administratif et quand l’accident a eu lieu à l’occasion du service ; la loi de 1937 qui prévoit que tout le contentieux de la responsabilité délictuelle entre les enseignants et les élèves est un contentieux intégralement judiciaire.

v La question qui s’est posée au Conseil constitutionnel est jusqu’où le législateur peut aller ? Jusqu’où peut-il porter dérogation de la séparation des ordres juridictionnels ?

Ø  Le Conseil constitutionnel répond dans une décision du 23 janvier 1987. Le législateur avait adopté un texte qui transférait aux juridictions judiciaires le contentieux des décisions rendues par le conseil de la concurrence et notamment la possibilité à la cour d’appel de paris d’annuler ou de réformer les sanctions prises par le conseil de la concurrence aux entreprises. A priori, il y avait une solution pleinement dérogatoire au principe de séparation des deux ordres juridictionnels. D’où la saisine du conseil constitutionnel. Devant celui-ci, il était expliqué que ce transfert au juge judiciaire n’était pas possible parce qu’il portait atteinte au principe à valeur constitutionnelle de séparation des autorités administratives et judiciaires. Le Conseil doit se prononcer sur cette question.
èLe conseil explique que le principe de séparation tel qu’il découle de la loi de 1790 ne peut pas avoir valeur constitutionnelle car on y déroge sans arrêt. Mais on ne peut pas ignorer que dans la conception Française de séparation des pouvoirs, certains actes et types de recours ne peuvent pas être portés devant le JJ parce qu’ils touchent au plus près le pouvoir exécutif.
Le Conseil constitutionnel nous dit « Il existe en vertu de la conception française de séparation des pouvoirs un PFRLR selon lequel relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises dans l’exercice des prérogatives de puissance publique par les autorités exerçant le pouvoir exécutif ». Ce PFLRL consacre l’idée qu’il y a même dans ce cadre là, des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire.
èLa première idée à retenir est qu’il y a bien une réserve constitutionnelle de compétence au profit de la juridiction administrative.
-      Cette réserve constitutionnelle de compétence ne correspond pas à la globalité des affaires qui aujourd’hui relève du contentieux administratif. Le législateur peut alors venir transférer du contentieux administratif au JJ : la C° ne s’y opposerait pas.
-      Le Conseil constitutionnel nous dit que pour ce qui concerne le noyau dur de la compétence de la juridiction administrative, il reste possible au législateur d’y apporter des ajustements ou des aménagements particuliers c'est-à-dire que le législateur peut décider qu’une partie du contentieux pourra être transférer au JJ et c’est ce que le Conseil constitutionnel admet dans la décision de 1987.

v Le Conseil constitutionnel soumet l’aménagement du noyau dur à trois conditions :

-      L’objectif poursuivi par le législateur doit être d’unifier les compétences : de créer un bloc de compétence

-      Ce bloc de compétence doit être justifié par les nécessités d’une bonne administration de la justice


-      Il faut que l’aménagement soit précis et limité.

·        En 1987, le conseil constitutionnel a jugé que ces conditions étaient remplies au motif que le conseil de la concurrence avait surtout à connaître des affaires intéressant le comportement des entreprises privées, que le juge naturel de ces entreprises privées est le juge judiciaire et qu’on pouvait créer un bloc de compétence au profit du JJ.
·        Mais ce type de dérogation n’est pas toujours admis par le conseil constitutionnel. Mais en 1989, le législateur a souhaité transférer au JJ le contentieux des décisions concernant la police des étrangers. Le Conseil constitutionnel a invalidé cette loi considérant qu’elle portait directement atteinte aux PFRLR.

·        Le Conseil constitutionnel a progressivement normalisé sa jurisprudence au sens où il y a eu peu de transferts de compétence après 87 au profit du juge judiciaire et quand le législateur a décidé de transférer certains contentieux, notamment en matière économique, le Conseil constitutionnel a rappelé que dans le silence de la loi, le contentieux d’une autorité administrative relève de manière générale du juge administratif. Si le législateur prévoit un transfert, par définition précis et limité, les dispositions de la loi s’interprètent de manière stricte.
A l’intérieur même de ce PFRLR, il y a des matières qui relèvent par nature de l’autorité judiciaire et ces matières on va les retrouver à deux niveaux : au niveau constitutionnel (article 66), au niveau jurisprudentiel.



section 3 : les derogations au principe de separation


Il y a un certain nombre de dérogations qui résultent de textes qui ont décidé de transférer au juge judiciaire, le contentieux de l’administration. Cependant, il existe des constructions jurisprudentielles et qui en l’absence de tout texte, prévoient que dans certains cas le principe de séparation doit s’effacer.
Cela correspond essentiellement à deux cas de figure : la compétence reconnue au JJ en tant que gardien des droits fondamentaux de la personne. Le 2ème cas de figure est différent puisque ce sont les questions qui touchent au fonctionnement du service public de la justice judiciaire. Si on applique les règles de compétence traditionnelle, pas de raison que le JA ne connaisse pas de son organisation et de son fonctionnement.

paragraphe 1 : la competence du juge judiciaire en tant que gardien des droits fondamentaux de la personne


·        Il s’agit ici d’une compétence traditionnelle qui peut trouver son origine historique dans la loi de 1810 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique qui fait du juge judiciaire le juge de l’expropriation.

o   Cette dérogation au principe de séparation remonte dans le temps et tient à la suspicion qui pouvait exister au début du 19ème siècle à l’égard de la justice administrative qu’on pouvait considérer comme trop proche du pouvoir politique et trop favorable aux intérêts de l’Etat.
De ce climat du 19ème siècle, il est resté cette idée que le juge judiciaire est le gardien des droits fondamentaux de la personne. Idée qui est illustrée par des constructions jurisprudentielles et qui est consacrée depuis en partie par la constitution de 1958 et en particulier par l’article 66 de la constitution de 1958.

v Ces constructions jurisprudentielles sont de deux ordres : d’abord d’une manière générale, on considère que les atteintes à la liberté individuelle et à la propriété privée qui résulteraient de l’activité administrative relèvent dans une certaine mesure du juge judiciaire et il y a une construction jurisprudentielle plus spécifique qui est la théorie de la voie de fait et qui dans certaines conditions donnent des pouvoirs particuliers au JJ à l’égard de l’administration. 
A) Le contentieux des atteintes à la liberté et à la propriété privée
·        Ce titre de compétence judiciaire à l’égard des actes de l’administration est consacré par une jurisprudence traditionnelle notamment du TC et en particulier d’un arrêt Hilaire de 1947 qui explicite le principe de la manière suivante : la sauvegarde de la liberté individuelle et la protection de la propriété privée rentrent essentiellement dans les attributions de l’autorité judiciaire.
Le TC en 1947 ne pouvait s’appuyer sur aucun texte précis mais plutôt sur un principe coutumier que l’on rattachait au fondement libéral et individualiste français.

·        Cette jurisprudence trouve aujourd’hui une base constitutionnelle dans l’article 66 de la constitution qui nous dit « nul ne peut être arbitrairement détenu, l’autorité judiciaire gardienne des libertés individuelles assure le respect de ce principe ».

o   Et le Conseil constitutionnel a eu l’occasion dans une affaire concernant la fouille des véhicules et la possibilité pour les autorités de police de fouiller les véhicules de dire que ce type de mesure ne pouvait pas être des mesures de police administrative mais des mesures de police judiciaire c'est-à-dire ordonnées et contrôlées par le procureur de la république dans la mesure où les atteintes à la liberté individuelle ne peuvent relever que de l’autorité judiciaire.

v On pourrait considérer qu’il n’y a pas de difficultés particulières : le problème est que les choses sont plus compliquées.

-      D’abord, on a du mal à s’entendre sur ce qu’on entend par liberté individuelle et il a été admis par le Conseil constitutionnel lui-même que pour tout ce qui touche à la police des étrangers, il a été admis par le Conseil constitutionnel, le juge compétent est le juge administratif.

-      Même quand la compétence du juge judiciaire est affirmée, elle fait le plus souvent l’objet d’une interprétation restrictive qui n’exclut pas que sur certains aspects, le JA puisse également être saisi. D’où on a des jurisprudences qui font difficulté : Deux types de jurisprudence :


o   Jurisprudence fondée sur l’article 136 du code de procédure pénale, et qui concerne toutes les atteintes à la liberté individuelle et à l’inviolabilité du domicile tel que le définit le code pénal.

o   Contentieux lié à la théorie de l’emprise irrégulière.

Dans ces deux hypothèses, la compétence judiciaire et administrative se superpose.
1) Les atteintes à la liberté individuelle et à l’inviolabilité du domicile fondées sur l’article 136 du code de procédure pénale
Selon ce texte, en cas d’arrestation et de détention arbitraire, et d’atteinte illégale à la liberté individuelle, les tribunaux de l’ordre judiciaire sont toujours exclusivement compétents et le conflit ne peut jamais être levé.
Pourtant, ce texte donne lieu à une interprétation restrictive. Elle relève de deux volets :
-      Le titre de compétence matérielle de la juridiction judiciaire est interprété strictement, c'est-à-dire que le juge judiciaire n’est compétent qu’en cas d’arrestation et de détention arbitraire, c’est quand on porte atteinte à la sûreté.

-      Le TC et le CE, dans un arrêt Dame Clément 1964 fait une distinction selon la question posée au juge. Pour le TC, si le requérant demande à être indemnisé des conséquences dommageables de la détention arbitraire, le juge qui devra statuer sur ce recours est naturellement le juge judiciaire. Par contre, quand il s’agit d’apprécier la légalité de l’arrestation ou de la mesure attentatoire à la liberté, pour apprécier la légalité de la mesure portant atteinte à la mesure de la liberté, la question doit relever du juge administratif.


v C’est une curieuse solution car elle contrarie l’article 136 du code de procédure pénale et c’est une solution d’autant plus paradoxale qu’elle va faire du JA le régulateur de la compétence judiciaire.
Cette jurisprudence ne fait pas l’adhésion des juridictions judiciaires et en particulier de la chambre criminelle de la Cour de cassation. En effet elle a développé une jurisprudence dissidente notamment en matière de contrôle d’identité.  La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé en 1985 dans une affaire « Bogdan » que la compétence du JJ est non seulement fondé sur l’article 136 du CPP mais aussi sur l’article 66 de la constitution et que cela donnait droit au JJ de statuer sur la demande en réparation mais sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées le contrôle d’identité. Le conflit entre les deux ordres de juridictions n’est pas neuf.
L’article 136 du CPP a été modifié dans les années 50 pour faire échec à une jurisprudence du TC de 1952 arrêt Dame de la Murette. Le TC avait fait la même interprétation que dans l’arrêt Dame Clément mais se fonde sur l’article 112 du code d’instruction criminelle.
Ce type de difficultés revient régulièrement dans l’actualité et notamment en 1997, le TC a été amené à se prononcer dans une affaire qui est celle du Cargo le Phénix. Il s’agit de deux passagers clandestins qui avaient pris place dans un cargo et ces deux passagers sont consignés à bord par les services de l’immigration. La mesure de police est contestée devant le TGI et l’armateur demandent d’enjoindre à l’autorité de police de mettre fin à la consignation à bord de ces deux passagers clandestins. Le préfet de police élève le conflit en disant que cette question ne regarde pas le juge judiciaire. C’est juste une application d’une mesure de police administrative. Le TC est donc saisi et fait une réponse dénuée d’ambigüité qui confirme l’arrêt Dame Clément. Il nous dit que les dispositions de l’article 136 du code de procédure pénale ne sauraient être interprétées comme autorisant les tribunaux judiciaires à faire obstacle à l’exécution des décisions prises par l’administration.
La jurisprudence Dame Clément est donc toujours d’actualité et suscite l’opposition de la chambre criminelle de la cour de cassation mais elle survit avec cette dualité : d’un côté le JJ répare les atteintes et le JA vérifie si la mesure de police est légale ou pas.


2) La théorie jurisprudentielle de l’emprise irrégulière
·        Cette théorie jurisprudentielle concerne les cas d’atteinte à la propriété privée des autorités judiciaires. Là encore, cette compétence judiciaire s’appuie sur une coutume qui trouve son origine dans la loi de 1810 sur l’expropriation et qui est l’objet d’une jurisprudence constante depuis l’arrêt Société Hotel du Vieux Beffroi et Société Rivoli Sebasto-Paul.
·        Cette théorie témoigne aujourd’hui un écho dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel : décision du 13 décembre 1985 : le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il existe un principe à valeur constitutionnelle qui donne compétence au JJ pour assurer l’indemnisation des particuliers en cas de dépossession.

v Mais la compétence judiciaire est partielle : c’est la théorie de l’emprise irrégulière, il ne suffit pas qu’il y ait une dépossession de la propriété privée par décision administrative, il faut encore que cette dépossession soit irrégulière et si elle ne l’est pas, il n’y a pas de possibilité d’attribuer des indemnisations. Du coup, on se retrouve dans le même cas de figure que dans la jurisprudence Clément c'est-à-dire qu’en cas d’un recours devant un particulier de l’autorité judiciaire, celui-ci ne pourra pas statuer sur le caractère régulier ou non de l’emprise, il devra renvoyer au JA. Ce que peut faire le JJ c’est seulement attribuer des dommages-intérêts.
La compétence du JJ est d’abord limitée, et ensuite elle dépend de l’appréciation du JA : Arrêt Wergun 1961 à propos de la réquisition d’un logement décidé par un maire et le CE reconnaissant le caractère régulier du pouvoir de réquisition précis et mis en œuvre correctement par l’administration en conséquence de quoi l’indemnisation auquel à droit le propriétaire ne peut lui être allouée que par le juge administratif.
B) La théorie de la voie de fait
·        Il s’agit d’une construction jurisprudentielle illustrée par un arrêt du TC de 1935, Action française, à propos de journaux interdits de diffusion. Cette théorie jurisprudentielle reconnait au JJ compétence mais surtout des pouvoirs exceptionnels pour assurer la protection des administrés contre les agissements, les comportements les plus inadmissibles perpétrés par des autorités administratives.

o   Cette théorie indispensable dans un Etat de droit fait l’objet depuis toujours d’affrontement, de divergences entre les deux ordres de juridiction dans la mesure où pendant un temps, le juge judiciaire a eu tendance à élargir sa compétence, a avoir une interprétation large qui violait intentionnellement le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires pour la bonne cause dans la mesure où le JJ considérait que le JA n’avait pas les moyens de protéger les administrés. Le seul moyen était de dire qu’il y avait voie de fait pour que le JJ soit compétent (même si ce n’était pas le cas).

·        Cela a donné lieu à l’affaire de 1997 « Sargos » et à un examen de conscience de la JA.

·        Le CE a préparé un texte de loi qui a été adopté en Juin 2000 et qui a revu les procédures d’urgence devant les juridictions administratives et qui a institué le référé liberté en cas d’atteinte aux libertés par l’administration. Pour autant, la loi de 2000 précise bien qu’elle ne remet pas en cause la théorie de la voie de fait qui continue d’exister dans les cas où le comportement de l’administration est totalement inadmissible et dans ce cas là le requérant peut choisir d’aller devant le juge judiciaire.
1) La définition de la voie de fait
·        Dans voie de fait, il y a fait, c'est-à-dire qu’il doit toujours y avoir un fait matériel. Il ne suffit pas qu’il y ait une décision administrative il faut qu’elle procède à son exécution matérielle (ex : occupation d’une propriété privée par l’administration, la mise sous scellé d’un logement privé, la confiscation d’un passeport, la destruction d’effets personnels, arrestation/mise en détention, saisie de journaux, exhumation d’un corps…).

·        Il faut que cette exécution matérielle porte directement atteinte ou au droit de propriété ou à une liberté fondamentale. Arrêt Carlier 1949 : l’administration avait saisi un appareil photo et les clichés dedans et le juge a estimé qu’il y avait voie de fait. Une liberté fondamentale est une liberté spécialement prévue et organisée par la loi.
L’Arrêt fondation Cousteau a conclu à l’absence de voie de fait dans une affaire où malgré une décision de justice qui interdisait de poursuivre les travaux de construction du point de l’île de ré, l’administration avait poursuivi ces travaux. La construction du point nuisait gravement à l’environnement. Le TC a écarté l’idée qu’il puisse y avoir voie de fait, l’atteinte à l’environnement n’est pas une liberté fondamentale.
·        La mesure doit être affectée d’une illégalité d’une gravité exceptionnelle, l’administration est sortie de ses attributions, elle s’est comportée en dehors des cas qui n’est pas celle que doit être l’action d’une administration publique. Cette hypothèse correspond à deux situations différentes, on distingue la voie de fait pour manque de procédure et pour manque de droit :

-      Pour manque de procédure :
C’est le cas le plus fréquent. C’est la situation où l’administration a procédé à l’exécution d’office d’une décision qui peut être légale mais en dehors des cas où l’exécution d’office est admise par le droit. CE, 1902, Société immobilière de Saint-juste qui précise les cas où en l’absence de textes, l’administration peut exécuter d’office des décisions. 
- Pour manque de droit
L’illégalité réside dans la décision prise par l’administration. L’autorité administrative doit être sortie de ses attributions mais également de l’administration toute entière. Selon la formule de la jurisprudence, il y a voie de fait pour manque de droit lorsque la mesure prise est manifestement insusceptible de se rattacher à l’exercice d’un pouvoir appartenant à l’administration. Il faut faire la différence entre un acte simplement illégal (JA) et un acte manifestement insusceptible de se rattacher à l’exercice d’un pouvoir appartenant à l’administration (JJ).
Arrêt Carlier, CE, 1949 : Carlier rédigeait des chroniques de presse et il avait critiqué l’administration des beaux arts. Or, un jour, Carlier fait des photographies de la cathédrale de Chartre et est arrêté. On lui confisque son appareil photo et ses clichés qui sont détruits. Le lendemain, Carlier veut aller dans la cathédrale mais est reconnu par le guide, qui lui interdit d’accéder à l’intérieur. L’affaire vient devant le CE qui va distinguer les deux situations. S’agissant d’aller à l’intérieur de la cathédrale, l’affaire peut aller devant le JA. Par contre, s’agissant de la confiscation de l’appareil photo et la destruction de ses clichés, le JJ est compétent car manifestement il n’y a aucun texte qui autorise l’administration à agir de la sorte et l’administration est sortie de ses attributions.
2) Les pouvoirs du juge judiciaire
L’intérêt de la voie de fait est qu’elle permet d’aller devant une juridiction investie de pouvoirs particulièrement importants. Le juge judiciaire a une plénitude de juridiction à l’égard de l’administration en cas de voie de fait. Il va pouvoir utiliser ses pouvoirs d’injonction.
v Cette idée de plénitude d’attribution repose sur l’idée que l’administration lorsqu’elle commet une voie de fait est déchue de sa qualité de puissance publique. L’acte qu’elle a pris est dénaturé.
èCe juge judiciaire peut faire vite : il peut être saisi dans le cadre du référé civil en urgence qui va permettre d’obtenir une décision dans les 48H.
èEt ce juge judiciaire peut faire beaucoup : il va pouvoir accorder des réparations indemnitaires et il va avoir le pouvoir d’adresser des injonctions à l’administration c'est-à-dire des ordres. Le juge peut même être saisi à titre préventif, avant même qu’il y ait voie de fait. Dans tous les cas cette injonction peut être assortie d’une astreinte c'est-à-dire d’une condamnation pécuniaire. (D’ailleurs pendant longtemps seul le JJ avait un pouvoir d’injonction).
Le juge de la voie de fait peut toujours et a tous pouvoirs pour apprécier la légalité des décisions administratives constitutives de voie de fait. De telles pouvoirs ont amené les avocats à multiplier les demandes au titre de la voie de fait.
3) La concurrence entre l’intervention du juge administratif et du juge judiciaire en matière de voie de fait
·        Le problème c’est que généralement, le JJ est saisi d’affaires touchant à la voie de fait et de manière extensive parce que les parties considèrent qu’elles ne seront pas protégées devant le JA.
Dans les années 90, les JJ vont accepter cette dérive c'est-à-dire qu’ils vont identifier des cas de voie de fait alors que l’administration n’était pas manifestement sortie de ses obligations. D’où la multiplication d’affaires qui vont donner lieu à l’intervention du TC, pour redresser la situation et dire que la voie de fait n’était pas établie.

o   D’abord dans un arrêt Gaudino : un fonctionnaire de police avait été suspendu de ses fonctions car il avait écrit un livre qui disait que les autorités de police n’avaient pas pris toutes les décisions qu’il fallait prendre à Marseille en raison des liens entre la classe politique et le milieu des affaires. Il avait été cherché le TGI et avait trouvé le JJ. Le conflit est élevé et le TC constate que la suspension d’un fonctionnaire relève du JA (la mesure n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à l’exercice d’un pouvoir appartenant à l’administration)
o   Affaire Bordelaise de la rétrogradation d’un club de football : ce club conteste la décision de la fédération de football. Le JA doit être compétent et non le JJ. Le TC a estimé qu’il n’y avait pas voie de fait.
o   Affaire d’une suspension d’un abonnement téléphonique : un abonné avait vu son abonnement suspendu et avait demandé à un juge de dire qu’il y avait voie de fait. TC refuse. TC, 1991, Préfet de la région Loraine.

·        Mais cette tendance du JJ a pu être encouragée par le TC.

o   En effet, dans un arrêt de 1986 « Eucat » : un gros contribuable avait du mal à payer ses impôts, avait décidé de quitter le territoire national. A l’aéroport, la police lui avait confisqué son passeport. Voie de fait ou pas ? Le TC nous dit qu’il y a voie de fait mais c’est étrange car en l’espèce, on n’a pas à confisquer le passeport mais pour autant était-elle constitutive de voie de fait ? Non car il y a des textes pour des raisons de sécurité de l’Etat qui autorisent l’administration à confisquer un passeport. La frontière entre ce qui est illégal et ce qui est constitutif de voie de fait vole en éclat.
Cette décision va susciter des débordements et les JJ vont multiplier les voies de fait.
o   Affaire du cargo le Phoenix : on revient sur la décision Eucat et on prône une solution rigoureuse. Deux clandestins qui se trouvaient à bord d’un cargo sont consignés à bord par l’administration Fr. Cette mesure n’est prévue par aucun texte. Il faut les placer en zone de rétention administrative normalement. Le TC va considérer qu’il n’y a pas voie de fait car la mesure n’est pas manifestement insusceptible de pouvoir se rattacher à un pouvoir de l’administration. Cela reste une mesure d’exécution du refus d’entrer sur le territoire national et ce refus lui paraît légal.
La décision du TC tient à deux considérations.
-      La jurisprudence Eucat répondait à un besoin social : de permettre aux justiciables de trouver un juge avec des pouvoirs suffisants. Or, ce juge ne pouvait pas être un juge administratif puisque les procédures d'urgence ne fonctionnaient pas bien.

v A l’issue de cette affaire, le JA a plaidé pour la rénovation des procédures d’urgence devant les tribunaux administratifs et l’institution notamment d’un référé liberté équivalent à celui qui existe devant le juge judiciaire. Cette réforme va avoir lieu avec la loi du 30 juin 2000 sur les référés administratifs et qui prévoit que le juge administratif peut en cas d’urgence ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle l’administration aurait porté dans l’exercice d’un de ses pouvoirs une atteinte grave et manifestement illégale.  C’est l’article L121-2 du code de justice administrative.
La définition donnée au législateur suppose le maintien de la théorie de la voie de fait car quand l’administration agit en dehors de ses attributions, le JJ peut être saisi. Cette lecture de la loi est confirmée par un arrêt du 23 octobre 2000, TC, Boussadar qui identifie une hypothèse de voie de fait en reprenant explicitement la définition donnée en 1949 par le CE dans l’arrêt Carlier : manifestement insusceptible de se rattacher à l’exercice d’un pouvoir appartenant à l’administration.
De cette définition, il résulte que le justiciable a une possibilité d’option. Cela veut dire que lorsque l’administration sort de ses attributions, il peut tout aussi bien saisir le JA au titre de l’article L121-2 du code de justice administrative ou choisir de saisir le tribunal de grande instance. Dans les deux cas, il aura un juge qui pourra prononcer toutes les mesures utiles pour faire cesser les agissements illégaux de l’administration.
Mais lorsque l’administration n’est pas sortie de ses attributions, le seul juge compétent est le JA.
L’intérêt de la voie de fait persiste mais est moindre que dans les années 80-90. Et les référés libertés se multiplient aujourd’hui devant les tribunaux administratifs. Cela dit, il est des cas où les conditions du référé liberté sont restrictives et que donc l’administré a tout intérêt d’aller voir du côté du juge judiciaire pour bénéficier d’une protection qui lui sera donné de manière plus souple.
La théorie de la voie de fait a moins d’utilité qu’auparavant mais la loi a organisé son maintien.

paragraphe 2 : la comptence du juge judiciaire a l’egard du service public de la justice judiciaire


·        Le contentieux de la justice judiciaire est en principe réservé aux juridictions judiciaires. Cependant la compétence des juridictions judiciaire à l’égard de leur propre contentieux n’est pas générale.

o   En effet, selon notre tradition constitutionnelle, il n’existe pas de pouvoir judiciaire, l’organisation judiciaire est rattachée au pouvoir exécutif et du point de vue du droit administratif la justice judiciaire est d’abord un service public et l’organisation de cette justice judiciaire. De ce fait, le contentieux de la justice judiciaire est un contentieux partagé et la répartition a été fixée par un arrêt du CE de 1952, préfet de la Guyane. La réparation repose autour de la distinction entre l’organisation du SP et le fonctionnement du SP ou de ses conditions d’exécution. C’est donc un critère matériel.

-      Ce qui relève de l’organisation du SP est une affaire administrative qui vient au contentieux devant les juridictions administratives alors que ce qui touche au fonctionnement de la justice judiciaire relève des mécanismes propres de la JJ.
La décision de créer ou supprimer un tribunal est une décision qui touche à l’organisation du SP. Une contestation se fera devant le JA.
De la même manière, les mesures qui intéressent la carrière des magistrats relèvent du CSM mais le juge compétent pour connaitre des décisions par le CSM est le CE. Les mesures d’organisation du CSM sont susceptibles d’être contestées devant le CE.
Les actes juridictionnels, s’ils sont contestés, c’est devant le juge judiciaire. Les actes préparatoires aux décisions de justice (décision du parquet de poursuite, actes d’instruction, actes de police judiciaire) ne peuvent être contestés que devant le JJ car ils se rapportent à l’exécution du SP. Idem pour les décisions d’exécution des jugements. L’action doit se porter devant le JJ.
Il y a quand même une difficulté pour le contentieux des actes d’exécution des jugements rendus par les tribunaux judiciaires. La compétence est partagée :
On considère qu’il y a des actes qui sont détachables de l’exécution du jugement et donc on doit pouvoir les contester devant le juge administratif : ex : le refus de l’autorité administrative d’apporter le concours de la force publique à l’exécution d’un jugement, acte détachable, cela relève du JA ; arrêt 1923 Quitéas. De la même manière, sont détachables les actes d’amnistie, de grâce.

section 4 : la competence du juge judiciaire a l’egard des questions incidentes interessant les actes administratifs


Le juge judiciaire est saisi d’une affaire qui relève normalement de sa compétence mais qui ne peut régler le litige qui est porté devant lui sans au préalable à avoir apprécier la légalité ou avoir à interpréter un AA.
·        Si l’on s’en tient à une appréciation stricte du principe de séparation, on doit considérer que de telles questions accessoires relèvent du JA. Dans ce cas là, le JJ doit en cas de difficulté sérieuse surseoir à statuer et renvoyer les parties devant la JA.

o   La jurisprudence retient des solutions plus nuancées. Elle admet que dans certaines hypothèses, le JJ peut valablement statuer sur les questions incidentes qui sont portées devant lui. Une des raisons de cette nuance tient à l’exigence de bonne administration de la justice. Faire en sorte que le procès pénal ne soit pas ralenti par des questions pouvant se poser souvent.

Ø  Il faut arbitrer entre le principe politique de séparation des autorités administratives et judiciaires et le principe de plénitude de juridiction du tribunal saisi. La question est de savoir si la question incidente est pour le juge judiciaire une simple question préalable qu’il va pouvoir traiter ou est ce que la question incidente est une question préjudicielle qu’il doit renvoyer à une autre juridiction ?
Le TC et la cour de cassation n’ont en plus pas la même lecture du problème. La répartition des compétences va varier en fonction de plusieurs éléments :
-      Nature de la question posée au juge. On admettra plus facilement du JJ qu’il puisse interpréter un AA qu’il n’apprécie la légalité de cet AA.

-      Nature juridique de l’acte administratif contesté. Les pouvoirs du juge judiciaire seront plus facilement admis à l’égard des actes réglementaires qu’à l’égard des actes individuels


-      Nature du tribunal saisi selon qu’il s’agit d’un tribunal répressif ou d’un juge civil.
On peut alors dresser le tableau suivant :
-      S’agissant de l’interprétation des actes administratifs, le tribunal des conflits dans un arrêt de 1923, Septfonds, a reconnu que l’interprétation des tribunaux judiciaires qu’ils soient civils ou pénaux, ont pleine compétence pour interpréter les actes réglementaires.
A l’inverse, l’interprétation des actes individuels constitue en cas de difficulté sérieuse une question préjudicielle pour les JJ.
-      Pour l’appréciation de la légalité des AA, il faut distinguer selon que l’on a à faire à un tribunal répressif ou un tribunal statuant au civil :

o   Pour les tribunaux répressifs, le TC a admis en 1951 dans un arrêt Avranches et Desmarets que le juge pénal peut apprécier la légalité des actes réglementaires s’ils servent de fondement à la poursuite ou qu’il soit invoqué comme un moyen de défense par la personne poursuivie. Le tribunal admet donc l’appréciation de la légalité des actes réglementaires.
Par contre, le juge pénal est incompétent pour apprécier la légalité d’un acte administratif individuel.

o   La chambre criminelle de la cour de cassation a une interprétation plus large, dans un arrêt Dame Leroux en 1987, la Cour de cassation juge que le juge pénal est compétent pour tous les actes administratifs qui sont assortis d’une sanction pénale y compris les actes individuels.

v La divergence paraît aujourd’hui réglée par l’article 111-5 du code pénal qui dispose aujourd’hui que les tribunaux répressifs sont compétents pour interpréter les actes administratifs et pour en apprécier la légalité lorsque de cet examen dépend la solution du procès.
S’agissant des tribunaux civils, la règle est beaucoup plus stricte, les tribunaux sont en principe incompétents pour apprécier la légalité des AA même réglementaires.

v Se pose une difficulté : le contrôle de la conventionalité de ces actes réglementaires. Pourquoi y a-t-il une difficulté ? Car la jurisprudence admet que le juge judiciaire apprécie la légalité de la loi aux conventions internationales et si on applique la jurisprudence Avranches et Desmarets, on considère que le JJ ne peut apprécier de la conventionalité d’un règlement.
Cela a abouti à une divergence profonde de jurisprudence entre la cour de cassation et la juridiction administrative dans l’affaire du CNE. Un des problèmes était de savoir si ce contrat (institué par une ordonnance) était conforme à des conventions internationales sur le droit du W (notamment de l’OIT) ? Immédiatement, le préfet a élevé le conflit en expliquant que c’était une question qui relevait de la légalité d’un AA. Le conseil des prud’hommes a décliné le déclinatoire et la cour d’appel a souhaité à son tour s’estimer compétente. L’affaire est venue devant le TC dans un arrêt de 2007, Préfet de l’Essonne. Le TC refuse de donner la réponse puisqu’il dit que l’ordonnance a été implicitement ratifiée par la loi et que c’est donc un texte de valeur législative et que le tribunal civil peut apprécier sa conformité au traité.


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